De la sidération espagnole à la sérénité allemande, l’image incontestable d’une Europe à plusieurs vitesses <!-- --> | Atlantico.fr
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Pour 60% des Européens, la crise a aggravé les difficultés qu’ils connaissaient jusqu’à présent.
Pour 60% des Européens, la crise a aggravé les difficultés qu’ils connaissaient jusqu’à présent.
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Série "Les Européens face la crise"

Comment les Européens réagissent-ils à la crise ? Publicis Groupe a mis en place en 2013 une enquête auprès des classes moyennes supérieures en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne.

Véronique  Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier ont créé en mars 2007 FreeThinking, laboratoire de recherche consommateur 2.0 de Publicis Groupe.

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Comment les Européens réagissent-ils aujourd'hui à la crise ? La voient-ils s'aggraver ou s'atténuer dans les années qui viennent ? Comment imaginent-ils la sortie de crise pour leur pays - grâce à quels atouts, avec quels acteurs ? A quelles réformes sont-ils prêts, pour faire repartir la croissance et reculer le chômage ? Quelles mesures leur semblent nécessaires, acceptables, indispensables - ou au contraire inutiles, voire contre-productives ? Enfin, comment et jusqu'où sont-ils prêts à changer, dans leur vie quotidienne, pour s'adapter à ces temps nouveaux ?

Publicis Groupe a mis en place en 2013 une enquête qualitative online menée par FreeThinking, auprès de 5 communautés de classes moyennes supérieures en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne, qui a réuni plus de 400 contributeurs pour un total de 2986 posts. C’est une plongée au cœur de la parole de ces Européens que constitue cette étude qualitative dont les résultats détaillés sont livrés ici. Une plongée qui dresse un portrait de cette Europe qui se scinde en un Nord et un Sud dérivant loin de l’un de l’autre.

Pour 60% des Européens, la crise a aggravé les difficultés qu’ils connaissaient jusqu’à présent. Mais ces 60% deviennent 79% en Italie, 72% en Espagne, 40% en seulement en Allemagne, 48% en Grande-Bretagne… Et 54% en France.

Ce que la parole des Européens nous dit de ces premiers chiffres très divergents est clair : c’est à des perceptions opposées de la crise que nous avons affaire. Pour les Européens que nous avons interrogés, la crise commencée en 2008 n’a ni le même impact sur leur vie personnelle et sur leur pays, ni les mêmes causes, ni les mêmes conséquences prévisibles dans un proche avenir.

Des impacts différents.

C’est la dimension la plus différenciante, de loin, avec des modèles d’appréhension spécifiques à chacun des 5 pays étudiés, même si la France et l’Italie partagent des traits communs :

La sidération « continue »

C’est le modèle espagnol. Une phrase clé : « on n’aurait jamais cru en arriver là ». Un moral catastrophiquement mauvais, avec la perception de n’avoir JAMAIS connu pire période (même sous le franquisme…), un découragement souvent exprimé par rapport à une situation qui perdure sans aucune perspective d’avenir engageante et une précarisation galopante, incarnée par la crainte très forte de perdre son logement, au-delà même du chômage. Incarnée aussi par des arbitrages de consommation sévères et déjà effectués (au détriment des déplacements, des loisirs et vacances, du textile). Tout ceci est exprimé avec une violence extrême à l’égard des élites économiques, politiques et même assez souvent de la famille royale : on parle de sanctions, de prison, de bannissement…

« Jamais, dans ce pays, nous n’avons vécu de crise si profonde ; nous avons tous un membre de notre famille au chômage ou en difficulté, financièrement parlant. Il y a cinq ans, si quelqu’un m'avait dit que nous tomberions si bas, je ne l’aurais pas cru, les banques ne font plus crédit, les familles ne peuvent pas payer leurs hypothèques, on expulse tous les jours des tas de gens de chez eux, nous sommes tous touchés, de près ou de loin. » - Espagne

« il faut que ceux qui en croquent sachent que leur vie va changer, qu’ils risquent la destitution permanente et la prison, et il faut que ça se produise. C’est lorsque nous aurons réussi à mettre ça en place qu’il faudra demander des sacrifices, et non pas commencer par la facilité » - Espagne

La saturation : c’est le modèle italien et français.

La phrase clé : « ça ne peut plus durer». Le moral est moins catastrophique qu’en Espagne, la violence moins extrême (même dans les demandes de sanctions vis-à-vis d’élites perçues comme totalement corrompues en Italie). Des participants qui se décrivent comme accablés d’impôts, accablés aussi par l’impression de vivre un déclin continu et de porter tout le poids du pays sur leurs seules épaules, contraints de plus de restreindre sévèrement leur consommation. Angoissés à l’idée de perdre leur emploi demain, de ne pas pouvoir vieillir dignement après-demain. Une perception très aigüe de la désindustrialisation, cristallisée par exemple en Italie autour de l’idée de « l’Italie qui ferme », ou qui part à l’Est. En France comme en Italie, la perception pour soi comme pour son pays que l’on est « à l’os» : au prochain coup dur, il n’y a plus de ressources à mobiliser, plus de marges de manœuvre pour éviter le déclassement individuel définitif ou le déclin irréversible pour le pays.

« La crise n’est pas tout à fait complète. Elle est encore devant nous. De plus les politiques cachent la vraie vérité. Et je crois qu’en 2014 ça va exploser en France et ce sera très dramatique. Car la population sera vraiment appauvrie. L’état devrait montrer l’exemple au lieu d’avoir un discours et des actions opposées. Les Français seront surpris lorsqu’ils vont recevoir l’avis d’imposition sur les revenus en août 2013. Quel scandale… Moi actuellement j’économise pour affronter les conséquences de la vraie crise. » - France

« La France est triste parce que ça fait 10 mois que l’on est sur un bateau qui tangue, sans cap, dans le brouillard, avec un équipage incompétent » - France

« Ce qui m’attriste le plus, quand je me balade dans les rues de ma ville, c’est le nombre de rideaux qui se baissent jour après jour, les usines qui ferment, les artisans qui arrivent à peine à garder la tête hors de l’eau, l’atmosphère très triste que l’on respire, cette impression d’absence totale d’envie de lutter, ce climat de résignation, c’est ce qui m’effraie le plus. » - Italie

Le calme dans la tempête

C’est le modèle britannique. Une perception très spécifique et plus facile à assumer, malgré la précarisation décrite par beaucoup de participants (avec notamment la crainte de perdre son emploi, très présente) : celle d’une crise qui est dure et implique des restrictions de consommation, mais d’une certaine façon « déjà vue », gérable, due essentiellement au comportement des banques (coupables d’avoir d’abord spéculé, puis coupé les robinets du crédit). La phrase clé : « c’est difficile mais le business va repartir ». La volonté de ne pas paniquer et de garder l’initiative, d’une façon ou d’une autre, est très forte. Cette capacité à ne pas paniquer est du reste reconnue également au Gouvernement et aux élites en général, même si leurs décisions peuvent être contestées.

« People have tightened their belts and spending has dropped so we are in a spiral of decline whereby less spending leads to further loss making companies leading to more job losses, ad infinitum. Very circular. The fact is that the debt to income ratio is at its lowest point for generations and we have super low interest rates; so part of the “savings” trend is induced only by fear. I’m being optimistic that things will get better – these things are (historically) cyclical. » - UK

La sérénité

C’est le modèle allemand, unique et en total décalage avec le reste de l’Europe. La phrase clé : « honnêtement, la crise je ne l’ai pas remarquée ». Une perception qui se caractérise globalement, et malgré des inquiétudes ou des insatisfactions ponctuelles (sur les « mini-jobs », l’absence de salaire minimum, notamment), par une très grande confiance dans l’économie et le système social allemand. La reconnaissance aussi d’une bonne gestion de la crise, quand elle a eu lieu, à travers des mesures très consensuelles qui ont permis de la juguler et d’en sortir très vite, notamment le chômage partiel et dans une moindre mesure la prime à la casse. Une crise qui est aujourd’hui terminée en Allemagne, et qui n’existe plus que comme un lointain écho, aux frontières…

« Honnêtement, je dois dire que j'ai suivi tous ces événements mais que personnellement, je n'ai rien remarqué de la crise. On sait très bien qu'il y a de très gros problèmes mais ça a l'air tellement irréel car ça ne nous touche pas. Comme une guerre très éloignée. » - Allemagne


Des visions de l’avenir différentes elles aussi.

De façon plus prospective, les visions de l’avenir proche exprimées sont elles aussi très divergentes. De façon schématique, on peut regrouper ces visions de l’avenir en 3 groupes :

Ceux pour qui « le futur n’a pas d’avenir, ou si peu ».

C’est l’Europe du Sud, la France apparaissant « en retard » par rapport à l’Espagne et l’Italie, mais suivant la même tendance. On voit se mettre en place dans les discussions entre participants l’idée que la situation est peut-être en train d’atteindre un point de non-retour. Cette idée du point de non-retour possible est spectaculairement exprimée  en Italie et en Espagne, notamment, dans les nombreux posts portant sur l’émigration, présentée comme une solution de plus en plus réaliste voire inévitable notamment pour les jeunes. Dans les 3 pays mais avec une acuité plus forte en Espagne qu’en France et en Italie, apparaît aussi de façon très forte le sentiment d’humiliation. On n’est plus « sujet » de sa propre histoire. On devient « un pays du Tiers Monde », la situation est terrible et sera pire demain (Espagne), on est dans le « moins » pour très longtemps et le pays est dirigé par A. Merkel (Espagne, Italie), le pire est à venir et plus très loin maintenant, il faut se mettre à l’abri quand il est encore temps (France).

« La crise économique que traverse la France me fait très peur, il ne faudrait pas que la situation devienne comme en Grèce ou en Espagne…Je pense pourtant sans être pessimiste que nous en prenons bien le chemin avec le gouvernement actuel, le PS est au gouvernement en Grèce tout comme en France depuis presque 1 an… » - France

« Je crains malheureusement que nous ne sortirons pas de cette crise parce qu’il n’y a pas, en Italie, les conditions pour le faire à court terme (dans les cinq prochaines années) et j’espère que mes enfants réussiront à trouver un travail dans un pays (étranger) où les conditions sont meilleures » - Italie

« Pourquoi étudier ? Ceux qui gagnent bien leur vie, ce sont les célébrités. Pourquoi étudier ? Au bout du compte, seuls ceux qui volent gagnent bien leur vie. Pourquoi étudier ? Pour que l'Allemagne aille mieux ? Pourquoi travailler, pourquoi faire des efforts, pourquoi améliorer la productivité ?... puisqu’au bout du compte, je n’aurai pas de retraite ? Pourquoi faire des efforts ? … Puisque demain, peut-être,  mon chef décidera que je gagne trop et me fichera dehors, parce que je ne suis pas rentable. POURQUOI … » - Espagne

Ceux pour qui « le futur n’est pas facile, mais entre nos mains »

Ce sont les Britanniques. Une expression clé, directement issue du blog : « fairly resilient ». Avec une idée très ancrée qui émerge des discussions : celle de responsabilité individuelle. Au final, pour l’immense majorité des participants, émerge clairement l’image d’un pays et de citoyens qui ne sont pas en très bonne posture économiquement, mais qui gardent malgré tout la maîtrise de leur destin. Et qui ont heureusement échappé à une intégration européenne qui la leur aurait fait perdre…

« The country’s situation seems to be a lot better than other European countries because we’re not tied into policy by the Euro. We still have full control over our own destiny as it were. I anticipate things will get better especially when the ConDem government get booted out of office, when everyone realises what a shambles they are » -  UK

Ceux pour qui « le futur s’annonce bien »

Ce sont les Allemands. Une phrase clé : « nous allons bien et sommes préparés ». Des participants qui se rejoignent globalement autour de 2 idées : bien sûr, il y a des problèmes qui peuvent ou qui vont apparaître à l’avenir, notamment  ceux liés à la retraite avec des taux d’intérêts bas ; mais nous pouvons nous préparer à y faire face sereinement parce que nous avons le temps et des structures de dialogue qui marchent (entreprises, Etat, syndicats…).


« L'Allemagne est toujours la locomotive de l'Europe et toujours la n°1 en ce qui concerne l'économie. (…) Dans l'ensemble, je pense que l'Allemagne peut être comptée parmi les gagnants (s'il y a quelque chose à gagner de la crise) » - Allemagne

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