Ni floue ni signée Depardon : la photo officielle du couple présidentiel en vacances est-elle ratée pour autant ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le 5 août, le président et sa compagne posent à Bormes-les-Mimosas.
Le 5 août, le président et sa compagne posent à Bormes-les-Mimosas.
©Capture d'écran L'Express.fr

Moi Président en vacances

François Hollande et Valérie Trierweiler se sont prêtés au jeu de la photo de vacances. Le résultat : une des premières photos officielles du président qui ne soit pas floutée. Que nous révèle-t-elle de "Moi président" ?

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

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Pour la deuxième leçon de photographie (pour relire la première : Portrait de François Hollande : Une photo ratée de Depardon est-elle encore une œuvre d’art ?) nous avons choisi cette belle épreuve qui nous vient de l'AFP (donc, elle ne  vient pas de Depardon). C’est une des premières photos officielles de Moi-Président qui ne soit pas floutée. Bien qu’officielle elle n’est donc pas artistique. Dans le même temps, il faut remarquer que bien que n’étant pas artistique, il ne s’agit pas d’une photo d’amateur. C’est en quelques mots exprimer à quel point la photo est une technique délicate.

Cette photo n’est pas une photo d’artiste

Elle n’est pas floutée comme la photo de Depardon. Le floutage est une technique dont on a vu qu’il faut la manier avec précaution. En matière de photo, trop de gens, qui ne sont pas au courant de ce qu’art veut dire, concluent d’un floutage que la photo est ratée. (Oh ! zut, mes photos sont floues ! On ne voit pas bien ta mère ! C’est trop bête ! C’est l’appareil !). On a vu dans la précédente leçon qu’un artiste photographe sait faire du floutage un allié, du contre-jour un moyen d’expression et de la photo mal cadrée un argument choc. Toute photographie prise par un artiste porte la marque d’une volonté et d’une vision. Or, par essence, tout est mesuré, voulu, pesé et riche de sens dans une photographie officielle. Elle n’est pas là pour montrer un corps, inscrit dans un paysage, avec du soleil et de la pluie ou des bâtiments, ou n’importe quoi d’autre. Une photographie officielle parle de l’Homme, du Monde, du Passé et du Futur et, parfois, de Dieu. S’il faut qu’elle soit floutée pour dire tout ça, elle sera floutée. Un contre-jour fait disparaître le sujet officiel ou le rend moins visible ? Ce n’est pas par hasard, ni le fait d’une erreur de prise de vue. Par ce moyen, celui dont on fait le portrait annonce et proclame qu’il se veut homme de l’ombre et qu’il évitera de se mettre à découvert, que clarté et transparence ne sont pas des valeurs essentielles pour lui. On comprend ainsi que lorsque la photographie du Président de la République est floutée et à contre-jour, il ne s’agit pas d’erreurs, de fautes ou de ratages. L’œuvre floutée de Depardon était donc un message profond.

Une photo qui n’est pas floutée n’est pas nécessairement une photo d’amateur

La photo officielle que nous avons choisie pour cette deuxième leçon n’est pas floutée, ce n’est donc pas une photo d’artiste. Ce n’est pas pour autant une photo d’amateur. (Monsieur le Président ! Trop de chance ! Je vous prends trente secondes ! Les enfants seront si contents. Oui, Madame, heu, la Présidente ! Un peu plus près ! Comme un vrai couple ! Oh, je suis tellement heureuse ! Merci monsieur le Président !). Ce n’est pas une photo d’artiste. C’est pourtant une photo officielle.

Quelle différence ? Il n’est pas nécessaire d’être un artiste pour prendre des photos officielles. En revanche, il n’est pas recommandé de confier une photo officielle à un amateur. On risque en effet que l’accessoire l’emporte sur l’essentiel. Par exemple, l’amateur ne sait pas suggérer parce qu’il veut tout montrer. Il veut que le sujet fasse vrai, authentique, sincère : si le sujet est en train d’égorger son prochain, l’amateur insistera pour que l’égorgeur ait la tête d’un vrai criminel. Visage crispé, folie dans les yeux, sourire démentiel. D’ailleurs l’amateur n’hésitera pas à enregistrer le son et les mouvements. S’il a la chance de rencontrer le couple présidentiel, il demandera à « Madame d’embrasser Monsieur » ou de lui mettre de la crème à bronzer sur les joues, ou de gonfler une bouée. Toutes choses qui ne sont pas essentielles pour un Président.

Une photo officielle met donc en valeur l’essentiel du Président même si, comme le disait Saint-Exupéry, « l’essentiel est invisible pour les yeux ». Un bel exemple de photographie officielle où l’essentiel est invisible pour les yeux ? Il faut se souvenir du portrait des anciens Présidents. On n’y voyait absolument rien, sauf qu’ils étaient tous les mêmes. De vraies photographies officielles. Elles donnaient à voir une chose et une seule : un Président de la République. Très officielles et pas du tout artistiques. Jamais un amateur ne se serait risqué à faire aussi sinistre.

On comprend mieux maintenant que dans notre photographie, tout est officiel, tout nous parle de Moi-Président. Tout est conçu pour dire de nouvelles choses sur ce qu’il est, ce qu’il veut être pour les Français et les actions qu’il va entreprendre. Tous ces détails montrent qu’il s’agit d’une photo riche en volonté, en message et en vision politique. C’est en ce sens que c’est une photo officielle.

Une photo officielle forte

La rupture avec les trois caractéristiques de la photo de Depardon est criante : le couple présidentiel est net, il n’est pas en contre-jour, la photo est mise en scène au sens propre du terme. Moi-Président et sa compagne s’inscrivent nettement dans un cadre marin, ensoleillé et ludique. C’est une rupture évidente avec l’autre photo officielle qui renvoyait le cadre de l’Elysée dans un lointain nébuleux et difficilement lisible.

La photo est officielle car elle évacue le contingent, le superficiel, le « trop visible ». Il y a un vrai nouveau message officiel : tout d’abord celui du Dépouillement. Quoi de plus dépouillé que la façon dont Moi-Président est vêtu ? Dans une période de crise, n’est-ce pas un message fort. Moi-Président, partage symboliquement le drame vécu par ses concitoyens, « il ne lui reste plus que la chemise sur le dos ». Cette chemise informe, sans couleur définie, banale à souhait est un message. Moi-Président a choisi cette chemise, là, pas une autre pour sa photographie officielle. Le pantalon : un jean ? Un vieux truc en toile fourni par Emmaüs? Un cadeau de la CGT ? Ce pantalon-là, renforce les thèmes de l’austérité, de la compassion et du partage de la souffrance.

Ceci vaut pour le présent. La photographie officielle de Moi-Président n’insuffle-t-elle pas aussi la marque de sa volonté ? Sa posture n’est pas celle d’un homme qui subit. Il est calé sur ses jambes. Solidement. Malgré l’inconfort de sa position. L’inconfort de cette situation contribue à la grande intensité de la pose. Quand on imagine à la fois que son équilibre est instable et qu’il a le soleil dans les yeux, le sourire de Moi-Président prend tout son sens. C’est un sourire d’espoir. Malgré tout. Moi-Président sourit à l’avenir.

Une photo inscrite dans son temps

Il faut revenir, un instant de raison, sur la photographie officielle de Depardon. L’arrière-plan était évanescent, flouté bien entendu, des « drapeaux » à peine discernables, tombaient des combles du Palais.

La nouvelle photographie officielle ne donne pas à « l’arrière-plan », un rôle secondaire. Bien au contraire. C’est justement de l’avenir qu’il s’agit. Le photographe de Moi-Président l’inscrit dans un paysage ensoleillé et maritime, donc heureux. Si Moi-Président avait été photographié dans un contexte de ciel bleu et de sable doré ou brun, avec de la rocaille, le sens n’aurait pas été le même ! Cela aurait été un message international, sur le Sahel, sur les dangers de voir l’islamisme obscurantiste s’implanter au centre de l’Afrique. Ici, le bleu du ciel parle du temps qui vient et le bleu de la mer des gens que nous sommes.

Bleu, il faut s’en souvenir est une des trois couleurs qui font vibrer les Français depuis la nuit des temps historiques. Toutes les études le montrent. Les Rois de France, depuis les Capétiens, sont vêtus de bleu. Marie, mère de Dieu, est représentée dans un manteau bleu. Le sang des gens importants n’était-il pas bleu ? Etc. Dans la tradition iconographique (qu’est ce qu’une photographie officielle sinon une version moderne de l’icône), un ciel bleu, un fond bleu indiquent que le personnage (le Saint, le Héros, le Moi-Président) s’inscrit dans notre temps par opposition au fond « or » qui évoque l’éternité, un monde supérieur et lointain. Cette présence à notre temps n’est pas là pour faire « joli », elle est signifiante : elle est porteuse d’espérance pour l’avenir qui va nous sourire (le soleil, ensoleillé etc.).

Dernier point, la mer : c’est, dans l’ordre de la représentation, un très fort symbole de la Société. Ici, on pressent le doux moutonnement des vagues chères à P. Valery. Les vagues, c’est la certitude du changement. (Par opposition, quand on ne veut de changement on dit : « pas de vagues »). Cette mer-là est calme : l’avenir se conçoit dans le calme d’une société qui change. Et surtout la mer est porteuse. De la mer vient Aphrodite, soit tout ce qui est beau et doux. Et la mer porte les bateaux. Détails superflus que ces bateaux ? Dans une photo officielle tout est sens. Il n’y a pas de hasard. Ce qui est représenté parle, ou bien crie, ou chante, comme on voudra. Il n’y a pas de figurants dans une photographie officielle, ni de potiche. Alors que nous disent les bateaux clairement visibles sur la photo officielle ?

L’un est très manifestement un de ces yachts à moteurs, brûlant des litres de fuel lourd et sulfureux, qui ronflent avec arrogance et promènent des riches lassés et blasés. Il est en passe de quitter le cadre de la photographie officielle. Il traîne derrière lui, une « annexe ». C’est ce qui restera après que la volonté de Moi-Président se sera pleinement exercée. Au contraire, faisant face au rivage, la proue valeureuse tournée exactement dans la direction du couple présidentiel, un jeune et bel esquif, mâlement mâté, indique que les forces vives de la Nation sont invoquées et soutiennent Moi-Président. Pas de frime. Pas de pollution. Pas de gaspillage d’énergie. La France au travail.

Cette deuxième leçon de photographie montre nous permet de conclure sur le principe de la photographie officielle. 1) Cette photographe-là de Moi-Président est purement officielle, elle a été débarrassée de tout effet artistique.  2) Elle est officielle car tout y est signifiant, pas un détail qui ne parle de Moi-Président et de ses enjeux politiques.

Voudrait-on clore cet exposé de façon quelque peu lyrique ?  On ne pourrait résister à citer ce vers du célèbre poète de Sète. « Courons à l’onde en rejaillir vivant ».

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