Pourquoi sans étiquette ni prix la plupart des gens (y compris les œnologues) ne font pas la différence entre les vins <!-- --> | Atlantico.fr
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Les consommateurs différencient difficilement le bon vin du mauvais.
Les consommateurs différencient difficilement le bon vin du mauvais.
©Reuters

Piquette vs grand cru

Des universitaires français et américains ont même jeté le doute sur la capacité des dégustateurs professionnels à juger les vins de manière cohérente et équitable.

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 200 000 abonnés.

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Atlantico : Plusieurs expériences, relayées par le quotidien britannique TheGuardian (lire ici), ont montré que les consommateurs différenciaient difficilement le bon vin du mauvais. Même les experts ne seraient pas en mesure de juger précisément la qualité d'un cru. Le jugement porté sur la qualité d’un vin est-il forcément subjectif ? Peut-on parler de science exacte concernant le goût ?

Fabrizio Bucella : Il s'agit de la première question à se poser. Si l’on prend individuellement un juge ou un dégustateur, la dégustation peut être considérée comme une expérience qui n’est, dans la plupart des cas, ni reproductible, ni robuste. Et la reproductibilité d’une expérience est le critère primordial dans la démarche scientifique. Cela signifie que le dégustateur devrait pouvoir reproduire de manière fiable les mêmes résultats lors d’expériences successives. La robustesse signifie que des petites variations dans les conditions initiales ne produisent pas de grands changements dans les résultats. Ces conditions peuvent être le moment de la dégustation ou bien la température de service. On pourrait même considérer l’expérience de la dégustation comme scolastique, ce qui est tout le contraire de la démarche scientifique moderne. En effet, une information dite d’autorité vient modifier la perception du dégustateur, comme la renommée d’un château ou d’un cru par exemple.

Que reste-t-il alors de la dégustation ?

Fabrizio Bucella : Après cette déconstruction  qui montre la subjectivité de l’expérience de la dégustation, il faut bien avouer que des fondamentaux restent. Un grand vin sera considéré comme tel par de nombreux dégustateurs. Lorsqu’on effectue des tests triangulaires sur des panels entrainés (ou non d’ailleurs) constitués d’un grand nombre de juges, les résultats sont souvent cohérents. Par exemple, si l’on fait goûter un grand vin en présence de deux petits (ou l’inverse), rares seront les dégustateurs qui ne parviendront pas à distinguer le vin considéré parmi les trois proposés. Enfin, la dégustation n’est pas pour moi la recherche d’une vérité unique. La subjectivité de celle-ci est consubstantielle à la diversité des goûts et des opinions. Il existe plusieurs goûts et plusieurs préférences. Ce n’est pas parce que l’on préfère l’art roman à l’art gothique que le deuxième est de moindre qualité.

Doit-on donner une importance primordiale au jugement des vins par les juges ? Quels sont les critères pour distinguer un vin d’un autre?

Fabrizio Bucella : Dans mes cours d’enseignement sur l’art de la dégustation, j’insiste toujours sur le fait suivant. Déguster un vin signifie en réalité de pouvoir le décrire, de verbaliser des sentiments ou des émotions, tout en connaissant ses caractéristiques ; c’est-à-dire en ayant l’étiquette visible pour être clair. Il est donc primordial de réussir à dépasser l’angoisse de la description, à savoir comment parler du vin. C’est un apprentissage assez long qui consiste également en une formidable exploration de ses propres goûts et affinités. A ce stade, il est plus aisé de retirer avec esprit critique des informations utiles des guides de dégustation ou des descriptions de certains critiques célèbres.

En 2008, une étude menée  par Robin Goldstein, critique gastronomique américain, a mis en évidence un lien entre le prix du vin et le nombre de personnes l'appréciant. Le prix est-il forcément un gage de qualité pour le vin ?

Fabrizio Bucella : Les études de ce type ne manquent pas. Il a même été montré en faisant passer des sujets dans des scanners IRM que le prix supposé d’un vin n’influence pas seulement la perception subjective des dégustateurs, il provoque également une modification de l’activité du niveau d’oxygène du sang dans le cortex orbi frontal médial, une aire du cerveau dont il est admis qu’elle code le plaisir lors de ce type de tâches. Les dégustateurs qui goûtent un vin considéré plus cher n’ont pas seulement une impression de plaisir supplémentaire, ils en éprouvent réellement plus de joie.

Quelles sont les pistes pour améliorer la qualité de juger le vin ?

Fabrizio Bucella : Des critères simples permettent d’augmenter de manière significative le jugement rendu sur des vins. Bien entendu les vins doivent être dégustés à l’aveugle. Les juges devraient tous être soumis à des formations et évaluations régulières. Enfin, il faudrait laisser les juges seuls face à leur pupitre lors de la dégustation et bannir les tables dites "à la parlante", où ceux-ci discutent entre eux. Il est en effet prouvé, que des dynamiques de groupes et de leadership interviennent alors ; celles-ci perturbent également le jugement. Enfin, il faudrait toujours privilégier le grand nombre de juges au dégustateur individuel. C’est la pluralité des notations qui reflète la pluralité des goûts. Il existe d’ailleurs plusieurs classements et  un grand nombre de critiques. C’est une bonne chose. Ceux-ci reflètent différentes approches et préférences. 

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