L'erreur à 1500 milliards d'euros... la lutte contre l'inflation en Europe est-elle allée beaucoup trop loin ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les objectifs de lutte contre l'inflation poussent la BCE à pratiquer des taux restrictifs.
Les objectifs de lutte contre l'inflation poussent la BCE à pratiquer des taux restrictifs.
©Reuters

Contre-productif ?

Selon une étude du FMI, relayée par The Economist, les objectifs de lutte contre l'inflation seraient devenus totalement obsolètes. La BCE est-elle en train de faire payer au prix fort une fâcheuse erreur de diagnostic ?

Simone  Wapler et Mathieu Mucherie

Simone Wapler et Mathieu Mucherie

Simone Wapler est rédactrice en Chef desPublications Agora (analyses et conseils financiers). Elle est l'auteur de "Pourquoi la France va faire faillite: et ce que vous devez faire pour en sortir", paru chez Ixelles Editions en mai 2012. Elle a récemment publié Comment l'Etat fait main basse sur votre argent (Ixelles).

 

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

 

 

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Atlantico : Un article paru dans The Economist, "The death of inflation" (voir ici) explique que "dans une étude menée depuis les années 1960 sur 21 pays riches, le FMI démontre que l'évolution du chômage (et ses conséquences en termes de salaires, de demande..., ndlr) influence désormais moins fortement l'inflation que par le passé". Le lien entre l'inflation, l'emploi et plus généralement l'économie réelle serait plus faible qu'auparavant. La lutte contre l'inflation est-elle devenue obsolète ?

Simone Wapler : L’inflation est la hausse de la quantité de monnaie, sous toutes ses formes, qui vient chasser les biens et services fournis par une économie. Il est admis dans les manuels d’économie que l’inflation provoque une hausse généralisée des prix des biens et services. Ce que montre The Economist, c’est le phénomène dit de mondialisation qui a cassé la mécanique classique inflation puis hausse des prix puis hausse des salaires.

L’inflation monétaire a été exportée dans les pays dits émergents dans lesquels des biens et services étaient produits à moindre coût, puis importés dans les pays émetteurs de monnaie. Résultat : la hausse des prix a été contenue tandis que les réserves de change des pays émergents ont gonflé de façon démesurée et malsaine.

Mathieu Mucherie : Dans son article, The Economist part du point de vue que nous avons traversé une crise dont les conséquences ont été une succession de chocs terribles : effondrement des produits, hausse du chômage importante, etc. Mais malgré cela, il n’y a pas eu de déflation.

De mon point de vue, cette rupture entre inflation et économie réelle n’a pas de sens. L’inflation à laquelle il est fait référence est l’inflation officielle, soit le panier de la ménagère, le prix des biens et services. En d’autres termes, l’indice des prix et de la consommation.

Force est toutefois de reconnaître que cet indice n’a aujourd’hui plus beaucoup de signification, puisque nous sommes aujourd’hui dans une économie financiarisée. De fait, l’inflation ne peux pas avoir la même mesure de l’inflation qu’il y a 50 ans. Il faut tenir compte du prix des actifs (immobilier, actions, etc.). Or le prix des actifs a beaucoup baissé. Aux États-Unis par exemple, l’immobilier résidentiel a perdu en moyenne 35%. En Espagne, la baisse est de l’ordre de 50%.

L'inflation n'est donc pas décorrélée de l'économie réelle. Mais il n'y a plus d'inflation. L'étude du FMI est bien intentionné, elle est intéressante, mais comme elle se base sur les données officielles qui n'ont aucun sens économique, sa conclusion est tronquée.

  1. Les banques centrales – notamment la BCE dont le principal objectif est de maintenir "l’inflation à des taux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme" – sont-elles "à côté de la plaque" en maintenant des objectifs d'inflation ? Si oui, depuis quand le sont-elles ?

Mathieu Mucherie : En zone euro, le calcul de l'inflation officielle persiste à rester incomplet et lacunaire, tout simplement parce que la BCE ne veut pas parler de déflation. Officiellement, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de déflation en zone euro. Et ce, même au pire moment, entre l’hiver 2008 et 2009, où la chute des actifs était supérieure à celle de 1931.

Concrètement, il n’est pas question de parler de déflation, puisque l’existence de cette dernière remettrait directement en cause le bien-fondé de la politique conduite par la BCE. En clair, cela signifie qu’elle ne fait pas assez de développement de la base monétaire, et donc que la BCE laisse s’effondrer la masse monétaire, entraînant de fait la chute du PIB nominal. 

C’est pour cela que les objectifs d’inflation se situent à 2%. La BCE refuse par ailleurs d’intégrer l’inflation sous-jacente qui élimine certains éléments très volatils comme le cours du pétrole. Quant à la mesure comptable de l’inflation, permettant d’obtenir le PIB réel, elle ne veut pas non plus la prendre en compte. Tout simplement parce que ces mesures montrent moins d’inflation. Pour ce qui est de l’intégration du prix des actifs dans le calcul de l’inflation, il n’en est définitivement pas question. 

Par conséquent, l’inflation est toujours positive en zone euro, et il n’y a jamais eu de déflation officielle. Pour résumer, dans The Economist le FMI affirme que la forte montée du chômage et celle plus faible de l’inflation prouve que le lien est rompu avec l’économie réelle. Pas de chance, le chômage a monté et les prix se sont effondrés ! Simplement, la mesure qu’on utilise des prix ne s’est elle pas effondrée.

Le lien entre hausse du chômage et effondrement des prix est donc toujours existant. Il y a une rigidité à la baisse du prix des salaires qui empêche les salaires nominaux de descendre en-dessous de 0 en 12 mois, exception faite de l’Irlande. Cela n’empêche toutefois pas l’essentiel des prix de baisser. Quand le PIB nominal chute, quand la masse monétaire se contracte, on est en déflation. Inutile de recourir à une inflation négative pour statuer sur la déflation. 

Pour prendre l’exemple de l’Espagne. Il est question d’augmentation de TVA d’année en année pour maintenir une inflation artificielle. C’est toutefois nier les effets récessifs de l’augmentation de la TVA. Car si à court terme, augmenter la TVA permet de maintenir de l’inflation sur l’indice des prix, cela revient à créer de la déflation pour les années futures, et donc une baisse des prix.

Simone Wapler : Une petite inflation serait bonne pour l’économie ? Encore une idée populaire mais fausse. L’inflation est un impôt déguisé qui favorise les emprunteurs et floue les prêteurs, les consommateurs et les épargnants. C’est ce que je détaille dans tout un chapitre de mon dernier livre.

Cependant, pour les gouvernements surendettés, l’inflation est une chose exquise. Elle permet de rembourser en monnaie de singe. Un État emprunte in fine, c’est à dire qu’il rembourse le capital à la fin de son prêt. A 2% d’inflation annuelle durant 35 ans, si l’État a emprunté 100, il remboursera 50. Vous voyez l’intérêt…

Ce qui est bon pour l’économie et donc pour vous et moi, c’est une monnaie saine, exempte de toute manipulation.

Si le diagnostic et la politique suivie par la BCE ne sont pas les bons, à combien peut-on alors en évaluer le coût ?

Mathieu Mucherie : On peut considérer que cette politique nous a coûté les points de croissance que nous avons perdu depuis 4 ou 5 ans. Le trend du PIB nominal était auparavant autour de 4%. Il est aujourd'hui à 0. La différence est à imputer aux banques centrales. Elles sont en principe responsables de la stabilisation de la croissance du PIB nominal, mais cela n'a pas été fait.

Les pertes s’élèvent donc à plusieurs centaines de milliards d'euros, bien que cela soit très difficile à évaluer. On a perdu au moins 100 milliards d'euros de croissance, auxquels s'ajoutent sans doute environ plusieurs centaines de milliards de perte patrimoniale, et plusieurs centaines de milliards en sauvetages financiers. Au total, on arrive facilement à un total de 1500 milliards.

En moins de 5 ans, cette politique a donc coûté l’équivalent du PIB de la France.

Finalement, quelles responsabilités les banques centrales portent-elles dans le déclenchement, la profondeur et la durée de la crise ?

Simone Wapler : Les banques centrales ont tout apporté sauf de la stabilité économique et notamment la Fed. Le miracle de l’inflation sans forte hausse des prix se traduit par plus de 3 000 Mds$ de réserve de change en Chine à fin mars. À cela vous ajoutez 42% de cash en dollar en circulation de plus qu’il y a cinq ans, selon le propre aveu de la Federal Reserve Bank of San Francisco.

Dans une économie mondiale saine et équilibrée, les réserves de changes devraient fluctuer autour d’une moyenne nulle. Les pays exportant les biens ou services qu’ils produisent à un tarif avantageux et important les autres, le tout s’équilibrant bon an mal an. La monnaie revient en boomerang dans son pays émetteur.

Les banques centrales ont créé un système de surendettement dans lesquels certains pays exportent massivement puis financent les dettes de leurs clients. Car les livrets A des banquiers centraux, ce sont les dettes souveraines émises par les pays importateurs, les pays développés et surendettés.

Ce système touche à sa fin, c’est pourquoi cette crise est historique. Nous allons assister à une destruction monétaire massive. La bulle actuelle est celle des emprunts d’États. Plus grave, nous risquons d’assister à un rejet de certaines monnaies et des autorités qui les émettent. Car les dettes ne s’annulent pas. Pierre ne doit pas à Paul ce que Paul doit à Pierre. Pierre doit 1 000 à Paul tandis que Paul doit 1 à Pierre.

Comment M. Li Keqiang, premier ministre de la République Populaire de Chine, va-t-il expliquer à Madame Chang qui trime au fond de sa rizière que son gros client numéro 1, les États-Unis, remboursent leur dette en monnaie de singe et que son gros client numéro 2, en Europe fait de même ? Pensez-vous que cela se passera bien ?

Mathieu Mucherie : Il faut faire une distinction entre les États-Unis et la zone euro. On a beaucoup accusé Alan Greenspan d'avoir alimenté une bulle d'endettement immobilière aux Etats-Unis. Pourtant, les prix n'ont pas monté dans des villes comme Dallas, Tampa ou Houston, qui avaient de la croissance économique et démographique. Les prix ont monté dans d'autres villes où il y avait des restrictions foncières telles que San Francisco, où les prix ont monté puis baissé. Mais dans les villes où il n'y avait pas de restrictions foncières, il n'y a pas eu de bulle et de crash, avec pourtant les mêmes acteurs bancaires et les mêmes taux directeurs.

Je mettrais donc la bulle américaine sur le compte d'un problème de régulation et des restriction foncières qui peuvent parfois être extrêmement élevées. Mais je ne vois pas le lien direct avec les taux d’intérêt, car sur l'ensemble du territoire, les mêmes taux s'appliquaient, la même politique monétaire, et les mêmes acteurs financiers étaient impliqués, or les réactions ont été très différentes selon les villes. Donc, aux États-Unis, je ne mettrais pas Alan Greenspan en grande culpabilité. D'ailleurs, on ne se mettra jamais d'accord sur ce qu'il a fait : certains disent qu'il a tardé à monter les taux, d'autres soulèvent qu'on était alors en quasi déflation et qu'il y avait du chômage. C'est un débat sans fin.

Mais en zone euro, il est incontestable qu'une bulle a été alimentée, et que la BCE n'a rien fait. En Espagne, en Irlande et meme en France une bulle immobilière énorme avec une masse monétaire qui a monté de 12% par a pendant 5 années de suite. Il y avait une vraie dérive. Mais à ce moment la, la BCE qui en général donne des leçons d'orthodoxie a tout le monde n'a rien fait, à part certains en Espagne avec le provisionnement dynamique et les coefficients de réserve obligatoires pour les banques, mais c'est resté homéopathique.

Ensuite, la crise est arrivée, et la BCE, alors qu'elle aurait dû a ce moment là devenir accommodante, est devenue orthodoxe, au moment où il ne fallait plus l’être. Elle applique des restrictions monétaires massives depuis 5 ans alors qu'il faudrait maintenant éponger les dettes, les cantonner dans son bilan et les éteindre. Elle a laissé s'opérer un gigantesque flux de capitaux des pays du Nord vers les pays du Sud lors de la création de la zone euro. Puis les capitaux allemands sont partis de Séville pour revenir à Hambourg, la crise s'est installées dans les pays périphériques. Il faudrait maintenant une détente monétaire pour que les pays périphériques ne partent pas complétement dans le décors, mais la BCE dit non.

Résultats : des spreads de taux qui n'existaient pas auparavant sont apparus sur le marché financier entre la Grèce et l'Allemagne. La situation devient intenable car il y a à la fois beaucoup de dette dans les pays du Sud et des taux beaucoup plus élevés que la croissance nominale. Échec et mat. La banque centrale aurait dû calmer l'engouement pour la dette entre 2002 et 2007, puis récupérer une bonne partie de la dette dans son propre bilan, ne serait-ce que pour de déculpabiliser de ce qu'elle avait laissé faire avant.

Propos recueillis par Olivier Harmant et Julie Mangematin

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