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Le nouvel an chinois, rare moment de visibilité d'une immigration asiatique majeure mais si discrète
©REUTERS/Kim Kyung-Hoon

努维尔的

Le nouvel an chinois et les fêtes du Têt vietnamiennes rassemblent dans les rues des milliers de personnes bien au delà de l'appartenance à la culture asiatique, et contrairement aux soirées culturelles de rupture du jeune qui rencontrent nettement moins de succès. Que cela nous apprend-il sur les mécanismes d'intégration en France ?

Pierre Picquart,Stéphane Quéré et Claude Sicard

Pierre Picquart,Stéphane Quéré et Claude Sicard

Pierre Picquart est docteur en Géopolitique de l’Université de Paris-VIII, spécialiste en Géographie humaine, expert international, et spécialiste de la Chine.

Stéphane Quéré est diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre, "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

Claude Sicard est agronome, docteur en économie, spécialiste du développement, auteur de deux livres sur l'islam, "L'islam au risque de la démocratie" et "Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?".

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Atlantico : Pourquoi tant de personnes descendent-elles dans la rue fêter le nouvel an chinois et les fêtes du Têt, quand les célébrations comme l'Aïd ou la rupture du jeûne rencontrent nettement moins de succès en dehors des personnes de confession musulmane ? Les raisons sont-elles d'ordre civilisationnel ?

Claude Sicard : La fête du nouvel an chinois (chunjie) est la plus grande des fêtes traditionnelles en Chine. Elle remonte à l’antiquité. Les Chinois célèbrent ainsi l’arrivée du printemps qui dans le  calendrier luni-solaire commence au début de février. La végétation repart, la nature se réveille, les oiseaux migrateurs reviennent…..Toutes les civilisations ont toujours fêté ce renouveau. Dans la Grèce antique le printemps était marqué par le retour sur terre de Pérsephone, la fille de la déesse de la terre : on fêtait donc le retour de la vie sur la terre. Dans la tradition chinoise on fête l’arrivée du printemps bruyamment, par des processions costumées dans la rue, par la décoration des fenêtres des maisons avec des inscriptions sur papier rouge où l’on formule des vœux de chance, de bonheur, de prospérité : le rouge est la couleur qui porte chance et l’on revêt donc des habits de cette couleur (y compris pour les sous-vêtements). On dit ainsi adieu a l’année qui se finit et l’on accueille dans la joie l’année qui arrive . On offre de l’argent et des cadeaux aux enfants, on fait éclater des pétards pour chasser Nian, un animal féroce imaginaire qui existe dans la mythologie chinoise depuis l’époque antique, et les personnes échangent entre elles des vœux souhaitant à chacun que l’année nouvelle soit meilleure que la précédente.

Dans la civilisation musulmane on ne trouve rien d’équivalent. La plus grande fête est l’Aïd el Kebir,  qui marque la rupture du jeûne : c’est une fête religieuse. Cette fête est plutôt célébrée en famille et entre amis, et elle ne donne pas lieu à des manifestations particulières dans la rue.

On peut s’interroger sur les raisons expliquant cette différence entre les deux civilisations ? Elles s’expliquent par le fait que l’islam est né en Arabie au VIIeme siècle, un pays désertique ponctué par des oasis, des lieux isolés où il y avait assez d’eau en provenance de nappes souterraines pour faire régulièrement de l’agriculture. En somme, il n’y avait pas lieu de fêter l’arrivée du printemps, comme cela est le cas dans les civilisations agricoles où l’on attend de la nouvelle année qu’elle amène les pluies nécessaires pour avoir de bonnes récoltes. Le seul parallèle que l’on puisse faire avec la fête du nouvel an chinoise est le pèlerinage à la Mecque. Mais le pèlerinage à la Mecque se fait selon un rituel bien précis : il ne donne pas lieu à ces manifestations exubérantes et désordonnées qui caractérisent la fête chinoise qui est une fête païenne.

Un parallèle avec la fête chinoise est plutôt à faire avec le carnaval chez les Occidentaux. Le carnaval a une origine religieuse : chez les chrétiens durant les 4 jours précédant le Mercredi des Cendres on fêtait traditionnellement la possibilité de manger abondamment des aliments riches en graisses, des viandes grasses et des boissons sucrées avant le carême : c’était une occasion de faire la fête avant de devoir jeûner  pendant les 40 jours de carême.

Les populations asiatiques, surtout chinoises, semblent se fondre dans la société et l’économie française en toute discrétion. Comment expliquer ce phénomène et quelle forme prend-il, alors même que le débat sur l’immigration et l’intégration culturelle est en France un sujet récurrent ?

Pierre Picquart : Le principal élément à prendre en compte est la forte influence des courants de pensée asiatiques que sont le taoïsme, le bouddhisme ou encore le confucianisme qui sont des philosophies peu revendicatrices. Les Chinois par exemple, puisqu’il s’agit de la principale communauté asiatique implantée en France, ont une façon de gérer leurs rapports humains, personnels et collectifs, très différente de la notre. De ce fait, leurs caractéristiques d’intégration ne sont pas les mêmes que celles des autres vagues d’immigration. Ce sont des gens qui recherchent culturellement une forme de consensus social et qui ont eu un parcours migratoire long de 20 siècles, au cours duquel ils se sont adaptés à toutes les cultures. Il est donc logique que leur immigration provoque moins de phénomènes de violence, de cris et d’agitation sociale.

L'immigration asiatique dans son ensemble représente aujourd'hui une communauté variée et disparate d'un million de personnes sur le territoire français parmi lesquelles sont présents des Japonais, des Chinois évidemment, mais aussi des Vietnamiens ou des Pakistanais et des Indiens. Ces communautés, dont la plus importante est celle venant de Chine, sont réparties à travers tout le pays mais se sont développées autour de certains foyers communautaires historiques (ndlr : D'après l'Insee, l'arrivée de nouveaux natifs de Chine chaque année a doublé depuis 1998 et a atteint 80 000 personnes en 2008). On peut citer parmi eux le 13ème arrondissement de Paris et Belleville qui sont les berceaux historiques de cette immigration. Les populations sont également très présentes dans les Hauts-de-Sein et la Seine-Saint-Denis, et plus généralement dans toutes les grandes villes de France : Bordeaux, Lille, La Rochelle ou encore Marseille. Il n'y a presque plus aujourd'hui la moindre ville importante dans l'hexagone qui ne compte un commerce ou une entreprise dirigé par un un français issu de cette immigration. Il est important de préciser qu'au delà des communautés "traditionnellement" perçues comme asiatiques (chinoise, japonaise, vietnamienne, laotienne), la seconde immigration asiatique est celle en provenance de Turquie.

Si les immigrants asiatiques ont d'abord profité de l'exotisme de leur culture pour développer des commerces liés à celle-ci, ils ont rapidement su se diversifier pour prendre place dans d'autres secteurs d'activité. Se dirigeant initialement vers les commerces ne nécessitant pas une grande connaissance de la culture française, comme la gastronomie, pour s'intégrer rapidement, ils se sont ensuite tournés vers la création d'entreprises de services et de réparation. Parmi les éléments que les Chinois ont ramené en France avec eux, il y a la culture du travail et de la réussite. Bien qu'il soit légalement impossible de chiffrer cela, les grandes écoles françaises et les Universités sont remplies d'enfants d'immigrants chinois et probablement bien plus que de d'enfants issus d'autres communautés (ndlr : D'après une étude de l'Ined de 2010, 47% des garçons issus de la communauté asiatique française et 50% des filles sont diplômés du supérieur contre 37% de l'ensemble des femmes françaises).

La Chine a longtemps été un pays très pauvre et l’est encore en partie et si c’est aujourd’hui l’une des principales puissances financières du monde ce n’est pas un hasard. Les Chinois fonctionnent autour d’une cellule familiale puissante et solidaire, ainsi que grâce à une entraide communautaire omniprésente. Ils ont longtemps accepté d’être moins payés que ne le seraient des travailleurs français afin de pouvoir s’intégrer. La culture du travail et de la réussite est également un moteur essentiel de l’intégration chinoise. Ce n’est pas uniquement financier, les Chinois attachent beaucoup d’importance à la scolarisation de leurs enfants et au fait de leur permettre d’intégrer des formations universitaires prestigieuses. A la différence de la plupart des vagues d’immigration, les Chinois ont une stratégie d’intégration qui correspond à leur expérience migratoire.

Bien que ces communautés soient économiquement intégrées, le phénomène semble moins vrai sur le plan culturel ?

Stephane Quéré : Le très fort communautarisme qui caractérise les populations asiatiques de France, et notamment les Chinois, permet l’établissement de véritables structures d’entraide qui ont facilité cette intégration. En revanche, la perméabilité très limitée de cette communauté provoque des violences et des rackets intracommunautaires pour lesquels il n’y a que très peu de plaintes mais dont on connaît l’existence.

Pierre Picquart : Sur la question des valeurs et des traditions, la Chine est globalement située à l’opposé de l’Occident. Les codes sociaux sont complètement différents et tous les Chinois qui émigrent gardent toujours en eux une base culturelle chinoise qui ne disparaît jamais. C’est le cas de toutes les cultures qui s’exportent mais quand on est Chinois, on a 5 000 ans de culture qui nous suivent. Il est impossible de ne pas faire avec. Sur le plan artistique par exemple, la Chine n’est pas encore entrée dans la modernité. Bien que l’on parle de l’art contemporain chinois comme l’un des courant émergent, il reste en réalité assez élitiste et peu représentatif de la production artistique chinoise. Si vous parcouriez le pays de long en large, vous vous apercevriez qu’il s’agit surtout d’art traditionnel ou de choses d’assez mauvaise qualité cherchant simplement à reproduire l’art occidental. La Chine cherche encore son identité artistique contemporaine. Récemment, on a beaucoup parlé des Chinois qui copient les chanteurs coréens à succès issus de la mouvance K-pop mais cela est tout à fait naturel. La Chine est un pays encore très fermé, il faut lui laisser le temps de regarder ce qui se passe ailleurs avant de créer de la nouveauté.

Cette intégration efficace et silencieuse n’est-elle pas touchée par certaines dérives comme la prostitution, le travail illégal, les groupe de pression ?  

Pierre Picquart : Le travail illégal est effectivement assez courant dans les commerces chinois, notamment les restaurants. La misère humaine et l’exploitation existent partout. Dans la communauté chinoise mais aussi dans les communautés turque, indienne, africaines et toutes les autres, c’est intrinsèque au phénomène. La véritable problématique est que bien souvent les jeunes chinois qui viennent en France, qui ne parlent pas la langue mais qui sont très motivés par l’idée de travailler, ne savent même pas qu’ils sont dans l’illégalité. Il y a un véritable travail de communication à faire auprès de ces jeunes, dans leurs pays d’origine et en France, pour qu’ils comprennent que cela peut leur attirer de véritables ennuis. Cependant, ces jeunes essaient en général d’apprendre rapidement le Français pour améliorer leur condition et accéder à des métiers plus épanouissants.

Stéphane Quéré : Avant de parler des questions d’illégalité et de criminalité, il faut dire que l’immense majorité des immigrants d’origine asiatique sont des gens travailleurs et honnêtes. Cela n’a pourtant pas empêché l’apparition de certaines dérives. Il y a ce que l’on appelle une économie grise liée au fonctionnement interne de ces communautés, une tontine, une sorte de prêt communautaire avec des intérêts de 10% par mois. Parfois cela fonctionne sans taux auquel cas il se développe alors une relation de subordination. Autour de cela, se sont également développés des phénomènes de fraudes commerciales et fiscales, l’utilisation de faux documents notariaux « venant » de Chine et prouvant l’origine de certains capitaux utilisés pour racheter des commerces. Il existe également une économie noire liée à l’extorsion mais autour desquelles on constate peu de plaintes car les principales victimes des criminels asiatiques sont leurs propres communautés.

On ne peut cependant pas parler de mafia chinoise en France car une mafia est un réseau international, organisé et hiérarchisé. Les tristement célèbres triades chinoises ne sont pas implantées en France bien qu’il ne soit pas impossible qu’elles touchent leur part à un moment du système. En France, il y a plutôt un phénomène de gangs et de réseaux organisés, en particulier autour de gens issus de l’immigration vietnamienne qui contrôlent notamment des réseaux de drogues un peu partout en Europe. L’une des autres activités illégales liée aux communautés issues de l’immigration asiatique est la prostitution, particulièrement chez les Chinoises. Il faut différencier deux phénomènes, d’une part les marcheuses et d’autre part les salons de massage. Le premier reste assez limité tandis que l’autre est en pleine expansion dans toute la France après avoir envahi l’Ile de France. Cette prostitution est évidemment liée à des réseaux d’exploitation des femmes dans lesquels on recense quand même moins de violence que dans les réseaux d’Europe de l’Est.

La discrétion des communautés asiatiques semble engendrer des persécutions raciales très fortes aussi bien de la part des Français que des autres populations d’immigrants ?

Stéphane Quéré : Il y a effectivement deux éléments qu’il faut différencier pour expliquer le racisme que subissent les populations asiatiques de France et notamment les personnes d’origine chinoise. De toute évidence, la réussite économique de cette diaspora provoque une forte jalousie de la part aussi bien des Français que des autres immigrés. L’augmentation constante des commerces tenus par des asiatiques a provoqué une sorte de « changement de visage » qui irrite de nombreuses personnes et qui installe un racisme latent, parfois virulent. La deuxième chose c’est que l’expression de ce ressentiment est plus courante qu’elle ne l’est avec d’autres communautés issues de l’immigration. Cela est lié à la perception « pacifiste » que les occidentaux ont des asiatiques ainsi qu’à un certain complexe de supériorité. L’ensemble fait des asiatiques des cibles privilégiées d’actes de racisme.

Pierre Picquart : Il y a un paradoxe surprenant entre la perception de l’Asie et un certain nombre de comportements dont sont victimes les asiatiques de France. D’une part, on admire le Bouddhisme, on mange des sushis et on soutient le Tibet, d’autre part, il y a une forme de racisme latent sur laquelle on ferme les yeux. On admire la culture mais on méprise un peu l’humain. On peut encore aisément sentir une espèce de pan colonialiste qui se dégage de l’attitude envers ces communautés. De plus, il existe des tensions réelles entre les Chinois et les populations noires et maghrébines dans les quartiers où se concentrent les populations issues de l’immigration. Les Chinois ont une véritable culture de l’argent liquide qui donne parfois lieu à des rackets, j’imagine donc qu’en retour les Chinois se défendent.

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