Tant qu'à remettre à plat la fiscalité, le gouvernement aura-t-il le courage d'aller corriger les inégalités face à l'impôt là où elles sont vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault souhaite une "remise à plat" de la fiscalité française.
Jean-Marc Ayrault souhaite une "remise à plat" de la fiscalité française.
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Usine à gaz

Remettre à plat la fiscalité, comme a dit vouloir le faire Jean-Marc Ayrault, doit avoir pour objectif la simplification du système mais aussi d’arrêter de demander à certains groupes sociaux de payer une part disproportionnée par rapport à leurs revenus.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Selon un sondage CSA pour l'Humanité, 73% des Français estiment que les inégalités ne sont pas moins importantes aujourd'hui en France qu'il y a 20 ans. Or, au premier rang de ces inégalités, ils placent celle devant l'impôt. Les inégalités fiscales se sont-elles effectivement creusées depuis 20 ans ?

Philippe Crevel : Les Français ont un rapport complexe aux inégalités. Une majorité d’entre eux considèrent qu’elles ont tendance à s’accroître. Or, les statistiques sont, sur ce sujet, têtues. Le rapport du niveau de vie des Français les 10 % les plus riches avec celui les 10 % les plus pauvres a fortement baissé des années 1970 aux années 2000. Il reste constant autour de 3,5 depuis 1996. En 2011, il s’élevait à 3,6 ce qui signifie que les 10 % les plus riches ont un niveau de vie 3,6 fois supérieurs à celui des 10 % les plus pauvres. La France est un des pays où ce ratio est le plus faible. A la différence de certains pays de l’OCDE, il demeure relativement stable.

Cette évolution s’explique par le développement des prestations sociales qui réduisent l’écart de revenu ainsi que les impôts. En France, l’écart de revenu entre les deux déciles opposés est de 1 à 7. La fiscalité joue un rôle de redistribution indéniable en permettant de financer les dépenses sociales dont le poids n’a pas cessé de progressé ces vingt dernières années. Elles représentent en 2012 près du tiers du PIB contre 25 % il y a 20 ans. Les inégalités fiscales n’ont pas augmenté ces dernières années. La taxation du patrimoine avec l’ISF, la CSG sur l’ensemble des revenus et l’accroissement sensible de la taxation des produits de l’épargne ont plutôt amené à une réduction des inégalités. Mais, en la matière, il y a un problème sémantique. Qu’est-ce qu’un impôt juste ? Un impôt a comme premier objectif de financer la dépense publique, c’est à titre accessoire qu’il devrait être un instrument de politique sociale. En outre, un impôt proportionnel qui taxe au même taux l’ensemble des contribuables peut être considéré aussi juste qu’un impôt progressif dont le taux augmente en fonction des revenus ou du montant du capital. Faut-il se focaliser sur le montant net de la contribution ou sur le taux d’imposition ? En France, la priorité a été souvent donnée au taux avec comme corollaire une fuite devant l’assiette.

Comment l'effort fiscal est-il réparti aujourd'hui ? Quelles sont les catégories les plus impactées par la pression fiscale ? Les classes moyennes sont-elles effectivement la catégorie la plus mise à contribution ?

Philippe Crevel : Les travaux de Thomas Piketty sur l’impôt ont clairement démontré que ce sont les classes moyennes qui consentent l’effort fiscal le plus important. Le taux marginal d’imposition (incluant tous les prélèvements) atteint son maximum entre 4.000 et 9.000 euros par mois de revenu. Le taux est alors de 47 % contre 40 % pour les plus modestes. Ce taux baisse pour les 1 % les plus riches qui ont la possibilité d’optimiser fiscalement leur situation en recourant aux différents dispositifs de déduction fiscale. Pour les revenus modestes, les cotisations sociales et la CSG représentent l’essentiel des prélèvements. Pour les classes moyennes se surajoutent l’impôt sur le revenu. Les plus fortunés sont impactés par les impôts sur le patrimoine ; en revanche, les cotisations sociales jouent un rôle marginal dans les prélèvements obligatoires qu’ils subissent. 

Au Royaume-Uni les 1% les plus riches paient aujourd'hui 30% de l'impôt sur le revenu alors qu'ils ne perçoivent que 10% du revenu national. Qu'en est-il de l'imposition des ménages les plus aisés en France ?

Philippe Crevel : Les ménages français les plus aisés contribuent le plus au financement des dépenses publiques. 1% des contribuables de l’impôt sur le revenu en acquitte 37% et 10% paient plus des deux tiers. Près d’un contribuable sur deux n’acquitte pas d’impôt sur le revenu. La TVA frappe par définition plus fortement les contribuables modestes qui utilisent la quasi-totalité de leurs revenus à la consommation quand les ménages les plus aisés en épargneront une part plus importante. Ainsi, la TVA représente autour de 12% des revenus pour les 10% de ménages les plus modestes quand ce taux est de 4% à 5% pour les 10% les plus aisés. La CSG en étant proportionnelle frappe de manière égalitaire tous les ménages.

L'impôt est parfois jugé injuste par les Français, mais aussi inefficace. L'impôt est-il toujours perçu et surtout utilisé à bon escient ?

Philippe Crevel : L’impôt a un objectif : financer des dépenses publiques de qualité. A force de lui fixer des objectifs d’ordre économique ou d’ordre social, il n’en atteint aucun ! L’impôt en France sert à orienter les dépenses des consommateurs avec les taxes sur les tabacs, sur les alcools, les boissons énergisantes, les taxes sur les voitures polluantes. Immobilier, collectivités d’outre-mer, cinéma, monuments historiques, maisons de retraite, associations, mécénat, tout y passe au prix d’une liste à la Prévert qui ne s’arrêterait jamais. L’impôt est injuste car il est incompréhensible pour le commun des mortels, car une part croissante de Français croit à tort ou raison que des filous se gavent d’avantages fiscaux en tout genre. C’est pour cette raison qu’il conviendrait de nettoyer un peu le code fiscal mais évidemment il y a des droits acquis tant en matière fiscale qu’en matière sociale.

L'empilement des mesures fiscales depuis 20 ans a-t-elle conduit à la création d'usines à gaz ? Lesquelles ?

Philippe Crevel : Le Français, traditionnellement râleur, n’aime pas l’impôt qui le lui rend bien. Le système fiscal français est une mille-feuille ou un maquis corse sans les charmes de l’Île de Beauté. La France compte certainement plus d’impôts que de fromages. Le rapport financier annexé à la loi de finances en mentionne plus de 266. L’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés sont les archétypes de l’impôt à la Française, une assiette étroite, trouée de toute part avec des taux d’imposition élevés. Il en résulte des rendements faibles et un fort sentiment d’injustice. Les contribuables aisés et informés se jouent des mailles du filet quand les contribuables modestes ne peuvent pas y échapper.

L’impôt sur le revenu français est devenu illisible avec ses déductions, ses réductions, ses crédits d’impôt en tout genre. Son éventuelle fusion avec la CSG fait courir un énorme risque à ce dernière ; celui de lui ressembler et de perdre ainsi son efficacité. La CSG rapporte plus de 90 milliards d’euros contre 69 milliards d’euros pour l’impôt sur le revenu. Cette fusion pose de nombreuses questions. Comment les services fiscaux régleront-ils le problème du décalage d’un an en vigueur à l’heure actuelle pour l’impôt sur le revenu ? Ce dernier comportera-t-il toujours un système de quotient familial ? A moins que le Premier ne veuille tout simplement autorisé la déduction de la CSG pour les contribuables les plus modestes ? Par ailleurs, rien n’interdit de penser que ce futur débat fiscal ne soit d’autre qu’un ballon d’essai pour se donner un peu d’air après une séquence médiatique un peu hasardeuse.

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