Délinquance, patron voyou, Cahuzac : La république a-t-elle abdiqué face à "ceux qui osent tout" ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Ceux qui tiennent toutes les manettes du pouvoir aujourd’hui, gauche ou droite, sont les enfants de ces années 70, assoiffés de liberté..."
"Ceux qui tiennent toutes les manettes du pouvoir aujourd’hui, gauche ou droite, sont les enfants de ces années 70, assoiffés de liberté..."
©Reuters

Citoyen en colère ?

Du compte au Suisse de Jérôme Cahuzac aux sociétés offshore de Jean-Jacques Augier, les scandales au sommet de l'état se multiplient. A cela s'ajoutent des faits divers violents : lynchages, violences à l'école... Un phénomène de désagrégation de la société qui pourrait s'expliquer par la lâcheté des autorités.

Jean-Sébastien Hongre

Jean-Sébastien Hongre

Jean-Sébastien Hongre, entrepreneur sur Internet, est l’auteur de Un père en colère aux Editions Max Milo et d’Un joueur de poker chez Anne carrières.
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Atlantico : Dans votre roman "Un père en colère", vous insistez sur la toute puissance de "ceux qui osent tout". En quoi ce thème est-il actuel ?

Jean-Sébastien Hongre : Il est actuel et même "vital". Car on assiste à un phénomène critique de désagrégation de notre société, une "décivilisation" qui progresse depuis plus de 30 ans partout, que ce soit dans les entreprises, dans les transports et même au sein des familles parfois. Ce phénomène, je l’ai mis en scène dans mon roman par l’histoire d’un père qui, face à ses deux enfants de 20 ans devenus délinquants, exprime sa colère dans un blog, lequel est rejoint peu à peu par des centaines d’autres parents désemparés.

Très vite ce père comprend que sa ville a été livrée à "ceux qui osent tout" comme il les nomment : un patron voyou qui a délocalisé l’usine en une nuit mettant 300 ouvriers sur le carreau, et un voyou patron brutal et impuni qui place la ville sous son joug. A la précarité économique que subissent les citoyens s’ajoutent la peur, la violence, et les humiliations. Et pendant qu’à Paris on philosophe aux terrasses des cafés sur la suppression des peines planchers, dans cette banlieue comme dans d’autres, le peuple baisse le regard devant cette nouvelle forme de totalitarisme à capuche dont la majorité des jeunes – notamment les enfants du père en colère - sont les premières victimes (racket, brutalités, humiliations). Selon moi, la littérature doit témoigner de ces mouvements de fonds sociétaux, comme elle le faisait au 19ème, bref, sortir du "nombrilisme" et regarder le monde tel qu’il est.

Car la nouveauté, c’est que plus rien n’arrête les brutes. Dans l’actualité récente, l’attaque récente d’un RER à Grigny, le lynchage gratuit d’homosexuels, les professeurs frappés par des élèves ou ce délinquant qui a volé le portable d’un homme en train de se suicider, démontrent cette désinhibition totale.  Rien ne retient le bras levé; désormais on achève la victime, on la "finit", sans remord. Le pouvoir est à celui qui prend, juste parce qu’il en a envie et ce, à tout niveau de la société. L’affaire Cahuzac en est le symptôme. Le fait que cet homme envisage sans sourciller de revenir à l’assemblée nationale en est une preuve flagrante : Lui aussi ose tout.

Comment "ceux qui osent tout" comme vous le nommez ont-ils pris le pouvoir ?

Par lâcheté des autorités. "Les bergers ont abandonné le pouvoir aux loups, et il faudra bien un jour faire le procès des bergers" enrage notre père en colère. Car le poisson pourrit toujours par la tête. Et face à ceux qui osent tout, les élites détournent le regard. Protéger les citoyens, cela signifie oser l’autorité républicaine, la loi, et une rigueur sans faille à l’appliquer. Hors, il s’agit depuis les années 70 "d’interdire d’interdire". L’inaction se conjugue à la lâcheté des politiques. Le champ des possibles est donc totalement ouvert pour les voyous patrons ou les patrons voyous.

Ceux qui osent tout grignotent donc les territoires car personne ne leur dit non. Ils n’ont aucune conscience morale. Il suffit d’aller dans un tribunal pour constater l’absence totale de remords des coupables et la présence d’un public supporter des accusés qui font subir une seconde peine à la victime.  Cela est vrai en haut (cf le cas DSK…) ou en bas de l’échelle sociale. Cette perte d’éthique vient d’une lente et durable démission des élites à transmettre des valeurs. Remarquez comme le mot "moral" est susurré du bout des lèvres, sauf quand on parle de revenus financiers évidemment. En réalité, depuis 30 ans c’est le règne audiovisuel de l’ironie, du cynisme, de la moquerie permanente. Dans un chapitre du roman, face à un sniper de talk show façon Caron et à un sociologue qui nie l’accroissement de la violence dans notre société, mon père en colère est démuni ; ce décalage entre la réalité et les élites est probablement une autre cause de la situation car le déni empêche toute prise de décision, toute action forte pour régler les problèmes.

Mais pourquoi les dirigeants acceptent-ils cette situation ? En quoi leurs valeurs ont-elles évolué depuis un demi siècle ?

On peut distinguer deux grandes phases. De la seconde guerre mondiale aux années 70: les temps de l’ordre, du préfet, du curé et de de Gaulle en quelque sorte. Puis, il y a eu un renversement total des valeurs, qui s’est traduit par la perte d’éthique dans les affaires, le laissez aller sociétal, la destruction du statut du professeur et l’élévation de l’élève roi "au centre du dispositif pédagogique".  Les théories éducatives défiant le bon sens ont fleuri et pour jouir sans entrave beaucoup de parents ont appris le consumérisme à leurs enfants en les perfusant à la Play station ou à la télé.

Ceux qui tiennent toutes les manettes du pouvoir aujourd’hui, gauche ou droite, sont les enfants de ces années 70, assoiffés de liberté et de l’envie d’une jouissance sans entrave.

Ce désir de jouir a eu évidemment pour corollaire la perte de l’exigence vis à vis d’autrui car on ne se mêle plus de la vie de l’autre. Notre père en colère parle d’ "abandons successifs de territoire, de reculs d’autorité qui sont peut-être la faiblesse principale de notre génération". Selon lui, nous n’avons plus su dire non quand tout autour d’eux disait "just do it".

Ce triomphe du consumériste a évidemment créé des frustrations énormes. Certains ne résistent pas à leur pulsion et se servent à pleines mains. Et cependant, le français traine une vieille culpabilité à punir, que ce soit le trader qui truque les comptes d’une banque ou le multirécidiviste qui s’acharne sur une personne âgée. Mieux vaut ne pas être victime en France.

Ce vaste changement de valeurs s’est révélé sur 40 ans par la décroissance de l’usage de nombreux mots comme "bienveillance, gentillesse, politesse, respect, exigence, excellence, discipline, probité". Ces mots, on n’ose plus beaucoup ni les prononcer, ni les défendre, ni les transmettre à l’école. Des mots que certains mouvements culturels des années 80-90 pourfendeur de la bourgeoisie ont ringardisé. Mais les mots absents trop longtemps finissent toujours pas nous manquer, ils réapparaissent, construisent de nouvelles histoires pour que des pères en colère ne le soient plus. Un écrivain aime espérer cela…

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