Tintin au Congo : la Belgique et son imposant passé colonial<!-- --> | Atlantico.fr
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La Belgique a un imposant passé colonial.
La Belgique a un imposant passé colonial.
©DR

Bonnes feuilles

Philippe Dutilleul et Julien Oeuillet expliquent pourquoi l'héritage colonial de la Belgique est très important aujourd'hui encore. Extrait de "Ils sont fous ces Belges" (2/2).

Philippe Dutilleul et Julien Oeuillet

Philippe Dutilleul et Julien Oeuillet

Philippe Dutilleul est journaliste, réalisateur de reportages et de films documentaires, auteur de plusieurs ouvrages sur la Belgique. Il est un collaborateur de longue date de la RTBF.

Julien Oeuillet est journaliste indépendant, auteur, documentariste. Il a parcouru l'Europe pour la RTBF et publié des enquêtes historiques en presse spécialisée.

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"Le Congo influence la Belgique partout ! explique Jeroen. Déjà parce que Léopold II a financé ses grandes constructions avec la colonie, c’est donc une influence directe. Chez nous en Flandre, chaque famille a eu un missionnaire en son sein car nous étions la région la plus catholique, donc ils étaient recrutés ici. À cause de cela, beaucoup de Congolais parlent de l’ère coloniale comme de “l’époque des Flamands” ! C’est aussi parce que le contact entre “colonisateurs” et “indigènes” se faisait via les fonctionnaires du bas de la hiérarchie qui, au contraire des cadres, étaient néerlandophones. C’est pour cela que les Congolais aujourd’hui disent “verdomme” ! Regardez, dans la plupart des foyers belges, on trouve du severia, une plante d’agrément. C’était une plante courante dans la campagne congolaise que les missionnaires et fonctionnaires coloniaux coupaient et rapportaient pour faire un cadeau à leurs familles quand ils rentraient. C’était un souvenir exotique pas cher ! Aujourd’hui, beaucoup de gens ont oublié que cette décoration si typique des intérieurs belges est en fait d’origine congolaise."

Matongé est le lieu bruxellois d’échange de la communauté congolaise. On n’y vit pas : situé entre les institutions européennes et la richissime avenue Louise, Matongé est un marché immobilier bien trop onéreux pour les immigrants. Ils vivent en majorité dans des quartiers défavorisés de Molembeek. "On vient ici pour faire ses courses, s’amuser, et chercher une femme ! résume Jeroen. Moi-même, je vis à Molembeek. J’ai appris récemment que, des communes qui composent Bruxelles, Molembeek est celle qui a la plus grande population congolaise. On me l’a expliqué quand les candidats aux communales m’ont contacté pour me demander l’entrée de mon réseau…" Jeroen ne fait pas de politique ; il a refusé net. Mais son réseau a de la valeur. "Kuumba est surtout un réseau d’associations, nous avons des liens avec le Conseil de la culture, des musées, des galeries, etc. On organise des soirées, des cours de percussion, des expos. Et dans les deux langues, car je ne veux pas faire dans le communautaire !"

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En Belgique, si vous croisez un Noir, il sera d’origine congolaise dans la grande majorité des cas. C’est un contraste avec les Noirs français dont les ancêtres viennent des Antilles ou de l’ancienne Afrique française. Logique, me direz-vous, mais cela change toute la structure sociale de la communauté des gens de couleur. Césarine Boyle connaît leur histoire : responsable de l’association Mémoire vivante, elle recueille les mémoires postcoloniales des deux côtés. Son association organise des conférences et expositions ; elle passe donc beaucoup de temps à collaborer avec Kuumba. "La colonisation, explique-t-elle, a créé deux groupes distincts, beaucoup plus qu’en Afrique française par exemple. Il faut attendre la fin des années nonante pour que Congolais et Belges se parlent enfin car, auparavant, les Congolais ne faisaient que passer : on étudiait puis on repartait prendre sa place dans les nouvelles élites congolaises. Depuis, les Congolais s’installent ici, ils sont hésitants à rentrer au pays. Il y a eu une vague de régularisations dans les années nonante : avant, on pouvait rencontrer un docteur en physique nucléaire sans papiers ! C’est l’époque où la Belgique découvre qu’elle a une main-d’œuvre congolaise surqualifiée. Cela a stabilisé la population congolaise en Belgique." Césarine évoque la campagne aux élections communales en cours au moment de notre rencontre : tous les partis ont des candidats congolais sur leurs listes.

L’histoire du quartier est cependant bien antérieure. La colonisation du Congo par le roi Léopold II débute dans les années 1860. La culture congolaise a-t-elle essaimé immédiatement en métropole ? "Non, explique Jeroen, on ne devait pas les laisser venir ici, pour ne pas qu’ils apprennent les idées de liberté ! Déjà dans la colonie, il y avait une vraie ségrégation. Le quartier blanc de Kinshasa était interdit aux Blacks. Des quartiers mixtes existaient mais, pour y entrer, un Congolais devait passer un examen prouvant qu’il était “civilisé”, c’est-à-dire qu’il savait tenir une fourchette, porter un couteau… Par contraste, en France, il y avait des Sénégalais à l’Assemblée nationale avant 1900. Ce serait impensable en Belgique. Le paradoxe est que le Congo belge était la colonie comptant la population indigène la plus alphabétisée, mais rien ne suivait car il ne fallait surtout pas leur donner accès à l’université." Quand cela change-t-il ? "C’est l’Expo 58. Il y avait un stand colonial important. Des Congolais que les Belges avaient validés comme “évolués” furent invités à venir, et ils sont retournés au Congo avec cette expérience de l’Europe. Ce fut aussi un premier contact pour les Belges, avant ils ne voyaient les Congolais que par des gravures ou des photos. II y avait cette dame à Saint-Josse qui hébergea la chorale congolaise de l’Expo et qui initia ensuite une Maison africaine ici, juste à l’entrée de notre quartier."

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Extrait de "Ils sont fous ces Belges" (Editions du Moment), 14 mars 2013

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