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Les pilules de troisième et quatrième générations sont-elles vraiment à bannir ?
Les pilules de troisième et quatrième générations sont-elles vraiment à bannir ?
©Reuters

Bouc émissaire

La polémique née à la suite de la plainte d'une jeune femme accusant son traitement contraceptif d'être à l'origine de son AVC ne cesse d'enfler. Mais les pilules de 3ème et 4ème générations sont-elles vraiment à bannir ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : La polémique née à la suite de la plainte d’une jeune femme accusant son traitement contraceptif d'être à l'origine de son AVC ne cesse d’enfler, tournant au procès contre la pilule. Cet acharnement est-il justifié ?

Guy-André Pelouze : Sur le plan sociétal, les complications récemment médiatisées viennent nous rappeler qu’il n’existe pas de médicament, fut-il accessible à tous et payé par la collectivité, qui ne recèle aucun risque. La pilule, contrairement à ce qui est clamé, n’est ni un bien ni un mal. Avant même d’être une idée sociétale progressiste, elle est un moyen de contraception. La seule fin, c’est l’être humain et la préservation de sa santé.

A ce sujet, il serait utile de vérifier que les récentes dispositions concernant la prise en charge par la collectivité de la pilule chez les 15-18 ans n’entrainent pas une déresponsabilisation et/ou une diminution des conseils et de la personnalisation des prescriptions. Si cette prescription est effectivement élargie à des non médecins, alors cette étude de la qualité des soins est indispensable.

Que sait-on réellement des risques que font actuellement courir les contraceptifs hormonaux ?

Dès le début, la contraception hormonale a été associée à un risque absolu de complications cardiovasculaires (phlébite et/ou embolie pulmonaire, accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde). Le risque absolu moyen pour les phlébites et embolies pulmonaires est de 4-8/10 000 sans pilule, 10-15/10 000 avec les pilule de deuxième génération et 20-30/10 000 avec les 3G. Ce qui signifie que le risque relatif est de 2 à 3 fois supérieur avec une pilule 2G et de 5 à 6 fois supérieur avec la pilule 3G. Quand, prenant la pilule, on porte une mutation du facteur V de la coagulation, ce risque passe à 285/10 000. Le risque relatif d’AVC est de 1,4 à 2,2 et celui d’infarctus du myocarde est de 1,33 à 2,28 sous pilule dans la plus récente étude de 2012.

Ce risque est difficilement prévisible dans sa composante génétique alors qu’il est bien identifié en ce qui concerne la composante acquise, c’est à dire le tabac fumé et l’obésité. En d’autres termes, les femmes qui fument et sont en surpoids prennent un risque certain de complications cardiovasculaires avec la pilule, alors que celles qui ne fument pas et ne sont pas en surpoids ne prennent qu’un risque très faible essentiellement en fonction de leur prédisposition génétique.Mais parce que ce risque moyen est faible, il a été jugé acceptable au regard des bénéfices en terme de qualité de vie et les différentes pilules ont obtenu des autorisations de mise sur le marché. Ceci ne signifie en rien qu’il n’existe pas.

Ce risque est-il tellement accru par les troisième et quatrième générations de pilule qu’il faille envisager, comme l’a indiqué Marisol Touraine, leur retrait ?

Dès fin 1995, certains travaux ont pointé le risque augmenté de phlébite et d’embolie pulmonaire avec les pilules de troisième génération qui permettent d’améliorer la tolérance sur d’autres aspects chez certaines femmes. Ainsi, cette nouvelle génération de pilules présentait le paradoxe d’être mieux tolérée sur le plan fonctionnel et métabolique tout en augmentant le risque d’accidents vasculaires. Ceci semble aussi être le cas des pilules de 4ème génération. Toutefois les résultats de la littérature scientifique sont très complexes à analyser car les études en matière de survenues de complications cardiovasculaires sont très différentes en fonction des différentes combinaisons hormonales testées ou bien de la complication recherchée.

Faut-il les dérembourser ?

Sur le plan médical, le non remboursement des pilules 3 et 4G est une mesure infondée car la dépense d’argent public ne peut résider sur des comparaisons statistiques aussi ténues. A vrai dire cette économie est bienvenue pour financer la « gratuité » décrétée pour une classe d’âge. Il serait plus fondé d’insister sur l’incompatibilité du tabagisme et de la pilule mais aussi des risques ajoutés par l’obésité et le diabète. Les prendre en compte permet non seulement de diminuer les complications de la pilule mais de prolonger la vie des femmes en saisissant cette opportunité de prévention en santé publique.

Peut-on parler de défaillance dans les cas de complications aujourd’hui médiatisés ?

Les affaires actuelles apparaissent plus comme la résurgence juridique de complications possiblement sous-estimées que comme de vraies nouvelles scientifiques – les premiers signalements datent en effet de 1996.

Les nouveaux moyens de diagnostic permettent aujourd’hui mieux qu’hier d’établir un lien de cause à effet entre des anomalies, en particulier génétiques, de la coagulation, la prise de la pilule et l’accident thrombo-embolique (AVC, infarctus, phlébite ou embolie pulmonaire). Ainsi les femmes sous pilule victimes d’une complication grave en raison d’une anomalie génétique de la coagulation ont le sentiment que cette complication aurait pu être prévenue si un test génétique leur avait été proposé, ce d’autant qu’elles prenaient une pilule dont le taux de complications cardiovasculaires est réputé plus élevé. Ce sentiment est légitime, même s’il est difficile de trouver une solution médicalement efficace et économiquement soutenable – les anomalies, de surcroit, ne se résumant pas aux deux plus fréquentes.

En tout état de cause, résumer les problèmes actuels à une prescription trop fréquente de pilules de 3 et 4ème génération ou à une insuffisance médicale des généralistes n’est basé sur aucune preuve.


Le point le plus préoccupant n’est-il pas finalement le défaut d’information dont souffrent les patientes ?

L’information est aujourd’hui centrée sur le droit à la contraception, sur l’accès à la contraception et sur la contraception hormonale combinée estro-progestative. Les effets secondaires sont minimisés les complications graves ignorées voire niées. Par exemple des sites d’information diffusent des vidéos d’interview de médecins où ces complications ne sont même pas citées

Il faut rééquilibrer cette information pour expliquer très clairement, c’est-à-dire avec des chiffres, les risques en particulier de phlébite, d’embolie pulmonaire, d’infarctus ou d’AVC et introduire la notion de rapport risque/bénéfice. Une information visuelle de ces risques doit être introduite dans le mode d’emploi de ces médicaments avec des schémas explicatifs du risque absolu et relatif. Il faut aussi explorer avec la patiente les autres moyens contraceptifs, la pilule progestative simple pour laquelle aucun surrisque cardiovasculaire n’a été mis en évidence, le stérilet et d’autres moyens. Tout miser sur la pilule combinée c’est augmenter les complications. Une femme informée prendra plus de précautions et sera en mesure de mieux discerner les signes initiaux d’une complication grave. La primo consultation pour prescription d’un moyen contraceptif devrait être mieux rémunérée et tracée par un codage spécifique.

Comment davantage responsabiliser les différents acteurs ?

Le risque acquis, qui reste faible, rappelons-le, est double : le tabac et l’obésité. Et il est parfaitement évitable. De ce point de vue, l’augmentation du tabagisme et de l’obésité chez la femme concomitamment à l’augmentation du nombre de femmes prenant une pilule œstro-progestative (plus de 50% des femmes en âge d’avoir un enfant) a tout simplement augmenté le nombre de femmes atteintes de complications. Il faut dissuader les femmes qui fument ou qui sont obèses et a fortiori celles qui cumulent les deux facteurs de risque de choisir la pilule combinée comme moyen contraceptif. La leur prescrire ne devrait plus être considéré comme une convenance devant leur insistance. Il faut refuser la prescription et proposer un autre moyen. En effet comment expliquer que l’on dissuade les femmes de prendre une troisième génération qui peut augmenter le risque relatif d’un facteur 1,5 à 5 alors que fumer le multiplie par 9 et que l’obésité pour un IMC>25 le multiplie par 10 ! C’est tout simplement irrationnel (1).

Génétique, ce risque devrait pouvoir être au moins partiellement évité grâce à des tests ciblés quand la personne présente des antécédents familiaux et/ou personnels prouvés. Cependant le coût de ces tests est un sujet car il est d’environ 43 € pour le facteur V Leiden et de 54 € pour le facteur II, soit 103 € non remboursés. Et ces deux anomalies ne représentent pas tout à fait la moitié des anomalies potentiellement responsables de phlébites ou d’autres accidents vasculaires. Mais ce coût reste à mettre en balance avec les conséquences coûteuses de ces complications. Avec 3,9 milliards de transports médicaux il y a des choix à faire.

Les médias ont aussi un rôle à jouer mais le rôle des soignants et de tous ceux qui sont en contact avec les femmes au moment du choix est capital. Tout avis médical doit être personnalisé. La vie d’une femme en âge de procréer n’est pas linéaire, il faut donc adapter avec elle les moyens contraceptifs aux besoins de sa période de vie. La prise d’une pilule combinée à vie est la solution la moins adaptée car le rapport bénéfice/risque d’un moyen contraceptif varie tout au long de la vie.

Mais il est également nécessaire de développer dans le même temps la recherche et l'innovation en matière de contraception. Les cas de complications graves, pour rares qu’ils soient, ne peuvent que se multiplier avec l’augmentation de prévalence des facteurs de risque que sont le tabagisme, l’obésité et le diabète dans les sociétés développées. Et ce alors même que le dépistage d’anomalies génétiques prédisposantes serait effectué. Même dans les pays en développement où la contraception est peu utilisée et où les enjeux de contrôle des naissances sont capitaux, de nouvelles méthodes plus sures sont aussi attendues.

Note

1/ Pomp ER, Rosendaal FR, Doggen CJ. Smoking increases the risk of venous thrombosis and acts synergistically with oral contraceptive use. Am J Hematol. Feb 2008;83(2):97-102. Obesity: risk of venous thrombosis and the interaction with coagulation factor levels and oral contraceptive use, Morteza Abdollahi, Mary Cushman, Frits R. Rosendaal, Thrombosis and Haemostasis 2003 89 3: 493-498.

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