Les méthodes de l'industrie automobile allemande sont-elles applicables chez nous ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’histoire de la compétition entre les industries automobiles françaises et allemandes est riche en coups de théâtre.
L’histoire de la compétition entre les industries automobiles françaises et allemandes est riche en coups de théâtre.
©Reuters

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Alors que Renault a vu ses ventes mondiales diminuer de 6,3% en 2012, Volkswagen affiche une croissance mondiale de 11,2% et dépasse les 9 millions de véhicules vendus.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Les chiffres 2012 sont cruels pour l’industrie automobile française qui impute à la crise ses pertes de volume et donc de rentabilité. Mais pourquoi ces arguments ne s’appliqueraient-ils pas aux voisins allemands ?

Sur un marché français en baisse de 13,9% en 2012, le groupe Renault/Dacia recule de 19,8%, et Nissan baisse de 3,3% avec 78 000 véhicules. Le groupe Volkswagen accuse également une baisse de 10% en France. Mais Volkswagen affiche en 2012 une croissance mondiale de 11,2% et dépasse les 9 millions de véhicules vendus. En 2012, Renault, très exposé en Europe, voit ses ventes mondiales diminuer de 6,3% pour se situer à 2,55 millions de véhicules alors que les ventes de la filiale roumaine de Renault ont continué de progresser de 4,8% avec 359 800 unités. Les dernières données sur huit mois font apparaître une croissance mondiale de 3,3% pour le groupe Nissan/Infinity.

L’histoire de la compétition entre les industries automobiles françaises et allemandes est riche en coups de théâtre. Volkswagen, en 1970 produisait autant que Renault et ses perspectives en tant que firme mono-produit étaient sombres… Mais rapidement le groupe Volkswagen a engagé une démarche de diversification de produits et de montée en gamme, sur le plan mondial, qui en fait aujourd’hui un candidat sérieux au premier rang mondial. Renault, malgré le succès de sa propre stratégie de constitution d’un groupe mondial, ne parvient  pas à sortir des turbulences.

En effet, Renault n’est plus du tout la régie très franco-française qu’elle fut jusqu’au début des années 1990. Renault s’est résolument engagé dans une stratégie mondiale qui l’a conduit, après son implantation au Brésil en 1997, à prendre 44% du capital de Nissan en 1999, puis la totalité du constructeur roumain Dacia et de la branche automobile de Samsung en Corée, et plus récemment en Russie avec une prise de participation de 25% dans AvtoVAZ, destinée à devenir majoritaire en 2014. Renault dispose aujourd’hui dans le monde de 38 sites industriels dans 17 pays. L’alliance Renault/Nissan dispose d’un poids mondial qui lui a permis d’apparaître en 2011 avec 8 millions de véhicules comme le 3e groupe automobile mondial très proche de Volkswagen avec 8,1 millions. Néanmoins, une dissymétrie croissante entre les marques Nissan et Infiniti (4,7 millions) très présentes aux Etats-Unis (1 million) et en Chine (1,2 million) et la marque Renault/Dacia (2,8 millions de véhicules) conduit à faire de la maison mère le maillon faible de l’alliance. Ce constat pose de graves problèmes de pérennité du poids de la France dans sa gouvernance, son dirigeant annonçant même que Renault pourrait ne plus exister sous sa forme actuelle…

La cohérence technique et organisationnelle de cette "alliance" bipolaire qui se défend d’être un groupe ne ressemble en rien au groupe Volkswagen et ses quatre grandes marques qui composent une gamme mondiale efficace soutenue par un appareil industriel puissant où le poids de l’Allemagne reste prépondérant. Avec au total sept marques, le groupe allemand a appris à exploiter pleinement les synergies sur le plan industriel sans mettre en concurrence directe les marques.Chaque marque se concentre sur un segment de marché bien identifié avec une forte image et une qualité perçue soigneusement calibrée. Mais l’intelligence réside dans le système industriel car toutes les usines doivent pouvoir produire un modèle siglé VW, Audi ou Seat. C'est, en Espagne, à l’usine Seat de Martorell qu’est réalisé l'assemblage de l'Audi Q3. Tous les designers du groupe sont mis en compétition dès qu'un nouveau modèle est conçu mais les ingénieurs doivent utiliser un maximum de composants communs pour partager jusqu'à 70 % du coût d'un véhicule entre plusieurs modèles. Volkswagen assure également une grande continuité esthétique dans ses modèles et sait parfaitement différencier entre ses marques des produits techniquement très proches. Ainsi la Golf introduite en 1974 en est à sa septième édition. 

Cette stratégie industrielle donne des résultats convaincants alors que l’Alliance Renault/Nissan, qui entre dans sa 14e année, ne pratique encore qu’à la marge l’exploitation des synergies industrielles, comme le projet initial en était porteur, pour gagner en compétitivité comme en complémentarité de ses marques. Renault a surtout mis l’accent sur la baisse des coûts des achats et l’alliance est un outil au service de cet objectif à travers la structure RNPO, Renault Nissan Purchasing Office. Nissan, qui est en fait une structure quadripolaire entre le Japon, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, est moins intégré que ne l’est le groupe Volkswagen.

Cette situation pourrait néanmoins évoluer face aux contraintes mondiales et au souci de rééquilibrer sur le plan mondial le positionnement des marques de l’alliance. Renault et Nissan ont ainsi lancé deux projets industriels communs en 2008 : Tanger au Maroc et Chennai en Inde et l’introduction de synergies industrielles et logistiques plus poussées pourrait donner une robustesse industrielle à l’alliance. Leur alliance dans le véhicule électrique, qui est un pari industriel et commercial, n’a pas encore donné les résultats escomptés compte tenu de la frilosité actuelle du marché du véhicule électrique.

Mais la compétition mondiale ne peut ignorer les caractéristiques génétiques des marchés nationaux. La France et ses constructeurs ont été historiquement cantonnés dans les voitures petits et moyennes, diesel pour plus de 70% et manuelles pour 90%. Ainsi la puissance moyenne des voitures composant en 2011 le parc français est parmi les plus faibles d’Europe : 1550 cm3 et 74 kW en France contre 1634 cm3 et 84 kW pour la moyenne des 15 pays européens, et en Allemagne 1756 cm3 et 96 kW. Avec des marges plus faibles sur des voitures moins rémunératrices, les constructeurs français n’ont pas réussi à imposer mondialement une stratégie de marque innovante et qualitative. Ils sont conduits pour des raisons de prix de revient, comme tous les constructeurs mondiaux, à produire leurs véhicules d’entrée de gamme dans les pays à faible coût de main-d’œuvre. Depuis 1997, leur production a baissé en France de 33%.

Pour l’avenir, la situation favorisera les constructeurs présents industriellement dans les pays qui représentent dès maintenant près de la moitié de la demande automobile mondiale. Renault n’a nullement profité de son contrôle de Nissan pour prendre pied sur les marchés américains et chinois. Les ventes de Renault au Japon sont confidentielles alors que Nissan a réussi à développer sa présence en France.

Face à une alliance moins concentrée, Volkswagen poursuit sa marche en avant. Le groupe a investi en 2011 plus de 6 milliards d'euros en R&D, soit plus que Renault, PSA et Michelin et a comme ambition de devenir le premier groupe mondial en 2018 avec plus de 10 millions de véhicules. En pleine crise, VW a ouvert en 2011 dans le Tennessee une usine de production à la pointe de la modernité pour développer sa présence aux Etats-Unis avec une capacité de 150 000 véhicules/an.

Dans tous les cas, l’avenir de l’automobile allemande et française passe par une implantation mondiale et par l’adaptation de leur appareil productif à l’évolution structurelle de la demande dans les pays matures, où la croissance du taux de motorisation ne compensera pas le recul démographique. Pour la marque Renault, on ne voit pas comment sa base industrielle française pourrait ne pas être durablement fragilisée dans une stratégie mondiale, même beaucoup mieux consolidée au niveau mondial avec Nissan, qui passe nécessairement par des implantations dans les marchés en croissance. Dans tous les cas, ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’emploi en Europe de l’ouest.

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