David Guetta, star à l'étranger, méprisé chez nous : pourquoi ce snobisme des médias français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour David Guetta, "les critiques musicaux français "sont des ploucs qui n’y connaissent rien (...)".
Pour David Guetta, "les critiques musicaux français "sont des ploucs qui n’y connaissent rien (...)".
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Jean-Michel Jarre des années 2010

Dans une interview au Parisien, le DJ David Guetta, qui a sorti une réédition de son dernier disque la semaine dernière, déclare que les critiques musicaux français "sont des ploucs qui n'y connaissent rien". Le Français serait-il boycotté dans son propre pays ?

Emmanuel Poncet

Emmanuel Poncet

Emmanuel Poncet est rédacteur en chef adjoint du magazine GQ et auteur de Eloge des tubes de Maurice Ravel à David Guetta aux éditions Nil.

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Atlantico : Dans une interview au Parisien, le DJ David Guetta, qui a sorti une réédition de son dernier disque la semaine dernière, déclare que les critiques musicaux français "sont des ploucs qui n’y connaissent rien, ils ne savent pas ce qui m’est arrivé". Que reprochent les journalistes français à la musique de David Guetta ?

Emmanuel Poncet : D’abord il y a “journalistes” et “journalistes”. Il faut distinguer, d’une part, les critiques musicaux, branchés, qui sont mandatés par leurs rédactions pour établir des hiérarchies au sein de la production, des dizaines de disques qui sortent chaque mois. Ceux là, en effet, méprisent la plupart du temps David Guetta, le trouvent “plouc” justement, jugent sa musique, grossière, démagogique, bling... Rayez la mention inutile (ou complétez avec l’adjectif de votre choix). D’autre part, il y a les journalistes généralistes radio télé presse ecrite qui ont toujours raconté, voire salué le “phénomène Guetta” à longueur de colonnes, de reportages ou de plateau, comme au Grand journal il y a peu. Nous mêmes, au magazine GQ, avons réalisé une couverture Guetta.

L’accroche résume bien la problématique : “Moqué par les branchés, adulés par les autres.” Ce fut l’une de nos meilleures ventes, alors que les lecteurs de GQ sont réputés exigeants. En revanche, Guetta nous a fait savoir qu’il n’avait pas apprécié les photos... tout en utilisant l’une d’entre elles pour la couverture de son album !

Donc pour répondre à votre question, il n’y a pas de boycott, juste une confusion entre l’artefact médiatique “Guetta”, le phénomène sociologique d’une puissance étonnante (l’avènement du “DJ rock star internationale” dans les années 2000 pour aller vite) et la qualité musicale  de ses productions.

Comment expliquer ce désintéressement, voire cette absence de goût des journalistes, pour ce qu'il fait ?

David Guetta vit peu ou prou ce que Jean Michel Jarre a vécu dans les années 80 : succès international, mais mépris pour le personnage show off et le côté “musique de synthèse un peu grasse et primaire” de sa musique. Son problème ? Au lieu d’épurer ses sons, effets, beats, synthes..., il veut tout mettre dans ses morceaux, comme un pâtissier qui voudrait faire à la fois un baba au rhum, un chou à la crème et un fondant au chocolat pour épater ses clients. Il pense qu’il suffit de mettre “25 kilos de croches dans une compositrice électronique”, comme disait Boris Vian à propos des tubes commerciaux dans les années 50, et faire danser dix mille personnes à Ibiza, pour être un artiste reconnu. Non. Pour ma part, je suis fasciné par le phénomène Guetta. C’est “I Gotta feeling” des Black Eyed Peas, produit par lui, qui m’a donné envie d’écrire Eloge des tubes”, de Maurice Ravel à David Guetta (Nil). La première phrase est d’ailleurs “je vais me faire lyncher”.

Les journalistes sont-ils snobs en terme de culture et notamment de musique ?

Oui, mais c’est leur métier de créer de la distinction ! Ceci dit, ce que je dis dans mon livre, c’est qu’ils passent à côté de l’émotion collective, démocratique, émotionnelle, corporelle que les grands hits, même les plus vulgaires produisent sur les gens. Il n’y a pas que l’esthétique dans la vie ! Et je suis persuadé que ces mêmes critiques snobs pleurent en secret sur “La Isla Bonita” de Madonna parce que ça leur rappelle leur amour de jeunesse à Bandol... A titre personnel, j’aime bien “Memories” le titre que Guetta et Kid Cudi ont fait ensemble.

Pourquoi, au contraire, les pays anglo-saxons adorent-ils la musique de Guetta ?

Peut-être parce qu’ils sont moins puritains et soupçonneux que nous sur le fait de réussir commercialement pour un artiste, si démago soit-il, d’en jouir et de le montrer sans complexe comme le fait Guetta. Aussi parce qu’ il a su exporter aux USA un véritable courant d’air frais “dancefloor” venu d’Europe. Avec son “électro festive pour les masses”, empruntant à la fois à la “french touch” (Daft Punk, Air, Alex Gopher, Garnier...) qui, elle, était snob, et à l’eurodance italienne ou scandinave (Eric Prydz, Benny Benassi), il a littéralement électrisé le hip-hop et le R&B US qui commençaient à ronfler ou à tomber dans le pot de miel.

Qu'est ce que cela inspire, quand on sait que son demi-frère, Bernard Guetta, est lui-même un journaliste ?

Dans le Parisien de jeudi, il donne une clé psychologique très intéressante de l’agacement qu’il suscite chez les intellos Français.  C’est parce qu’il vient de là justement ! “J’étais un peu l’illuminé de la famille, dit-il. Ma mère était communiste, mon père, trotskiste. J’avais peut-être envie de faire ma propre révolution. J’ai grandi dans un environnement où l’argent ce n’était pas bien, où l’on ne pouvait pas toujours s’acheter ce que l’on souhaitait. Et cette frustration m’a donné envie de vivre les choses autrement.”

C’est très clair. Il est le rebelle paradoxal de sa famille. Comme un trader issu d’une famille d’ouvriers CGTistes qui aurait fait fortune, il est celui qui a déclenché une révolution musicale “bling” dans le monde, alors que ses parents, et son frère qui pontifie chaque matin sur le monde sur France Inter avec sa voix professorale, pensaient pouvoir le changer. Ses manifs géantes à lui ce sont les flashmobs d’Oprah Winfrey avec les Black Eyed Peas ou les milliers de personnes de ses boîtes à Ibiza ! Ce que ces “ploucs” de journalistes n’ont pas compris, pour reprendre son expression, c’est que dans une période de désaffection politique massive, ce sont les danseurs qui votent avec leurs pieds, comme dans la Rome antique ! “The Politicians are now DJ’s” chantait le groupe Reflex dans un tube de 1983. Aujourd’hui, c’est l’inverse : “Now, DJ’s are politicians”... Même le “plouc” David Guetta !

Propos recueillis par Valérie Meret

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