Statut des auto-entrepreneurs : ce qu’il faut réformer, et ce à quoi il ne faut surtout pas toucher<!-- --> | Atlantico.fr
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Un entrepreneur.
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©Reuters

Part des choses

La réforme de l'auto-entreprise ne cesse de faire débat. Dernier revirement en date : la limitation du statut à 19 000 euros de chiffre d'affaire, initialement souhaitée la ministre de l'Artisanat, semble avoir été abandonnée dans le projet de loi.

Pascal Nguyên et Erwan Le Noan

Pascal Nguyên et Erwan Le Noan

Pascal Nguyên est journaliste et auteur du Guide pratique de l'auto-entrepreneur avec Gilles Daïd.

Erwan Le Noan est consultant en stratégie. Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

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Atlantico : Selon LesEchos, le projet de loi de la réforme de l'auto-entreprise ne mentionnerait pas de seuil de chiffre d'affaires intermédiaire initialement défendu par Sylvia Pinel. Il s'agissait d'obliger l'auto-entrepreneur à basculer dans le régime classique de création d'entreprise si son chiffre d'affaires dépasse 19 000 euros. Ce plafond, qui concerne les artisans et professions libérales, était-il une bonne initiative ? Ou faut-il s'en tenir au statu quo ? N'est-il pas dangereux pour leur activité de forcer les auto-entrepreneurs à changer de statut ?

Pascal Nguyên : Oui, cette mesure allait tuer la majeure partie des auto-entrepreneurs, et surtout elle allait envoyer un très mauvais signal à toutes les personnes souhaitant se lancer dans l'auto-entrepreneuriat, qu'il s'agisse de leur activité principale ou secondaire. Cette réforme était susceptible d'en décourager certains. Ce n'est pas une bonne chose de vouloir sans cesse remettre en cause les fondements du régime.

Ce statut fonctionne bien : il rapporte des cotisations sociales et fiscales dans les caisses de l'Etat. Il a sûrement enrayé une partie du travail au noir, du fait de sa simplicité, de la possibilité de développer un revenu correct, car on peut atteindre 2000 euros nets.

Si les gens choisissent ce régime, c'est précisément parce qu'ils souhaitent développer une petite activité, sans adhérer à des régimes sociaux "classiques", et parce qu'il est simple à gérer et à lancer. Les faire passer en entreprises individuelles classiques complexifierait énormément leur situation.Beaucoup vont abandonner.

Erwan Le Noan : La logique du statut d’auto-entrepreneur est de simplifier la vie des créateurs d’entreprises, même si elles sont de petites tailles. Il a d’ailleurs rencontré un vif succès depuis sa création. La proposition de Madame Pinel qui consiste à abaisser le seuil de chiffre d’affaires permettant de bénéficier du statut est plus qu’une erreur, c’est une grave faute, un contresens économique. Ce projet conduit à décourager l’entreprise et la production. Le gouvernement généralise la complexité. En France, le régime "simplifié" est toujours une exception, ce qui est proprement aberrant.

Pour inciter au changement de statut, ne peut-on pas se contenter de la suggestion suivante des poussins : "à partir d'un certain chiffre d'affaires, les auto-entrepreneurs pourraient être invités sur la base gratuite et du volontariat à avoir accès à des formations et un accompagnement" ?

Erwan Le Noan : La proposition des poussins est intéressante : elle encourage les "petits" entrepreneurs à devenir des "grands". Elle est certainement inspirée par un esprit de compromis. Ce qui serait vraiment audacieux, c’est que le régime de l’auto-entrepreneur devienne le régime normal, pour toutes les entreprises. Que la simplicité soit la règle et la complexité l’exception.

La ministre de l’Artisanat  souhaite également étendre la limitation dans le temps du statut d'auto-entrepreneur lorsqu'il s'agit d'une activité principale. L'objectif : inciter ces entrepreneurs à adopter un statut classique, supposé être davantage porteur de croissance. D'un point de vue général, est-il légitime de s'inquiéter d'un manque de croissance dû à l'augmentation des auto-entrepreneurs ?

Pascal Nguyên :La limitation dans le temps n'est pas non plus une bonne idée. Les gens qui veulent croître le font, s'ils sont porteurs de projets qui impliquent une forte croissance. Ils doivent être 8 à 10% à changer de régime, soit à passer au régime classique d'entreprise individuelle, soità créer une société.

Je pense que les 90% restants n'ont pas besoin d'un autre régime.Ils n'entrent pas nécessairement dans une volonté de croître.Ces entrepreneurs ne courent pas forcément après des affaires florissantes avec 12 500 salariés et 16 millions de chiffre d'affaire.

C'est parfois difficile à comprendre pour certains, mais certaines personnes sont satisfaites de leur niveau d’activité. Ils se font plaisir, s'épanouissent dans des activités dans lesquelles elles se lancent facilement. Et si ces entrepreneurs souhaitent croître, ils ont toujours la possibilité de passer au régime dit "réel" quand ils le souhaitent, car cela n'a rien de compliqué, comme nous l'expliquions d'ailleurs dans un livre sur ce thème.

Vouloir pousser les gens à passer au régime réel sans qu’ils le souhaitent va générer des effets pervers : ceux qui pensaient se lancer n'oseront plus, et certains qui se sont déjà lancés vont arrêter. Combien alors reviendront au travail au noir ?

Erwan Le Noan : La raison pour laquelle Madame Pinel voudrait que les auto-entrepreneurs entrent dans le régime "normal" (c'est-à-dire, le parcours du combattant qui se débat avec la lourdeur administrative et lutte contre la surcharge fiscale), ce n’est pas pour la croissance : c’est parce qu’elle espère que les rentrées fiscales seraient ainsi plus fortes et qu’elle cède à quelques lobbies qui, comme elle, n’aiment pas la concurrence. La faille de ce raisonnement, c’est que les auto-entreprises qui fonctionnent bien (mais ne sont pas riches) ne seraient probablement pas aussi nombreuses si elles devaient subir le régime "normal". Pour inciter les créateurs à passer sous un autre régime que celui de l’auto-entrepreneur, le Gouvernement devrait simplifier le régime normal, plutôt que d’essayer de saigner toutes les petites entreprises.

Ce statut induit-il une concurrence déloyale envers les artisans ou d'autres professions ? Sylvia Pinel souhaite étendre la limitation dans le temps du statut d'auto-entrepreneur au-delà du seul secteur du bâtiment (voir ici) et créer des "régimes spéciaux" d'auto-entrepreneur pour différentes professions telles que la coiffure ou la réparation d'automobile "pour schématiser ceux de l'artisanat, ceux où il y a une exigence de qualification, une obligation d'assurance, un enjeu de santé ou de sécurité pour le consommateur". Cette proposition n'est-elle pas destructrice pour l'auto-entrepreneuriat ?

Pascal NguyênIl faut en finir avec l'idée selon laquelle les auto-entrepreneurs peuvent tout se permettre. Pour les professions réglementées, les qualifications requises sont exigées, y compris chez les auto-entrepreneurs. Depuis une récente réforme, les auto-entrepreneurs qui lancent une activité artisanale à titre principal doivent prouver qu'ils possèdent les qualifications au moment  ils déclarent leur activité.


L'auto-entrepreneuriat est un régime dérogatoire au niveau fiscal et social, mais absolument pas au niveau réglementaire. Les qualifications requises sont les mêmes, et si l'auto-entrepreneur subit un contrôle, il devra justifier des mêmes qualifications, de la même formation.

Cela fait quatre ans que le régime existe, et j'entends toujours les mêmes sornettes, y compris de la part de certains présidents des chambres de métier. Que craignent-ils réellement ?

Certes, la concurrence est parfois faussée lorsque les clients sont des particuliers.Un électricien qui vient chez vous en tant qu'auto-entrepreneur va vous facturer 20% de moins qu'un électricien au régime réel. Mais d'un autre coté, il faut reconnaître qu'auparavant, les artisans ne se déplaçaient pas pour vous changer une prise. Ils ne se déplaçaient pas en-deçà de 300 ou 400 euros. Dans ces circonstances, est-ce qu'aujourd'hui l’entrepreneur qui vient nous changer deux ou trois prises pour 50 euros représente réellement une concurrence déloyale ?

Depuis la création du régime, je veux bien croire que certaines situations provoquent une concurrence déloyale, mais pas au niveau social et fiscal. L'Ordre des experts comptable avait fait des simulations qui montraient que les auto-entrepreneurs payaient parfois plus de charges sociales que les entrepreneurs au régime réel. Car au réel, on peut presque tout déduire. Un auto-entrepreneur, lui, ne peut rien déduire, il a simplement à payer 25% de cotisations sur son chiffre d’affaires. Certains artisans au réel paient moins de 25% de cotisations.

Il peut y avoir concurrence déloyale dans la mesure où le régime d'auto-entrepreneur n'est pas collecteur de TVA. Mais à nouveau, cette concurrence déloyale vaut dans le cas où les clients sont des particuliers, et non des entreprises. Car les entreprises clientes se fichent que vous facturiez avec ou sans TVA, cela revient au même pour elles : soit elles paient la TVA, ou plutôt l'avance, puis la récupère, soit elles ne la paient pas.

Erwan Le Noan : Cette proposition est doublement erronée. D’abord, les rapports des spécialistes – y compris des propres services de Madame Pinel – indiquent que le régime de l’auto-entrepreneur ne constitue pas une concurrence déloyale pour le secteur du bâtiment. Si Madame Pinel suit cependant ces revendications, c’est par pur esprit de copinage avec quelques lobbies : elle défend les rentiers, au lieu de défendre les entrepreneurs méritants. Ensuite, en effet, cette limitation serait une première pierre qui viendrait certainement ouvrir la boite de Pandore des contraintes, qui ne tarderaient pas à pleuvoir sur les auto-entrepeneurs.

Le reproche fait à ce statut selon lequel les entreprises inciteraient leurs prestataires à l'adopter pour minimiser leurs charges est-il fondé ?

Erwan Le Noan : Quand bien même ces pratiques seraient réelles, je ne vois pas bien en quoi elles seraient condamnables. Si les entreprises cherchent à baisser leurs charges fiscales, c’est peut être qu’elles en sont réellement accablées aujourd’hui, non ? Le raisonnement est absolument extraordinairement biaisé : si tout le monde fuit le régime "normal", alors il faut les contraindre par la force d’y entrer ? Si les règles fiscales et sociales étaient un rien plus claires, plus stables et plus simples, il y a fort à parier que l’emploi et la croissance s’en porteraient mieux.


Les fonctionnaires doivent-ils être exclus du régime ? N'était-il pas positif d'encourager les agents de l'Etat, des collectivités locales et des hôpitaux à développer des activités parallèles, sources de revenus complémentaires, comme Hervé Novelli le souhaitait en concevant ce régime social et fiscal simplifié ?

Pascal NguyênTout dépend de quelles activités il s'agit. Les activités générant des conflits d’intérêt étaient déjà encadrées par le régime. Si vous êtes fonctionnaire donneur d'ordre pour les travaux publics, vous ne pouvez lancer une entreprise de travaux publics... Les fonctionnaires sont déjà soumis à un contrôle. Quelques activités peuvent être pratiquées sans l'aval de la hiérarchie, et pour d'autres, il faut un accord de la hiérarchie. Il est donc absurde d'exclure les fonctionnaires du régime. Si une personne veut vendre ses macramés en étant agent administratif, je ne vois pas le problème.


Erwan Le Noan : Les fonctionnaires, comme beaucoup d’autres professions, peuvent trouver dans l’activité d’auto-entrepreneur un complément utile à leurs revenus. On comprend cependant que le gouvernement veuille lutter contre les conflits d’intérêts potentiels, qui remettraient en cause l’impartialité de la fonction publique. Toutefois, à nouveau, la logique du gouvernement est de généraliser la contrainte plutôt que de simplifier ce qui existe. S’il veut interdire le cumul d’activités aux fonctionnaires, il devrait aussi limiter le statut de fonctionnaires à quelques rares fonctions au sein de l’Etat (police, justice, armée notamment). On ne voit pas bien en quoi un professeur qui donne des cours en plus pour aider des élèves et gagner un peu plus d’argent remet en cause le fonctionnement du service public éducatif …


Est ce que la simplicité et la fluidité du système n'étaient pas ses principaux atouts ? Ne les met-on pas en péril en réformant à tout va ?

Erwan Le Noan : Tout ce qui va dans le sens d’une complexité plus grande est à proscrire : l’économie française étouffe sous le poids des contraintes. Il y a une révolution mentale à faire : la simplicité ne devrait pas être l’exception, mais la règle. Le statut d’auto-entrepreneur ne devrait pas être un régime dérogatoire, mais le régime général.

Outre ces réformes envisagées, qu'est-ce qui pourrait être amélioré dans le statut actuel ?

Pascal NguyênUne réforme est indispensable, à l'avantage des auto-entrepreneurs : celle de la fameuse Contribution économique territoriale (CET), ex taxe professionnelle. Il faut l'adapter au chiffre d'affaire des gens. La loi prévoit que l'on paie un minimum de 206 à 2060 euros par an.

On imagine bien que quelqu'un qui gagnerait 1500 euros par an en activité complémentaire ne peut décemment pas payer 2065 euros. Pour l'instant, les personnes dans cette situation ont été exonérées de manière dérogatoire par les deux gouvernements qui se sont succédés. Il faut l'inscrire dans la loi, et rendre la taxe proportionnelle au chiffre d'affaires, cela respecterait la logique du régime. C'est à l'agenda des réformes en principe.

Ce régime d'entreprise s'adresse à tous et permet à des petites gens d'essayer quelque chose, c'est pourquoi je le défend bec et ongle.

Ce régime a généré de l’activité et derentrées d'argent dans les caisses de l'Etat. D'après les chiffres, on assiste à un repli du nombre d'auto-entrepreneurs et de déclarations. Les aspirants à l’auto-entreprise sont certainement dans l'expectative. Ceux qui se sont lancés doivent se demander à quelle sauce ils vont être mangés.


Propos recueillis par Julie Mangematin

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