Comment les films blockbusters pourraient finir par couler Hollywood<!-- --> | Atlantico.fr
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Superman.
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Sous l'eau...

Lone Ranger, Pacific Rime : les derniers blockbusters américains n'ont pas su générer l'engouement dans les salles de cinéma. Hollywood, grand producteur de ce genre de film est-il en train d'en faire trop ? En tout cas, c'est ce que dénoncent Steven Spielberg et Georges Lucas.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Atlantico : Le dernier film de Johnny Depp, Lone Ranger est un flop outre-atlantique, Pacific Rim ne mobilise pas les foules non plus. Les deux grands cinéastes G. Lucas et S. Spielberg ont dénoncé les sommes astronomiques dépensées pour les blockbusters américains. Le modèle des blockbusters et des franchises sont-ils à bout de souffle comme le pensent les deux réalisateurs ?

Clément Bosqué : Hollywood a un problème de créativité. Si les gens ne vont plus au cinéma, c’est parce que les films qu’on leur sert ne méritent pas qu’on se déplace. Ce n’est pas un hasard si le producteur de Lone Ranger, Jerry Bruckheimer se trouve être l’acolyte de Don Simpson (1943-1996), producteur cocaïné notoire et inventeur du « high concept » : « une première partie tendue avec une péripétie palpitante, une deuxième avec la crise et la traversée de l’obscurité qui mettent le héros à l’épreuve et puis le troisième acte, celui du triomphe et de la rédemption du héros¹ ».

Lucas et Spielberg eux-mêmes ont beau jeu de faire leurs oiseaux de malheur, après avoir inventé le blockbuster comme genre (Les Dents de la Mer, 1975 et Star Wars, 1977), et bien usé de la formule. Reste que leur diagnostic est le bon : la répétition de formules balisées ne suffit plus à attirer les spectateurs au cinéma. L’offre est d’une qualité trop médiocre, et trop chère, pour répondre correctement à la demande. La question n’est pas de savoir si Hollywood devrait faire des films plus « européens », comme disent les américains pour dire esthétique et intello (d’ailleurs, nous européens si prompts à voir dans les films venus d’Hollywood des produits du formatage impérialo-capitaliste, on ne se doute pas à quel point, en réalité, de nombreux américains tiennent Hollywood pour un bastion de communistes acharnés à critiquer leur pays !). 

Il ne s’agit pas de faire ce que Spielberg appelle du « fringe-y », du « décalé », mais de savoir prendre un minimum de risques ! Recycler les succès passés, gonflés de scènes de sexe ou de violence convenues, ne fonctionne plus. Les sempiternelles préquelles et autres séquelles ne sont pas sans… séquelles, justement : Hollywood plafonne, et ses revenus continuent à baisser².

Quelles seraient les conséquences d’un effondrement d’Hollywood : augmentation de la VOD, place libre pour une autre forme de cinéma… ?

Spielberg et Lucas prédisent un nombre de salles de cinéma moins important, des places plus chères et, en effet, c’est peut-être le modèle de la salle de cinéma qui est en jeu. Pourquoi payer si cher pour être mal assis dans une salle glacée, sans compter le prix exorbitant des boissons, pop-corns, glaces etc., alors qu’on est si bien chez soi – et pour bien moins cher ? On pourrait donc avoir l’impression que la vidéo à la demande, sur les plateformes comme Lovefilm ou Netflix, ou sur des clouds via les tablettes, les consoles etc. va prendre le relai de la traditionnelle salle de cinéma. Certains suggèrent même d’abandonner carrément la distribution en salle. 

Mais si ces stratégies permettent de baisser le prix de vente et de toucher d’autres publics, elles n’apportent pas de solution au problème de la qualité, pas plus que le DVD, le Blue-ray ou cette vieille astuce des années 1950, la 3D (Bwana Devil en 1952, Creature of the Black Lagoon, 1954). Ensuite, les films coûtent encore trop cher pour qu’Hollywood puisse se passer des revenus engrangés par les sorties en salles, quand bien même ceux-ci sont à la baisse. D’autre part, les studios vont devoir entrer en concurrence avec les chaînes de télévision telles que HBO qui ont bien compris le potentiel de ces nouveaux canaux.

Va-t-on vers un modèle où les films à petits budgets feraient leur retour ? Ou bien est-ce que les films vont rester plus longtemps à l’affiche, et faire du cinéma une sorte de théâtre ?

Oui, on imagine assez bien le cinéma en salle devenant, à l’instar du théâtre, un divertissement apprécié de quelques-uns, et plus guère une industrie de masse. Quant aux films à petits budgets, il est tentant d’imaginer un retour aux débuts du cinéma, avant l’ère des « moguls » hollywoodiens. 

Mais il n’est pas certain que ce qui détermine la qualité soit le budget, qu’il soit colossal ou au contraire, modeste. Il faut le redire : « au bout du compte, c’est l’histoire qui fait tout », comme le rappelle le producteur Evan Ferrante³.

Lui imagine à Hollywood le développement de petites start-up à même de financer des projets moins formatés, en partenariat et en parallèle au système des grands studios, concentrés sur des recettes éprouvées. Celles-ci resteraient le « matelas de sécurité » de l’industrie : de fait, tout indique que Hollywood n’a pas l’intention de renoncer au système des franchises (4); avec des Jurassic Park 4, Terminator 5 et autre Avatar 2 au programme les années qui viennent…

Les séries hollywoodiennes fonctionnent très bien et sont très créatives. L’avenir d’Hollywood est-il à la télévision ?

A l’origine, dans les années cinquante, le modèle du blockbuster, avec ses effets spéciaux spectaculaires, a été développé en réponse, justement, à l’invasion des postes de télévision dans les domiciles. Mais c’est un fait : les vrais artistes de l’écriture sont aujourd’hui sur la chaîne HBO, et les autres. George Lucas lui-même le reconnaît. Et ils entraînent avec eux le marché, c’est logique. La télévision a de nombreux atouts : là où le cinéma, pour ses marges, dépend des ventes de popcorn et est obligé de dépenser des millions de dollars en publicité pour capter un public éclaté sur des canaux de plus en plus nombreux (auparavant les relais médiatiques se limitaient à une ou deux chaînes de télévision), une chaîne comme HBO n’est pas contrainte de complaire à un réseau de distributeurs dont le principal souci est de séduire le grand nombre de spectateurs, au prix de l’originalité. 

Avec 1,5 milliards de profit annuel, la chaîne a largement les moyens de tenter des choses plus risquées, plus adultes. Pour le plus grand plaisir de ses 40 millions d’abonnés fidèles (5).Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance du jeu vidéo dans les années à venir, qui pourrait poursuivre une fusion déjà entamée avec le cinéma, l’interactivité en plus (6). Ce n’est pas encore la fin d’Hollywood.

Propos recueillis par Manon Hombourger

1 High concept : Don Simpson and the Hollywood culture of excess, Charles Fleming, Main Street Books, 1999.

2 “Hollywood : split screens”, The Economist, 23/02/2013.

3 Lori Kozlowski, “The Future of film”, Forbes Magazine, 08/03/2012.

4 Marie-Noëlle Tranchant et Eric Bietry-Rivierre, « Hollywood passe un été maussade en France », Le Figaro, 07/08/2013.

5 Comme l’explique Adrien Horn dans « Hollywood’s business model is broken. Prepare for the fall of the movie industry », The Telegraph, 01/11/2010.

6 « Et si l’avenir de Hollywood était dans les consoles ? », Lejournaldessorties.com.

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