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L’utilisation des cartes de crédit a permis d’éviter les balbutiements des premiers pas dans l’euro.
L’utilisation des cartes de crédit a permis d’éviter les balbutiements des premiers pas dans l’euro.
©Reuters

Sens des réalités

L'utilisation intensive de la carte de crédit amène une dématérialisation poussant certains consommateurs à des dépenses inconsidérées.

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport est psychosociologue et dirige le Cabinet d’études DRC, spécialisé dans l’évolution des modes de vie et de la consommation, via une approche ethno-qualitative, auprès des consommateurs et d’équipes managériales en entreprises.

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Le 1er Janvier 2002, trois ans après son lancement effectif les Français découvrent l’euro, en billets et pièces sonnantes et trébuchantes. Ils palpent, comparent, examinent, mettent en poche, jouent à la marchande, tendent parfois la main pour que les commerçants fassent le tri. Ils apprennent la nouvelle monnaie quand ils la prennent en main, et dans un lien tangible avec les vendeurs. Cela dit, si le fonctionnement de l’euro s’est mis en place, il n’en va pas de même pour sa valeur et celle des prix, dont on est loin de comprendre encore ce qui s’y cache et quel est leur sens ! Et précisons que l’utilisation des cartes de crédit a permis d’éviter les balbutiements des premiers pas dans l’euro…

La nécessité de différencier la valeur de "l’argent" de celle de la "monnaie", via le "cash" ou sa dématérialisation (cartes de crédit, Internet, mobile…) se pose ici. La valeur, le sens de l’argent, des objets, du prix, de la dépense, est une autre affaire que celle des moyens de paiement. Pour preuve, l’émergence de nouvelles monnaies d’échange (y compris le troc !), mais aussi le retour souhaité aux magasins où l’échange, le conseil, la connaissance des métiers, signifient le retour à la valeur des choses, par une relation plus concrète, plus personnalisée à l’argent et donc au vrai commerce et ses "lettres de noblesse".

Le paiement virtuel suscite des craintes et des suspicions pour qui maîtrise mal leurs budgets, et des questions justifiées pour ceux qui en savent plus. Parce que c’est plus rapide et facile, certaines acheteuses que nous interrogeons disent leur peur de "flamber" leur carte par excès de tentations, et évoquent la sensation d’être prises au dépourvu face à leurs relevés bancaires ! Quel est cet argent qu’on ne voit pas, existe-t-il vraiment, est-ce du "vrai argent" ?

Si, comme l’évoque l’article de Derek Thompson (Juin 2013) "Yes, Credit Cards Are Making You a Bad Person", la dématérialisation incite à la déresponsabilisation – allant même jusqu'à l'achat plus important de nourriture mauvaise pour la santé et favorisant l'obésité – la perte de maîtrise de son budget, de l’échange, et un rapport au temps centré sur le présent, c’est que la "grammaire de l’argent" n’a pas été apprise : gestion de son budget, mais en contrepoint  prix "juste" et justifié. Ce qui facilite l’hyper-consommation et la vie des organismes de crédits, qui fonctionnent à la fois sur l’ignorance des débiteurs (taux d’intérêt, budget, la fausse gratuité de la "réserve" etc.), et le fantasme d’illimité. Celui-ci s’explique par une pulsion de consommation (impulsive, compulsive parfois) combinée aux besoins, sans cesse stimulée et souvent réalisée dans l’ici et maintenant d’une signature ou d’un clic.

Cette dématérialisation de l’argent obéit plus aux rouages complexes de la financiarisation mondiale qu’aux temps humains de la réflexion, de l’équilibrage entre projets/projection dans l’avenir (responsabilité, engagement…) et satisfaction au présent. Elle met en exergue la notion essentielle de "limites", plus visibles quand il s’agit de sortir ses billets. Cette notion de limites met en lumière d’autres difficultés face à l’argent : connaissance de sa situation financière, évaluation de la part de dépenses courantes et d’épargne, tri de ses besoins et désirs.

Mais le paiement virtuel, s’il est impersonnel et déconnecté, s’il fonctionne sur la magie d’un "tout, tout de suite", est aussi un marqueur social – droit d’usage, appartenance –. Il ne doit pas devenir un bouc émissaire de maux dénoncés dans l’article pré-cité, mais retenir l’attention de chacun – offreurs compris ! – pour favoriser un rapport à l’argent comme valeur, mesure des choses, et à ses "moyens" (liquides et virtuels) pour le faire circuler, pour féconder l’avenir et le présent.

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