IP tracking : comment les sites de voyage en ligne nous prennent pour des pigeons <!-- --> | Atlantico.fr
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Le "profilage" de l’internaute est autorisé.
Le "profilage" de l’internaute est autorisé.
©Reuters

À la tête du client

La Cnil et la DGCCRF ont déclaré vouloir enquêter sur une pratique méconnue des e-voyagistes : fixer le prix des billets selon les informations de navigations de l’internaute. Va-t-on voir le vieux principe commercial du « prix à la tête du client » se généraliser dans les achats automatisés sur le web ?

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin est directeur au sein du cabinet Nextmodernity et blogeur. Il est un des spécialistes français de l’évolution conjointe des modes de travail et des technologies.

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Atlantico: Nous apprenons que les sites voyagistes recourent à une technique permettant de moduler le prix des billets selon la navigation antérieure de l’internaute. Qu’est-ce donc que cette technique de l’IP-tracking et comment fonctionne-t-elle?

Bertrand Duperrin: Il s’agit simplement de suivre la navigation de l’internaute pour en déduire son « profil » et faire varier les prix en conséquence. Cela recouvre un certain nombre de pratiques. La première est de déduire son profil, son pouvoir d’achat, des sites qu’il a fréquenté. La seconde est d’enregistrer l’adresse de sa machine lorsqu’il fait une recherche de prix et, lorsqu’il revient, le reconnaître et faire augmenter le prix à chaque recherche pour lui donner l’impression qu’il doit se décider au plus vite. C’est une pratique connue : il y a plus d’un an un voyagiste s’était fait remarquer pour proposer des tarifs plus chers aux utilisateurs de mac en raison de leur pouvoir d’achat soit-disant supérieur.

Cette pratique est-elle autorisée ? Si oui, comment l'expliquer ?

N’étant pas interdite les voyagistes diront qu’elle est autorisée. En fait on est dans une zone de flou que les autorités veulent justement éclaircir. Le « profilage » de l’internaute est autorisé : c’est ce qui fait qu’on voit certaines publicités s’afficher en fonction des recherches qu’on a pu faire et des sites qu’on a visité. Si vous allez sur le site d’un vendeur d’appareils photos, attendez vous à être harcelés de publicités pour ce type d’appareil dans les jours qui suivent. Par contre se servir du profilage pour faire varier les prix est plus discutable. D’abord au regard du droit car il signifie des prix « à la tête du client » et tout simplement au niveau de l éthique commerciale.

Ce qui pose question est le caractère automatisé de la chose. D’un point de vue commercial, « hors web » il est normal pour une entreprise ou un commercial d’essayer de déterminer jusqu’où il peut aller avec tel ou tel prospect. Mais on est entre professionnels et sur des prestations à chiffrer, ce qui rend la situation totalement différente.

Dans quels autres cas l’utilise-t-on ? Comment peut-il être utilisé afin de maximiser ses profits voire de desservir l’internaute ?

Au départ le profilage a été montré comme une pratique au service de l’internaute dont on disait qu’il n’avait rien contre la publicité, qu’il voulait seulement qu’elle soit ciblée. Le procédé avait donc quelque chose de « gagnant-gagnant » et, agaçant ou pas, on vit avec au quotidien. Davantage que la publicité, ce sont les données recueillies qui amènent tout de même à se poser des questions sur le respect de la vie privée et où elle s’arrête.

Cette pratique ne dessert pas l’internaute – sauf bien sur à considérer que le fait même de voir des publicités nuit à son confort de navigation – et est supposée permettre aux annonceurs d’optimiser le retour sur investissement de leurs démarches publicitaires.

On peut également profiler un internaute pour lui proposer, lorsqu’il revient sur un site, de retrouver la page, l’étape et les contenus sur lesquels il était lors de sa dernière visite, lui proposer ses contenus préférés. Cela n’a rien de répréhensible, encore une fois, sous réserve des informations collectées.

Là on passe clairement à l’étape supérieure puisqu’on touche au prix et c’est ce qui pose problème. Que l’entreprise maximise ses profits n’est pas un problème mais qu’elle le fasse en appliquant des pratiques discriminantes aux internautes l’est.

La CNIL n’a jamais condamné le profilage même si elle l’encadrait et le fait que la DGCCRF s’en même le montre : ça n’est pas la pratique du profilage qui est condamnée mais le fait qu’il impacte un élément fondamental de la relation commerciale, le prix, et ce de manière automatisée et non transparente.

Comment l'internaute peut se protéger ?

Techniquement parlant certaines extensions à ajouter à son navigateur permettent de brouiller les pistes. Après, selon le niveau de maitrise de l’internaute, il est possible de recourir à des services plus ou mois évolués et complexes à mettre en œuvre : navigation privée, VPN, etc. La réponse n’est pas unique car les moyens mis en œuvre recouvrent des informations de nature différente : reconnaissance de la machine, historique de navigation, etc.

Il est également possible d’utiliser des terminaux différents pour faire ses recherches et, ensuite, pour réserver. Cela va jouer sur une partie des pratiques mais n’empêchera le profilage en fonction de la machine etc.

En tout état de cause la réponse ne doit pas être que technologique car il y aurait ceux qui savent se protéger et les autres. Elle doit être réglementaire s'il est avéré que la pratique est illégale mais se posera la question d’une réaction nationale à des pratiques mises en œuvres internationalement par des acteurs étrangers. Enfin on peut imaginer une réaction « industrielle » des acteurs du commerce en ligne qui, soucieux de leur image, s’imposeraient une sorte de charte éthique ou que ceux qui ne pratiquent pas l’IP-tracking le signalent sur leur site. Un peu comme les labels qualité des restaurants.

La solution peut donc se trouver sur trois plans : technique, juridique et éthique.

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