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La diplomatie française vue du Moyen-Orient : un mélange d'attentisme, d'hypocrisie et de soutien aux islamistes
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Désamour

François Hollande donnera ce lundi sa vision de la diplomatie française et ses priorités lors de la Conférence des ambassadeurs. Le dossier syrien sera certainement un des enjeux de la conférence. Un dossier sur lequel la diplomatie française est particulièrement décriée.

Amin Elias

Amin Elias

Amin Elias est doctorant contractuel en histoire contemporaine à l’Université du Maine.

Il est membre du Centre de recherches historiques de l’Ouest (CERHIO), et du Réseau de Recherche dynamique citoyenne en Europe (DCIE).

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Atlantico : Laurent Fabius a multiplié les déclarations sur la Syrie, la dernière en date fait allusion à une zone d'exclusion aérienne. Cela est-il réellement possible ?

Amin Elias : Depuis le début des événements dans les pays arabophones (Tunisie, Egypte, Yémen, Bahrein, Région orientale de l’Arabie Saoudite et Liban), la diplomatie française donne l’impression qu’elle est dans un état de réaction plutôt que dans une action bien planifiée et structurée.

Quant aux déclarations de M. Fabius autour de la crise syrienne (et notamment la dernière dans laquelle il parle d’une zone d’exclusion aérienne), elles montrent non seulement une démagogie qui révèle une impuissance, mais aussi une ignorance redoutable de la part de la diplomatie française envers les réalités sur le terrain syrien.

Pour parler précisément de la zone d’exclusion aérienne, je trouve essentiel de noter les faits suivants :

- Aucune puissance n’est capable de créer cette zone, sauf les Etats-Unis qui jusqu’à maintenant expriment une hésitation à impliquer les troupes américaines (y compris celle aériennes) dans un combat direct contre les troupes syriennes.

- La Syrie possède une force aérienne considérée comme l’une des meilleures parmi les pays arabes. On parle ici de 360 à 400 chasseurs et avions de combat ; d’un système de défense anti-aérien (des missiles et des radars) très sophistiqué que la Syrie a acheté récemment de la Russie. Les capacités de ce système restent toujours inconnues par les puissances occidentales.

- L’armée syrienne jusqu’à maintenant n’a déployé dans les combats avec les « insurgés » que 20 à 25 % de ses troupes. Les autres troupes sont toujours en place pour répliquer sur toute intervention étrangère.

- Jusqu’à cette heure, l’armée syrienne n’a pas convoqué ses « cadres de réserve » qui comptent des dizaines de milliers de soldats.

- L’armée syrienne a reçu durant les mois derniers 50.000 demandes d’adhésion de jeunes syriens.

- La grande question qui se pose (dans le cas où on a décidé de créer cette zone d’exclusion aérienne) est la suivante : Quel est le coût financier et humain d’une telle opération ? Est-ce que l’Europe en général et la France en particulier sont prêtes pour cela, notamment avec la crise économique qui frappe l’Union européenne ?

Ainsi, il paraît clair que la dernière déclaration de M. Fabius est une déclaration démagogue. Je répète ici qu’elle n’est envisageable et possible qu’avec le soutien des Américains.

La France paraît totalement amorphe sur la question syrienne. Derrière les déclarations tapageuses, ne se cache-t-il pas une certaine paralysie de la diplomatie française ?

Je suis entièrement d’accord avec votre réflexion. Je pense que le vrai problème de cette diplomatie réside dans le fait qu’elle n’a aucune vision à proposer pour cette crise. On constate que dès le début de cette crise, la diplomatie française s’est rangée derrière les Etats-Unis. Par contre, on trouve que la diplomatie russe a profité de la situation non seulement pour améliorer sa présence sur la scène internationale mais aussi pour s’imposer comme puissance susceptible de créer un nouvel équilibre mondial.

Ce que je crains personnellement, c’est le fait que la diplomatie française n’a pas retenu la leçon des années 80, lors du soulèvement mené par les Frères musulmans en Syrie. Ce soulèvement a duré 5 ans, de 1980 jusqu’à 1985, durant lequel il y a eu beaucoup de divisions au sein du régime syrien. C’est dans ce cadre que Rafaat al-Assad, le petit frère de Hafez al-Assad, s’est révolté contre ce dernier essayant de mener un putsch et acquérir les rênes du pouvoir. Cependant, Hafez Assad, à cause de la structure de son régime assez solide, a remporté la confrontation avec les Frères musulmans et avec son petit frère.

Il ne faut oublier aussi que durant cette période, la Syrie a subi une défaite face à l’armée israélienne au Liban en 1982. Et malgré tout cela, la Syrie s’est imposée dans la deuxième moitié des années 80 et jusqu’à maintenant comme force régionale incontestable ; et cela grâce, au début, au soutien soviétique, et par la suite au compromis que la Syrie a fait avec les Etats-Unis en 1990 dont le Liban fut la victime.

Je souligne aussi un constat : ni le régime syrien, ni ses alliés iraniens, et libanais (notamment le hezbollah) n’ont utilisé leurs diverses cartes (par exemple, je pense aux Kurdes qui peuvent être utilisés contre la Turquie, aux Finul au Liban qui peuvent se transformer en des otages, aux Huthite au Yémén qui peuvent être utilisés contre l’Arabie Saoudite, aux Palestiniens pro-syriens au Liban et en Jordanie, etc…).

Il me semble que « cette structure solide du régime syrien » est entièrement inconnue par la diplomatie française.

Ce lundi a lieu la conférence des ambassadeurs à Paris, vous qui êtes libanais, comment est perçue la politique étrangère au Moyen-Orient ?

Je ne vous cache pas ma profonde déception, et mon inquiétude à l’égard de cette politique étrangère. Il y a beaucoup de gens au Moyen-Orient qui ont le sentiment que l’Occident mène un complot contre leurs pays dans le but de garantir la sécurité d’Israël et de protéger ses alliés autoritaires du Golfe, au détriment des peuples de la région, notamment les groupes les plus défavorisés comme les minorités religieuses, en particulier les chrétiens.

Ces minorités sont traumatisées par le sort des chrétiens d’Irak (1 million) qui se sont dispersés partout dans le monde à cause de l’invasion et de la politique américaine dans ce pays, qui a été ravagé sous le prétexte de la démocratie. Il ne faut pas oublier que cette invasion américaine a causé plus d’un million de morts depuis 2003. Elle a créé également un pays déstructuré, fragile, pauvre et non sécurisé. 

De plus, cette politique paraît pour beaucoup d’Orientaux et de Libanais comme hypocrite. Les gens n’arrivent pas à comprendre comment la France, l’Europe et les Etats-Unis revendiquent la liberté et la démocratie pour les Syriens, et les refusent pour les Bahreïnies et les Saoudiens. Les alliés de l’Occident comme l’Arabie Saoudite, le Bahrein, le Kuweit, Oman, le Pakistan et le Qatar représentent les modèles les pires et les plus retardataires de la gouvernance dans le monde. Malgré cela, ils sont protégés par les Etats-Unis et les pays européens. Pire que ça, ces pays dotés de la doctrine wahabite et de l’argent se sont transformés en foyers du terrorisme mondial. Néanmoins, aucun ministre des Affaires étrangères américain ou européen ne se prononce sur les atteintes aux droits de la femme, de l’Homme, ou des minorités dans ses pays.

Personnellement, je pense que la France, l’Europe et les Etats-Unis sont en train de perdre les derniers éléments de leur crédibilité aux yeux des Orientaux. Je pense même que les groupes appuyés actuellement par les Occidentaux vont se retourner contre les Occidentaux une fois qu’ils auront acquis le pouvoir.

Ce qui est étonnant pour beaucoup de Libanais et d’Orientaux, c'est le fait que la France, l’Europe et les Etats-Unis se trouvent sur un même front avec l’extrémisme islamique, et notamment al-Qaïda, contre Bashar al-Assad. La question qui se pose actuellement : Comment les Occidentaux et al-Qaïda sont-ils devenus des alliés objectifs dans la lutte contre Bashar al-Assad ?

La France, qui est en ce moment à la tête du Conseil de sécurité de l'Onu, va t-elle finir par agir ou bien va-t-elle rester passive sur le dossier syrien ?

Je pense que la diplomatie française aurait dû jouer un rôle médian entre l’opposition syrienne d’une part et le régime syrien de l’autre. Cependant, je ne sais pas si cette diplomatie est capable actuellement de jouer ce rôle, même si la France est en ce moment à la tête du Conseil de sécurité, parce qu’elle a pris déjà ses positions radicales, aux côtés de l’opposition syrienne de l’extérieure représentée par le « Conseil national de l’opposition syrienne », qui siège à Istanbul. Ce qui est plus grave, c'est que la France a déclaré (voir les dernières déclarations des ministres des Affaires étrangères et de la Défense) son soutien à « l’Armée syrienne libre » ; il s’agit d’un soutien politique et militaire (sur le plan des moyens de télécommunication et d’information).

Propos recueillis par Charles Rassaert

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