Tatouages électroniques, yeux bioniques, etc : l'homme qui valait trois milliards est-il en train de naître sous nos yeux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Rex, l'homme bionique.
Rex, l'homme bionique.
©Reuters

L'homme moderne

Un robot composé d’organes artificiels, de sang synthétique et de membres robotisés, a été présenté mardi 5 février au Sciences Museum de Londres. Ce n'est pas encore l'homme qui valait trois milliards mais cela s'en rapproche.

Jean-Didier Vincent

Jean-Didier Vincent

Jean-Didier Vincent est neurobiologiste.

Membre de l'Académie de médecine et grand spécialiste du cerveau, il fut Directeur de l'Institut de neurobiologie Alfred Fessard du CNRS ainsi que professeur de physiologie à la Faculté de médecine de l'Université Paris XI.

Il a écrit notamment Le Sexe expliqué à ma fille (Seuil, 2010) et Bienvenue en Transhumanie (avec Geneviève Ferone, Grasset, 2011).

Biologie du pouvoir -  Jean-Didier Vincent

 

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Atlantico : Chirurgie, implants, amélioration des performances : chaque jour de nouvelles innovations technologiques rendent plus ténue la limite entre l’humain et la machine. La technologie médicale a-t-elle des limites ? Pourrons-nous à terme tout guérir ?

Jean-Didier Vincent : Il ne faut pas rêver non plus ! Le transhumanisme est une idéologie, un mouvement plutôt. Ce n'est pas une secte non plus. Ce sont des gens qui sont animés par une même foi qui est que l'homme est en-dessous de ses capacités et que grâce à une aptitude très pragmatique face à la technique on peut espérer que l'homme contribue lui-même à l'amélioration de ses propres performances. L'homme ne devient plus maître-possesseur de la nature mais devient véritablement un fabricant, un artificier, un ingénieur de sa propre nature. Dans le transhumanisme, l'homme est concerné par son propre destin. Et celui-ci repose sur ses performances, sa durée de vie, sa santé, son apparence physique, son aptitude au bonheur et au bien-être…

Mais à terme nous ne pourrons pas non plus tout guérir. C'est une boîte de Pandore, c'est-à-dire que nous avons ouvert une voie et nous voyons maintenant ce qui en découle. Tout progrès comme disait Coluche suscite des "régrés", c'est-à-dire des  régressions. Chaque fois que l'on fait une innovation technique, on en voit vite ses limites. C'est difficile de jouer les Madame Soleil. Il y aura forcément un avenir. Pour l'instant, il y a les pessimistes et les optimistes. Il y aura toujours les deux regards possibles. Actuellement, il faut avouer que la situation n'est pas très agréable. Mais en même temps, nous sommes incapables de revenir à la vie que nous avions au XIXème siècle.

L’Homme a longtemps inventé des objets, des accessoires, pour faciliter sa vie quotidienne. Sommes-nous entrés dans une logique inverse qui consiste à tout recentraliser au sein de notre corps ?

Notre corps est l'objet d'une agression permanente de la part de gens qui fabriquent des techniques, qui fabriquent de nouveaux objets. L'homme se transforme et probablement en bien parce que l'alimentation, quoiqu'on en dise, est beaucoup plus saine qu'autrefois grâce à la lutte contre les infections qui a fait des progrès considérables. Il y a une sécurité alimentaire qu'il n'y avait pas autrefois. Cela compte beaucoup. Mais il y a forcément en contrepartie tous les nostalgiques du bon goût. Ceux qui pensent que les poires ne sont plus les poires par exemple. Mais bon en même temps notre corps se nourrit mieux. Il y a une tendance à faire davantage d'exercices, à regarder davantage son corps, à respecter des régimes alimentaires plus équilibrés. Mais paradoxalement, il y a l'apparition de l'obésité. Ce qui est une forme de "régré".

Jusqu’à maintenant ces technologies servent essentiellement à "compenser" les imperfections (handicaps de naissance, dégénérescence), dans quelle mesure peuvent-elles améliorer un humain en parfaite santé ?

Les technologies nouvelles permettent de transformer, d'augmenter les capacités de l'homme. Aussi bien dans le domaine de la force intellectuelle que dans la force physique comme de sa durée de vie. C'est-à-dire que les biotechnologies et parallèlement les technologies de la reproduction vont nous permettre, dans un futur très proche, d'approcher une certaine forme d'eugénisme. Les enfants sont déjà en moyenne plus grands. Ils vivront aussi plus longtemps. Bientôt aussi, on se mettra à trier les embryons. On ne va pas pouvoir éviter ça. A un moment donné quand la PMA sera généralisée, notamment aux couples homosexuels, il y aura la tentation de choisir. Et cette tentation de choisir est un véritable eugénisme. A l'avenir, par exemple, les trisomiques, étant donné les nouvelles possibilités de détection que l'on a, seront appelés à disparaître. Est-ce un mal ? Est-ce un bien ? Pour ma part je pense que c'est un bien. L'avenir c'est un peu Aldous Huxcley et Le Meilleur des Mondes. Mais les romanciers n'ont pas forcément une bonne vision de la réalité.

Ce transhumanisme nous autorise-t-il à rêver d’immortalité ?

Oui. Il y a même des transhumanistes absolus qui pensent que l'homme sera immortel. Mais ça, ce sera le post-humanisme. Cela touchera une variété d'homme, qui sera une nouvelle espèce, car toutes ces techniques vont coûter cher. Cela ne sera pas accessible aux pauvres. Il va donc certainement y avoir des clivages dans la société. Il y aura certainement une société où les hommes vont vivre plus longtemps. Car on va manipuler les génomes responsables du vieillissement. On va pouvoir les allonger, les rectifier. Immortalité ? Peut-être pas. Mais prolonger la vie un certain nombre d'années, oui. De toute manière, ce qui compte c'est une vie prolongée mais sans infirmité. Car vivre 120 ans pour être une sorte de déchet humain ce n'est pas un idéal de vie. Tout cela fait partie des choses qui sont techniquement réalisables dans un horizon proche. Mais cela fait frémir.

Risquons-nous d’y perdre notre humanité ou n’est-ce là que la logique évolution de l’espèce ? 

La sélection naturelle qu'exerce la nature sur l'homme -qui était le grand moteur de l'évolution de l'espèce humaine- va disparaître. L'espèce humaine va être livrée à sa propre initiative. D'habitude l'animal, l'espèce proposait et la nature disposait. C'est ce qu'on appelle la sélection naturelle. Il y avait ensuite la sélection sexuelle. C'était le complément de la sélection naturelle, inventée par Darwin. Il y a une recherche du partenaire sexuel donc une sélection qui permettait à une espèce de progresser ou tout du moins de rester adapter à son milieu. La balle est dans le camp de l'homme en ce qui concerne la sexualité. Celle-ci est maintenant technicisée, notamment avec la gestation pour autrui. Mais cela fait froid dans le dos. Car que devient la sexualité ? Que devient le moteur essentiel du sexe qui est le désir pour l'autre ? L'autre nous est indispensable. C'est là-dessus qu'est fondée la société. Tout cela risque d'être compromis par l'innovation technologique.

Propos recueillis par Maxime Ricard

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