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Saison touristique 2013 en demi-teinte : entre la crise et les changements de comportements, à qui la faute ?
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Morosité

D'après une étude d'Atout France, la fréquentation touristique globale est en recul sur l'ensemble de la saison estivale.

Pierre  Chazaud

Pierre Chazaud

Pierre Chazaud est professeur des Universités à Lyon I. Il a notamment écrit Management du tourisme et des sports de pleine nature aux  Editions PUS – Voiron 2004). Son dernier ouvrage est bilingue français / anglais Itinéraire spirituel aux Editions Mandala Toulaud (2013).

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Atlantico : Selon les premières estimations, la saison touristique de 2013 enregistre une baisse de fréquentation de façon globale. Peut-on attribuer cette baisse aux changements de comportement des Français pour leurs vacances (moins longtemps, départ au dernier moment, destination etc.) ? 

Pierre Chazaud : Plusieurs phénomènes (le chômage, l’abandon de certains modèles de vacances, la baisse du pouvoir d’achat, la dilution des frontières entre travail et non travail, la prise en compte de nouvelles temporalités notamment chez les seniors qui désaisonnalisent leur temps de vacances) se conjuguent pour expliquer le changement de comportement des consommateurs. Pour échapper au rouleau compresseur des loisirs de masse, les Français adoptent aujourd’hui diverses stratégies :

- des stratégies de fractionnement des loisirs pour assurer une optimisation tant qualitative que quantitative en  jouant avec les fêtes, les jours fériés, les jours chômés, afin d’allonger la durée de ce temps libre.

- des stratégies de veille et d’expertise sur les produits touristiques proposés ce qui permet aux consommateurs de plus en plus exigeants ou stressés d’obtenir le maximum d’informations et aussi de profiter des offres promotionnelles, notamment grâce à Internet.

-des stratégies du ré-enchantement d’un quotidien souvent mal vécu dans une société française en crise où les repères culturels ou religieux, les utopies révolutionnaires se désagrègent. Ce ré-enchantement des vacances peut alors prendre différentes formes : avoir du temps libre pour  développer un hobby devenu autant vital que le travail, rencontrer sa famille ou ses amis, créer du lien social dans un camping comme le montrent certains films-culte ou même de tenter de redonner un sens à son existence en partant par exemple en pèlerinage à St-Jacques-de-Compostelle, une grande mode en ce moment.

Aujourd'hui quel est le modèle de vacances qui prédomine (nombre de jours, période, destination etc.) ? Peut-on dire que le mythe des grandes vacances est révolu ? 

Les vacances actuelles s’éloignent de plus en plus de l'héritage des années 1950/1970 qui imposaient une forme traditionnelle de repos social obligatoire chargée de restaurer la force de travail, dans le droit fil du Front Populaire. Ce modèle très homogène, assez autoritaire, avait été imposé après guerre dans une France rurale par l’Education nationale qui diffusait de haut en bas, de la ville vers la campagne un rythme et une temporalité  des loisirs. Aujourd’hui, les vacances ne sont plus liées ni à une consommation ostentatoire, ni à une communauté de publics partageant les mêmes valeurs républicaines, ni même à des échanges symboliques, voire à des retrouvailles entre la population des villes et la population des campagnes au moment des grandes migrations estivales. Depuis la fin des trente glorieuses, qui a vu le triomphe de l’individualisme de masse, il s’agit pour le consommateur, dans un marché hyper-concurrentiel, d’avoir surtout accès à des produits marquetés répondant  à certains standards (innovation , proximité, low-cost, zéro déception etc.)

La crise est-elle la seule explication à ces changements de comportement ? Quels sont les autres facteurs ?

La crise, qui n’est pas seulement économique, sert de révélateur pour exprimer des tendances profondes qui étaient en gestation dans notre société. Plusieurs facteurs expliquent des changements dans la manière de concevoir et de consommer les vacances.

1er facteur : un nouveau rapport au temps

A ce propos, (re)lire notre série consacrée au rapporte au temps dans le monde moderne

Les vacances ne font plus référence à un temps idéalisé, mais à de simples produits à consommer de toute urgence ici et maintenant, dans une optique hédoniste puisque le futur n’est pas sûr.

2e facteur : une culture médiatique qui prescrit les styles de vacances

La publicité offre aujourd’hui une certaine représentation des vacances et impose ce qui doit être vu et visité lors d’un déplacement sur n’importe quelle partie du monde. Cette culture des guides de voyage tend à devenir l'un des fondements de l’imagination collective.

3e facteur : une fragmentation et une hybridation des loisirs

L’offre de vacances se concentre autour de multiples centres d’intérêts affinitaires (la nature, la santé, le sport, le patrimoine...) destinés à de multiples groupes, tribus ou communautés, plurielles, caméléon, multi-canaux.

Les professionnels du tourisme ont-il réussi à s'adapter à ces nouveaux modes de fonctionnement ? Quelles modifications doivent-ils opérer ? 

Il faut bien distinguer les opérateurs privés et publics du tourisme en France. En effet les logiques sont totalement différentes.

Le secteur privé surfe sur les nouvelles tendances du marché et profite aussi de la gestion des gisements touristiques par les collectivités locales et l’Etat.Il y a en France un certain émiettement territorial dans l’organisation du tourisme et de sa gestion. C’ est à la fois une force et une faiblesse. En effet, les pouvoirs publics et les collectivités locales ont contribué d’abord à sauver à partir des années 1960/1970 une multitude de sites qui sans eux étaient conduits à une disparition certaine. Ce sauvetage puis cette valorisation de multiples gisements touristiques par les pouvoirs publics s’est organisée à partir d’un modèle typiquement français, soucieux de préserver un héritage historique culturel et architectural et de le promouvoir à travers de multiples expositions, festivals, animations...

C’est cette intervention publique qui a permis de créer une sorte de marque de fabrique  typique, la french touch en matière de tourisme. Celui-ci doit être conservé en s’adaptant bien évidemment aux nouvelles attentes du marché, sans pour autant vendre son âme aux simples gestionnaires d’un tourisme  financier.

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