Vous ne croyez pas à l'addiction au porno ? Pourtant les chiffres sont éloquents<!-- --> | Atlantico.fr
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42% des étudiants américains déclarent visiter régulièrement des sites pornographiques.
42% des étudiants américains déclarent visiter régulièrement des sites pornographiques.
©Reuters

W pour Wauquiez, X cinéma, Y YouPorn

Laurent Wauquiez a déclaré sur un plateau de télévision surfer parfois sur le site YouPorn "comme tout le monde" avant de rapidement faire machine arrière, prétextant de "l'humour". Plaisanterie ou non, d'autres, eux, y passent un temps considérable au détriment de leur vie affective.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : 42% des étudiants américains déclarent visiter régulièrement des sites pornographiques, 12% y passant même au moins 5 heures par semaine (voir ici) . Le site Youporn, lui, comptabilise 100 millions de connexion par jour et représente à lui seul 2% du trafic Internet. Peut-on parler d'une addiction à la pornographie qui s'étend ? Où est la limite entre consommation "normale" et l'addiction ?

Michelle Boiron : Nous ne sommes pas égaux devant le phénomène addictif. On est passé dans l’addiction d’une approche centrée sur les produits  à une approche centrée sur les conduites des sujets. C’est pourquoi on a eu du mal à trouver un consensus entre le normal et le pathologique. Oui, le sexe peut devenir une drogue dure pour certains : de la répétition à la compulsion, de l’usage jusqu’à la dépendance il n’y a parfois qu’un pas et deux clics ! A l’évidence tout ceux qui ont regardé des films pornographiques ne deviennent pas des addicts sexuels. En effet, on est pas égaux devant l’addiction par contre on est tous dans une société de consommations qui incitent à tout consommer.

Il y a des gens qui peuvent boire deux verres de vin tous les soirs et qui n’ augmenteront jamais la dose, et d'autres qui vont finir par boire  un litre… Certains êtres fragiles ont plus de risques d’être entraînés vers un état de dépendance, ils ont souvent une angoisse à apaiser, un vide existentiel à combler. Le visionnage d’un film pornographique va activer et alimenter les circuits du plaisirs et de la récompense un véritable « médicament » . Ce qui constitue au début un soulagement à leur mal être va par le plaisir, l’excitation  qu’ils en re « tire » glisser vers une répétition incontrôlable.

On peut se faire choper très vite, on commence  par regarder un porno un soir par hasard, puis un deuxième une autre fois, et petit à petit , sans s’en apercevoir déclencher chez certains un phénomène de répétition. Un rapport film/image/érection/plaisir va se mettre en place, et la machine peut finir par s'emballer et mettre en place le comportement addictif. De plus, le porno est une addiction dont on ne se méfie pas car justement, contrairement à l'alcool ou la drogue, on n'avale rien.  Mais le résultat final reste similaire : on devient "addict" à partir du moment où on ne peut plus s'en passer. On a perdu une liberté : celle  de s’abstenir.

Les images qui créent l'excitation sur Internet sont  très fortes. Les pornos d'aujourd'hui ressemblent un peu au séries télé au moins sur un point : ils sont construits pour que le spectateur finissent par en demander plus et être accroc. Il y a une vraie machine addictive mise en place derrière.

L'homme jeune hétérosexuel, visé par ces études, représente-t-il le profil type du gros consommateur de porno risquant de se désocialiser ? Si oui, cela s'explique-t-il seulement par un accès moindre à la sexualité (40% des gros consommateurs, selon l'étude, n'ont en effet jamais eu de relations sexuelles) ?

Là, où les générations précédentes jouaient à touche-pipi avec leurs petits cousins ou leurs petites cousines, ou avec un ou une petit(e) ami(e), aujourd'hui vous avez des enfants qui font leur éducation sexuelle par la pornographie. Il y a un accès technique aux images qui dépasse complètement l'éducation classique et qui leur sert parfois d’initiation. Certains enfants de huit ou dix ans qui se trouve confrontés à ses images sont effractés dans leur corps qui n’est pas prêts à les recevoir.

A tout âge le film pornographique  crée de l’ excitation indépendamment d’un désir et d’un « autre »  Il y a une forme de passivité on subit l’image.

Un de mes patients à 32 ans. Il regarde du porno depuis l'âge de 12 ans, il a donc 20 ans d'images pornographiques derrière lui. Dans la vraie vie, la libido avec une femme en chair et en os ne lui fait plus d’effet alors qu’il le désire vraiment car il est en couple. On est là dans une sexualité qui n'est jamais confrontée à la performance, au résultat et au regard de l'autre. C'est donc une sexualité totalement passive et qui isole. 

Des associations tirent la sonnette d'alarme en avançant que la surconsommation de porno peut avoir de vraies conséquences physiques : troubles de l'érection, perte de la sensibilité, chute de la libido... Ces menaces sont-elles sérieuses ? Le porno est-il en train de fabriquer une génération d'impuissants ?

Je pense que le porno pose le problème de l'excitation  car dans la vraie vie on ne peut pas retrouver la même excitation pour produire l’érection . Il y a une différence importante entre le "je désire" et "je suis excité". L'addict à la pornographie peut vivre des situations dans lesquelles il a un désir pour une autre personne, mais sans pouvoir retrouver la capacité d'excitation que seule la pornographie pourra désormais lui créer. A force de consommer du porno, le risque c'est tout simplement de ne plus pouvoir trouver de l’excitation ailleurs . En revanche, certains rêvent de retrouver une sexualité harmonieuse faite de désir et d’excitation dans une relation sexuelle en chair et en os et quitter la sexualité électronique et n’y arrive pas.  Internet  donne des clés pour rentrer dans ce monde mais pas la clé pour en sortir !

Aux États-Unis, des organisations se créent pour aider à vaincre son addiction à la pornographie, en utilisant un vocabulaire et des méthodes proche de la lutte contre les autres addictions. Y a-t-il des points communs sérieux entre une addiction au porno et l'alcoolisme, le tabagisme ou l'usage de stupéfiants ?

Complètement. Vous avez  la notion du manque, de la répétition, la durée excessive, l'escalade (vous commencez par regarder un porno classique, et vous finissez par visionner du porno hard ), la diminution du plaisir, la désocialisation et surtout l'incapacité réelle de restreindre la consommation. Ce qui signe l'addiction – pour le porno et pour toutes les autres formes d’addiction – c'est la perte de la liberté de s'abstenir. C'est une pathologie reconnue aujourd’hui et traitée dans les services hospitaliers spécialisés dans l'addiction sexuelle. La question se situe maintenant en amont : comment sensibiliser la population – sans pour autant cracher sur le porno – sur le risque de se faire prendre dans une vraie addiction. Et plus on commence jeune donc vulnérable, plus le risque est important 

Le monde virtuel par Internet via la pornographie ne traduit pas à lui seul la crise profonde des représentations  du sexe, mais il touche à l’image de soi et modifie le sens de l’acte sexuel et sa finalité qui touche à l’existence même de l’individu.

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