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Les origines du mal : la statue d'Hitler a-t-elle sa place dans le ghetto de Varsovie ?
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La bête

C'est à genou et en pleine prière que l'artiste italien Maurizio Cattelan a décidé, en 2001, de représenter Adolf Hitler. La polémique refait surface alors que la statue vient d'être installée en plein ghetto de Varsovie. "Provocation" ou objet "éducatif", les avis divergent.

Michel Onfray

Michel Onfray

Michel Onfray est philosophe. Particulièrement intéressé aux questions liées à la politique, la morale, l'athéisme et l'histoire de la philosophie, il est l'auteur de nombreux ouvrages.

Parmi les plus récents, on trouvera notamment La passion de la méchanceté : Sur un prétendu divin marquis (Autrement / 2014), Les Freudiens hérétiques (Grasset / 2013), Rendre la raison populaire (Autrement / 2012) ou encore L'ordre libertaire (Flammarion / 2012).

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Atlantico : "Him", la statue de Maurizio Cattelan représentant Adolf Hitler à genou en train de prier, avait déjà défrayé la chronique lors de son inauguration en 2001. Elle fait de nouveau l'objet de polémiques en arrivant en plein ghetto de Varsovie le mois dernier. Plusieurs associations dénoncent une "provocation insensée" tandis que le grand rabbin polonais Michael Schudrich préfère y voir un objet avec "une valeur éducative". Que voyez-vous dans cet objet et dans ces deux interprétations radicalement opposées de ce qu'il représente ?

Michel Onfray : C’est à la fois une « provocation insensée » pour ceux qui ne sont pas initiés au langage de l’art contemporain, autrement dit une immense majorité des gens, et une formidable oeuvre ayant « valeur éducative ». Faut-il prendre le risque, par cette exposition publique, de manquer la transmission du message pédagogique et de ne parvenir qu’à une provocation blessante pour beaucoup ? Car quel est le message pédagogique de cette oeuvre ( que, pour ma part, j’aie vue à Venise et qui m’a littéralement subjugué...) : qu’Adolf Hitler fut enfant, qu’il a fait sa communion, qu’il a grandit et, contrairement à ce qu’indique la vulgate qui veut en faire un païen, Hitler n’a jamais abjuré sa foi catholique et la religion qui va avec.

Il écrit dans Mon combat [NDLR : Mein Kampf] :"il nous faut prendre des leçons de l’Eglise catholique. Bien que son édifice doctrinal, sur plus d’un point- et souvent d’ailleurs d’une manière surtout apparente- heurte la science exacte et l’observation, elle se refuse pourtant à sacrifier la plus petite syllabe des termes de sa doctrine. Elle a reconnu très justement que sa force de résistance ne réside pas dans un accord plus ou moins parfait avec les résultats scientifiques du moment, résultats d’ailleurs jamais définitifs, mais dans son attachement inébranlable à des dogmes établis une fois pour toutes, et qui seuls confèrent à l’ensemble le caractère d’une foi" (page 457 de la traduction dans les Editions latines).

Dans des conversations privées avec Albert Speer, Hitler dit tout le bien qu’il pense du christianisme, une religion que le III° Reich n’a jamais persécutée en tant que telle. Les ceinturons des soldats nazis portaient sur leur boucle « Dieu avec nous », ce qui n’est ni une profession de foi païenne, ni une déclaration de guerre athée ! Chaque journée que le Dieu chrétien faisait dans le Reich national-socialiste, les enfants devaient faire une prière à Jésus, pas à Dieu... Le même Hitler demande à Goering et Goebbels de rester dans le giron chrétien... Hitler aime le Jésus qui chasse les marchands du temple. Le Vatican le lui rend bien, puisque Mon combat n’a jamais été mis à l’index – au contraire des oeuvres de Bergson, Sartre ou Beauvoir. J’ai détaillé tout cela dans mon Traité d’athéologie, ce qui m’a fallu un torrent d’insultes – mais pas une seule réfutation. Il suffit de faire de l’histoire, de lire le livre d’Hitler, et de ne pas se contenter de la légende d’un Hitler païen. Ce que montre l’oeuvre de Cattelan est donc cette vérité historique recouverte par un siècle qui n’est pas parvenu à penser toute la monstruosité de cet Autrichien catholique. Cette oeuvre montre que « l’enfant est le père de l’homme » - une citation qu’on attribue faussement à Freud qu’il a « empruntée » au poète Wordsworth.

Hitler est devenu une image presque abstraite, pour les générations les plus jeunes, d'un mal absolu. Il est majoritairement représenté comme un monstre fou, hurlant et sanguinaire. Est-il risqué de le présenter aussi comme un homme, avec ses propres faiblesses toutes humaines, comme ici recueilli dans la prière ? Cela peut-il réduire la responsabilité perçue de ses crimes par l'humanité ?

Diaboliser même le diable est toujours une mauvaise affaire pour la raison, l’intelligence et la justice : le diable se déconstruit uniquement par un travail historique et philosophique, pas par l’insulte. Lui cracher au visage laisse intacte sa monstruosité. Ce qui est risqué est d’entretenir la doxa diabolisante : il nous faut faire de l’histoire, surtout de l’histoire, de la sociologie, de la psychologie, de la philosophie pour faire l’anatomie du mal, l’analyser, le comprendre et le prévenir. L’artiste procède par « percepts » pour utiliser un vocabulaire réactivé par Deleuze, par images, par provocations figurées : avec ceux qui peuvent comprendre l’ironie cinglante, pourquoi pas. Mais avec les autres, les risques sont considérables de produire l’ effet inverse : on augmente la part des passions, on fait donc reculer la part de raison et le mal reste tout puissant.

D'où vient ce besoin de déshumaniser ce genre de personnalités, ayant marqué l'histoire en commettant des crimes de masse ?

La raison est rare, son usage également. La passion est plus facile : exciter à la haine (j’y ai aussi eu droit lors de la parution de mon livre qui déconstruisait la légende de Freud et du freudisme, Le crépuscule d’une idole...) est d’un bénéfice plus immédiat que d’en appeler à l’analyse, à la raison, à l’intelligence, au débat, à la réflexion croisée. La vieille logique du bouc émissaire est plus efficace que celle qui en appelle au verbe. L’insulte, le mépris, l’anathème, l’injure, l’offense, l’outrage ne font qu’augmenter l’insulte, le mépris, l’anathème, etc. Quand on m’a insulté pour avoir dit que Mon combat n’avait jamais été mis à l’index des livres interdits par le Vatican a-t-on obtenu que cette vérité vérifiable devienne une erreur ? Je le dis souvent : les hommes préfèrent une légende qui les sécurise à une vérité qui les inquiète...

Y a-t-il un intérêt "éducatif", pour reprendre le mot du rabbin Schudrich, à étudier un tel personnage sous cet angle ?

Les rabbins sont, de par leur formation et leur fonction, des gens d’intelligence, de lecture, de culture, de savoir, de langage. Ils maîtrisent toutes les subtilités de la pensée symbolique, allégorique et métaphorique. Ils disposent d’une très vieille tradition herméneutique qui leur permet de décoder les oeuvres les plus conceptuelles, les plus abstraites. Mais ils occupent le sommet d’une pyramide intellectuelle alors que la base manque du décodeur qui leur permettrait de comprendre ce langage très élaboré qu’est l’art contemporain. Dès lors, il y a un double risque : le premier, ne pas comprendre ; le second : comprendre le contraire ou autre chose. Je crois que l’oeuvre de Cattelan est un chef d’oeuvre dans l’enceinte muséale et une bombe à fragmentation une fois sortie de cette enceinte, placée dans la rue, le lieu de toutes les passions, le lieu le moins favorable à la raison...

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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