Pré-diabète, pré-dépression, pré-ostéoporose : cette médecine qui préfère prévenir que guérir<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour accroître le marché et fabriquer de nouveaux malades, on a inventé l'usage du préfixe "pré" : on devient alors "potentiellement" atteint d'une maladie.
Pour accroître le marché et fabriquer de nouveaux malades, on a inventé l'usage du préfixe "pré" : on devient alors "potentiellement" atteint d'une maladie.
©DR

Docteur Knock

Le docteur Sauveur Boukris explique comment un certain type de médecine a transformé les facteurs de risques en pathologies réelles afin de vendre des médicaments à des personnes en bonne santé. Extrait de "La Fabrique de malades" (1/2).

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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On a commencé par définir ce qu’est l’HTA, le diabète, la dépression, l’ostéoporose, etc., mais, pour accroître le marché et fabriquer de nouveaux malades, on a inventé l’usage du préfixe « pré » : on devient alors pré-hypertendu, pré-diabétique, c’est-à-dire qu’on est « potentiellement » atteint de la maladie, qu’il faut se surveiller et, au besoin, commencer à se médicaliser.On n’est pas réellement malade, mais potentiellement atteint. On est dans une zone intermédiaire, dans laquelle le médecin impose une surveillance et guette l’arrivée éventuelle de la vraie hypertension et du vrai diabète. Pendant ce temps, le patient est inquiet, consulte davantage, fait des examens biologiques ; bref, il entre dans le cercle médical, pas toujours vertueux.

Autre exemple : la pré-ostéoporose ou ostéopénie. En juillet 2008, paraît un article dans le British Medical Journal sous le titre « Drugs for preosteoporoseis : prevention or disease mongering ? », que l’on peut traduire par « Traitements de la pré-ostéoporose : prévention ou façonnage de maladie ? » C’est un cas classique de création de maladie, qui consiste à transformer un facteur de risque en pathologie réelle afin de vendre des médicaments à des personnes en bonne santé.

La pré-ostéoporose se définit comme une diminution de la masse osseuse. Or il est normal que, avec l’âge, la masse osseuse diminue. Cette décroissance commence quelques années avant la ménopause et se poursuit au rythme de 1 à 2 % par an durant huit à dix ans. Dans la majorité des cas, cette diminution de la masse osseuse est sans conséquences graves. Dans d’autres cas, la maladie sera plus ou moins sévère ; cela dépend d’autres facteurs de risques comme l’âge, la génétique, l’alcool, un état de maigreur, certains médicaments.

En général, après 50  ans, la femme perd 40 % de son capital osseux (cette perte est plus importante que chez l’homme). Les firmes pharmaceutiques ont cherché à pénétrer sur ce créneau avec la perspective de toucher des millions de femmes et ont développé la prescription de médicaments contre l’ostéoporose cette indication.

Un examen permet de mesurer la densité osseuse, qui est un bon indicateur de la masse osseuse de l’individu : c’est l’ostéodensitométrie. Cet examen permet d’évaluer le risque de fracture. On détermine le « T-score », qui est un index de minéralisation osseuse. La pré-ostéoporose se définit par une valeur de densité osseuse comprise entre – 1 et – 2,5 DS (déviation standard). L’ostéoporose est définie comme une valeur de densité osseuse se situant en dessous de – 2,5 DS. Cette limite de – 2,5 DS identifie environ 30 % des femmes post-ménopausées comme étant ostéoporotiques. Cela signifie que le risque de fracture pour une femme âgée de 50 ans est de 18 % dans  un délai de cinq à dix ans pour le col du fémur, de 16 % pour une fracture vertébrale et de 16 % également pour une fracture de l’extrémité inférieure du radius.

Là encore, on joue sur la peur : on annonce qu’après 60 ans, près d’une femme sur deux risque de une fracture due à une ostéoporose. Selon sa gravité et l’âge de la patiente, cette fracture peut entraîner la mort – pour une fracture du bassin sur six – ou, en tout cas, de longues périodes de soins. La peur entretenue par la publication de tels provoque une surconsommation médicale. On va consulter son médecin ou son rhumatologue. On exigepresque une ostéodensitométrie et, si les chiffres font apparaître un risque, on se voit prescrire des médicaments à prendre pendant au moins deux ans.

Pourtant, sans vouloir nier les risques, il faut les relativiser. Prenons l’exemple de la perte de taille : elle est inévitable avec l’âge, mais le tassement de vertèbres ne toucherait que 5 à 7 % des personnes âgées de plus de 70 ans. Toutes les conséquences du vieillissement sur le squelette ne sont pas dramatiques... Dans un rapport publié en 2006 par la Haute Autorité de santé, les auteurs précisent que « l’ostéoporose entraîne une fragilité osseuse mais que le risque de fracture est plus ou moins grand selon les sujets ».

En 2011, on a compté en France 4 millions de d’âge compris entre 55 et 65 ans, soit 1 million de plus en dix ans. La pré-ostéoporose concerne 50 % de ces femmes. Or les médicaments contre l’ostéoporose (les biphosphonates, le ranélate  de strontium, le Protelos et les Serm – modulateurs sélectifs de l’activation des récepteurs aux œstrogènes –, comme Evista ou Optruma) ont un rapport bénéfices/risques défavorable pour ces personnes à faible risque que sont les femmes post-ménopausées, cibles privilégiées des firmes pharmaceutiques. Ils n’ont pas à être prescrits dans la pré-ostéoporose. On a même tendance à exagérer les avantages de ces thérapeutiques. En effet, sur 270 femmes atteintes de pré-ostéoporose traitées par des médicaments pendant trois ans, une d’entre elles évitera une fracture vertébrale. Mais on peut vieillir sans fracture !

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La fabrique de malades (17 janvier 2013), Ed. Le Cherche Midi

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