Viol de Lara Croft dans le nouveau Tomb Raider : faut-il vraiment jouer sur les pulsions primaires des gamers pour les séduire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’article publié par le magazine Joystick suite à la diffusion du trailer du nouveau Tomb Raider, qui montre une tentative de viol de l’héroïne, a déclenché la polémique.
L’article publié par le magazine Joystick suite à la diffusion du trailer du nouveau Tomb Raider, qui montre une tentative de viol de l’héroïne, a déclenché la polémique.
©DR

Macho game

Un article du magazine Joystick qui s'enthousiasme sur la scène de viol du nouvel opus du jeu Tomb Raider défraie la chronique et relance le débat : le milieu des joueurs est-il emprunt de sexisme ?

Michael Stora

Michael Stora

Michael Stora est l'auteur de "Réseaux (a)sociaux ! Découvrez le côté obscur des algorithmes" (2021) aux éditions Larousse. 

Il est psychologue clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin. Il y dirige un atelier jeu vidéo dont il est le créateur et travaille actuellement sur un livre concernant les femmes et le virtuel.

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Atlantico : L’article publié par le magazine Joystick suite à la diffusion du trailer du nouveau Tomb Raider, qui montre une tentative de viol de l’héroïne, a déclenché la polémique. Le journaliste y décrit une Lara Croft « humili[ée] » et « souill[ée] » sans aucun ménagement. Et de s’enthousiasmer : « si j’osais, je dirais même que c’est excitant ». Les « gamers » sont-ils machos ?

Michael Stora : Ce que m’apprend mon expérience de clinicien ayant été confronté à de très gros gamers, pour certains dépendants, et parfois des enfants dits précoces, premiers de la classe, c’est que ces garçons ont souvent une certaine peur des femmes, peur qui se traduit par un rapport défensif, par des paroles machistes, voire assez réactionnaires à l’encontre de ces dernières.

Pourquoi ce rapport aux femmes ?

Pour ces joueurs comme pour tous les garçons, la première femme de leur histoire est la mère, ce qui nous amène à ce fameux complexe d’Œdipe. Ce complexe n’est, en effet, pas toujours évident à dépasser : la mère est souvent vue comme un monstre maternel, ce qui justifie les positions défensives et les inquiétudes très fortes des adolescents. Chez le gamer ou le geek, cela se traduit par un rapport avec les femmes très compliqué et marqué par la frustration. Leurs pulsions sexuelles se canalisent dans des pulsions avant tout sadiques.

C’est pourquoi leur idéal féminin est souvent celui d’une femme soumise, qui ne les mettra pas en danger.

Cela signifie-t-il que ces hommes ou adolescents se tournent vers les jeux vidéos pour assouvir leurs pulsions ?

Il est vrai que la plupart des jeux vidéo semble, a priori, destinée à un public de garçons adolescents. Les jeux qui se vendent le plus sont en effet des jeux de sport et de guerre.

Cela dit, on rencontre un grand nombre de joueuses qui apprécient aussi ce type de jeux. On peut y voir une forme de féminisme. Il existe de grandes joueuses adeptes de Counter Strike. Elles-mêmes reconnaissent en général que ce milieu est macho, un peu comme certains milieux sportifs le sont. Mais soyons honnêtes, la plupart des game designers sont des hommes.

Même si quelques jeux, comme les Sims, ont permis aux femmes de se tourner vers le jeu vidéo… alors qu’aujourd’hui environ 50% des joueurs de Sims sont des hommes. 

Le nombre croissant de joueuses peut-il rendre les jeux vidéo moins « machistes » ?

Séga m’a un jour demandé de faire la promotion d’un jeu, Bayonetta, qui je crois ne s’est pas si bien vendu que cela, et ce n’est pas étonnant : Bayonetta est une femme totalement sadique qui passe son temps à tuer des anges et qui acquiert des superpouvoirs en suçant des sucettes. C’est totalement génial. Le game designer japonais et, pour être honnête, assez SM, a mis en scène une femme dont on se demande si elle ne nous manipule pas. On pourrait donc montrer Bayonetta contre un contrepoint à cette image d’une Lara Croft soumise.

Les filles qui jouent à Tomb Raider peuvent-elles s’offusquer des scènes de soumission de Lara Croft ?

J’ai vu la vidéo du trailer du nouvel opus de Tomb Raider et lu les commentaires des blogueuses, qui sont très remontées – et on les comprend.

Cela étant, pour n’avoir pas joué au jeu, qui ne sortira qu’en 2013, je ne peux pas totalement juger de la violence de la scène. Le jeu est une expérience très intime. Certes, en ne voyant que les images, on ne peut que conclure que Lara Croft est maltraitée. Il y a, semble-t-il, une scène de viol. Mais quel est le gameplay qui l’entoure ? La scène de viol va-t-elle jusqu’au bout ? En est-on uniquement spectateur ou peut-on interagir ? On ne le sait pas encore. Mais il est évident que cela va trop loin.

Quelle serait, selon vous, la limite à apposer à ce genre de scènes dans les jeux vidéo ?

Personnellement, je condamnerais certains films, qui vont parfois jusqu'à débuter par des scènes de viol monstrueuses. Et heureusement que certains font du cinéma, sinon, ils seraient peut-être en prison !

Le sadisme sexuel de certains auteurs peut ressurgir dans la création d’œuvres artistiques. Or le jeu vidéo est en passe de devenir, au même titre que le cinéma, un produit artistique et culturel à part entière. Il y aura donc des jeux sulfureux comme il y a des films sulfureux, comme « Les 120 jours de Sodome » de Pier Paolo Pasolini, voire des films pervers.  J’imagine que ce jeu est destiné aux plus de 18 ans.

Le personnage de Lara Croft a toujours été celui d’une bimbo, dotée d’une bonne âme. Son personnage était peu sulfureux, peu marqué par l’ambivalence. Il est regrettable est de pousser au paroxysme cette dimension de bimbo soumise. Certes, cette exagération va peut-être dans le sens de la cible et du joueur, auquel on fournit finalement la possibilité de maltraiter l’héroïne. Ce personnage un peu « propret » est donc mis à mal sur un mode sadique. Ici, le concepteur du jeu fait le pari que oui, le geek de base a un rapport, disons, un peu sadique aux femmes. Un sondage sur l’idéal amoureux du joueur a montré que celui-ci partage l’idéal féminin du rappeur : la bimbo. L’image de l’homme, assis dans une piscine, entouré de bimbos. D’ailleurs, dans les salons de jeux vidéo, ce sont des femmes qui sont présentes à l’occasion du lancement des grands jeux vidéo. Comme pour les salons de l’auto. On retrouve cette idée que le joueur, un peu comme l’acheteur de voitures, viendrait compenser une frustration liée à sa relation aux femmes.

Toutefois, le joueur voit Lara Croft, mais l’incarne également dans le jeu. J’imagine que, pour avancer dans le jeu, elle devra se défendre. Il ne semble pas que le jeu mette ouvertement en scène un viol dans lequel le joueur incarnerait le violeur. La différence est de taille. C’est surtout de l’article du magazine Joystick qu’est partie la polémique, non du trailer du jeu. Ce journaliste, en tant qu’harder gamer, que cinéphile du jeu vidéo, met en avant ses propres fantasmes au même titre qu’un jour un journaliste de Libération avait abordé ses fantasmes sexuels avec Marine Le Pen, disant qu’il aimerait, pourquoi pas, être violé par cette dernière. Ce qui est inquiétant, c’est le dévoilement du sadisme sexuel dans l’article.

La scène en elle-même ne devient inacceptable qu’à partir du moment où on ne peut pas, en tant que joueur, résister à cette situation. Au quel cas, le joueur, même en tant qu’homme, serait amené à ressentir un certain mal-être. Car toute scène de viol, même pour un homme, est inquiétante. Ou parce qu’elle lui renvoie ses propres fantasmes de viol, ou parce qu’elle évoque le fait d’être violé, par identification à une femme. Et bien sûr, toute femme est très inquiète à voir ce type de scènes, qui signifie être réifiée, mais aussi parce qu’elle renvoie à l’ambivalence du fantasme de viol.  J’ai été confronté à des joueurs traumatisés par des scènes de jeu vidéo qui renvoyaient à des zones très inconscientes.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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