Ce que pourrait nous révéler l'examen du cerveau d'Einstein<!-- --> | Atlantico.fr
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Avoir les hémisphères mieux interconnectés reflèterait de meilleures capacités cognitives.
Avoir les hémisphères mieux interconnectés reflèterait de meilleures capacités cognitives.
©Reuters

Intello

Des chercheurs chinois et américains auraient découvert les secrets de l’intelligence d’Einstein en observant des photographies de son cerveau disséqué et en les comparant à ceux d’autres individus.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico: Des chercheurs de l’Université de Shanghai et de Floride ont récemment publié dans la revue Brain les résultats d’une nouvelle étude sur le cerveau d’Albert Einstein. En comparant des photographies du cerveau du scientifique avec celles d’autres individus (15 personnes âgées de 70 à 80 ans, puisque Einstein est mort à 76 ans, et 52 autres âgées de 24 à 30 ans, un âge où le cerveau aurait atteint le maximum de ses capacités), ils ont mis en évidence une connectivité plus importante que la moyenne entre ses deux hémisphères. Mais que peut effectivement nous révéler le cerveau d’Einstein ? La dissection et l’étude de son cerveau apportent-elles réellement des nouveautés dans la recherche en neurologie et lesquelles ?

André Nieoullon: Einstein, encore ; Einstein, toujours… Décidément le cerveau de cet illustre scientifique ne nous a pas encore livré tous ses secrets ! Aujourd’hui ce sont les connexions inter-hémisphériques, c’est-à-dire l’ensemble des fibres nerveuses qui assurent la liaison entre les deux hémisphères cérébraux qui font l’actualité et apparaissent, en volume, supérieure à celles de sujets témoins (non malades) appariés en âge pour une première comparaison et plus jeunes d’au moins 50 ans, pour une deuxième comparaison. Sur le plan méthodologique, le cerveau d’Einstein est unique et le fait de le comparer à des séries de cerveaux pour lesquels les mesures sont moyennées (15 cerveaux pour la série appariée en âge et jusqu’à 52 pour les cerveaux des jeunes) ne rend pas pour autant les résultats statistiquement significatifs. Mais il faut faire avec. Et accepter les résultats de ces études anatomiques avec ces réserves méthodologiques. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cet illustre cerveau se distincte… Il y a déjà plusieurs décennies, une étude histologique effectuée sur une biopsie de ce cerveau avait montré un résultat stupéfiant : le cerveau, qui n’est pas fait que de neurones mais comprend aussi et pour une grande majorité des cellules non neuronales que l’on qualifie de « gliales » dont la majorité est constituée d’une population particulière dénommée « astrocytes », montrait aussi des spécificités. Les travaux de l’équipe américaine qui avait effectué le travail à l’époque avait montré que le rapport entre le nombre de neurones et celui des cellules gliales dans une partie de cortex cérébral était considérablement plus élevé que chez des sujets témoins, également appariés en âge. L’idée avait alors été avancée, en schématisant quelque peu, que l’intelligence n’était peut-être pas liée uniquement aux neurones mais que le fait que les neurones soient entourés de beaucoup d’astrocytes pouvait être l’un des éléments clé des capacités hors normes de ce physicien exceptionnel. Et maintenant si en plus les connexions entre les deux hémisphères sont supérieures à la normale cela signifie qu’au-delà de cette profusion d’astrocytes il était également pourvu de plus de neurones dans le cortex cérébral conduisant à plus de connexions nerveuses. Décidément, un cerveau « hors norme » ! Mais de là en en conclure que ces particularités anatomiques sont en rapport avec son intelligence reste un pas que seuls les imprudents auront franchi…

Les connectivités du cerveau d’Einstein sont-elles si exceptionnelles ? Ou sont-elles l’apanage de nombreux autres encéphales ? Ce résultat illustre-t-il justement une mythologie autour de ce cerveau dans le milieu scientifique ?

Plus sérieusement, ces particularités anatomiques, si elles sont vérifiées, sont particulièrement intéressantes pour le chercheur neurobiologiste. De fait, si l’on se situe dans une perspective évolutionniste, il faut savoir que le fait d’avoir des connexions inter-hémisphériques plus développées correspond à un processus de perfectionnement qui répond à un accroissement des capacités de traitement des informations nerveuses par le cortex cérébral. Au cours de l’évolution, deux grands processus au moins interviennent et leur mise en place est concomitante de capacités, notamment cognitives, accrues. Le premier processus correspond au développement anatomique de la partie frontale du cerveau, ce que l’on nomme le cortex frontal. Ainsi l’Homme présente-t-il par rapport aux singes un cortex frontal considérablement plus développé. Sans pouvoir le vérifier ce jour, il me semble me souvenir que le cerveau d’Einstein s’était aussi fait remarqué par un volume global anormalement élevé par rapport à la moyenne. Dès lors cette première observation, si elle est exacte, corrobore l’idée que le développement du cortex frontal et surtout celui le plus en avant que l’on nomme « préfrontal » est bien un indicateur de capacités cognitives accrues. Le second processus correspond à un autre dispositif de spécialisation des différentes régions du cerveau dans la prise en charge du contrôle des comportements. Ce processus correspond à une dissociation progressive au cours de l’évolution du rôle joué par chacun des deux hémisphères cérébraux. En effet si chez les mammifères les plus primitifs les effets de latéralisation hémisphérique sont peu marqués (c’est-à-dire que chacun des deux hémisphères joue sensiblement un rôle identique dans le contrôle des comportements) il s’avère que chez les singes et plus particulièrement chez l’Homme, les deux hémisphères prennent plus ou moins en charge des fonctions spécifiques et ne sont plus similaires mais complémentaires dans leur fonctionnement. Pour mieux me faire comprendre, il est connu que ce que l’on nomme « l’aire du langage » qui depuis Paul Broca au XIXième siècle est connue pour permettre l’articulation des mots parlés, se trouve localisée dans l’hémisphère gauche et pas dans l’hémisphère droit. Ce qui d’ailleurs ne signifie pas que l’hémisphère droit ne contribue pas lui aussi au langage parlé… Et là ne s’arrête pas les spécialisations inter-hémisphériques puisque les capacités cognitives d’abstraction ou de raisonnement, notamment, et jusqu’au contrôle de l’humeur ou l’expression des émotions, obéiraient à une ségrégation plus ou moins équivalente entre les deux hémisphères, la complémentarité restant là aussi la règle. Dès lors, cette coopération inter-hémisphérique accroit considérablement les capacités de traitement de l’information cérébrale et enrichit les performances, en particulier cognitives. Si l’on ajoute à cela que le rapport neurones/astrocytes auquel il est fait référence ci-dessus évolue également entre les espèces primitives et l’Homme (de 1 neurone pour 4 astrocytes chez les rongeurs à 1 pour 10 chez l’Homme, selon ce qui est généralement admis), alors cet indicateur histologique plaide également pour un cerveau d’Einstein quelque peu « en avance » au plan de l’évolution par rapport à l’ensemble de ses concitoyens… Prudence toutefois quant aux conclusions que l’on pourrait en tirer. Einstein reste un Homme et il régulièrement rappelé son caractère quelque peu facétieux, qui le rendait profondément humain.

Pourquoi sommes-nous plus intelligents lorsque nos hémisphères sont plus connectés ? L’étude du cerveau d’Einstein pourrait-il servir, à terme, à l’amélioration de l’interconnexion dans le cerveau ? Quelles sont d’ailleurs les avancées dans ce domaine ?

Dès lors l’évidence s’impose : avoir les hémisphères mieux interconnectés reflèterait de meilleures capacités cognitives qui pourraient rendre compte des travaux scientifiques d’Einstein. Cette hypothèse est séduisante. Elle nous amène quelque peu à nous projeter. Si l’on admet que ce cerveau se caractérisait par des capacités exceptionnelles et des caractéristiques anatomiques qui le différenciaient de ces semblables, alors, considérant que l’évolution se poursuit et sans entrer dans une perspective de science-fiction, l’Homme de demain pourrait avoir un cerveau qui adopterait les caractéristiques du cerveau d’Einstein –si elles sont réelles- et, pourquoi pas, en développerait les capacités. Demain des surhommes au cortex préfrontal hypertrophié et des hémisphères encore plus interconnectés ? Pourquoi pas ! Mais dans le domaine de l’évolution le temps s’écoule lentement et « demain » est dans très longtemps…

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