Les femmes ont-elles vraiment plus d'intuition que les hommes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pendant longtemps, l’intuition a été considérée comme une « qualité féminine ».
Pendant longtemps, l’intuition a été considérée comme une « qualité féminine ».
©Flickr

Sixième sens

Séverine Denis explique que si l'intuition est originellement commune à l'homme et à la femme, le sexe féminin a pu, culturellement, le développer d'une manière plus poussée. Extraits de "Improvisez" (2/2).

Séverine Denis

Séverine Denis

Sévernie Denis est une comédienne improvisatrice professionnelle. Elle fait partie des pionniers de l'improvisation en France.

Elle est reconnue comme l'une des spécialistes des techniques d'improvisation et crée des spectacles et concepts d'improvisation en entreprises depuis 20 ans.

Elle est l’auteur du livre « Improvisez » aux éditions Eyrolles.

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Dans le monde animal, on parle de flair et cela renvoie essentiellement à l’odorat. Ce sens est forcément beaucoup plus développé chez les animaux qui, d’une part, n’ont pas de langage parlé et, d’autre part, vivent encore pour la plupart dans des environnements sauvages où les odeurs sont des repérages de survie. Les humains vivent de plus en plus en milieu urbain. On évalue aujourd’hui à environ 3,3 milliards les citadins dans le monde, et ce chiffre devrait augmenter encore vers 60 % de la population mondiale à l’horizon 20301. Le milieu urbain étant ce qu’il est, si notre odorat y est toujours très sollicité, ce n’est plus vraiment pour des causes de survie.

Par ailleurs, l’hygiénisme, propre aux sociétés postmodernes, est devenu un enjeu économique puisque nous ne supportons pratiquement plus les odeurs physiologiques naturelles. L’utilisation des parfums cosmétiques, des déodorants et des parfums d’ambiance, pratiquement tous synthétiques, a depuis longtemps déjà embrouillé nos capteurs olfactifs. On peut aller jusqu’à dire que l’homme des mégapoles mondialisées rêve de plus en plus d’environnements propres, au sens presque aseptisé du terme. La concentration des grandes villes combinée aux rejets polluants omniprésents légitiment cette envie de propre.

Mais alors, si l’odorat humain est formaté aux artifices de la modernité, que reste-t-il comme moyen de guidage fiable dans nos allées et venues et nos multiples rencontres ? Eh bien nous disposons d’un outil précieux qui résiste mieux que jamais aux mutations de notre environnement et qui est l’une des plus étonnantes caractéristiques humaines : l’intuition. Il y a beaucoup à dire sur l’intuition et, de l’autre côté de l’Atlantique, les études sur cet étrange radar sont nombreuses. Il est assez regrettable que la recherche française n’accorde pas autant d’intérêt aux phénomènes immatériels auxquels l’intuition appartient. Le mot « intuition » vient du latin intuitio qui évoque le regard au sens d’une pensée claire. Ce n’est pas rien ! Quant au mot « sagacité », il vient du latin sagax qui signifie « avoir l’odorat subtil ». Voilà une passerelle intéressante entre notre flair et l’intuition. Comme le rappellent les auteurs du livre Le Jeu du Tao : « L’intuition se cultive […] [elle] représente 90 % de nos facultés cérébrales. » « Tu peux apprendre à vivre avec tes intuitions et à leur faire confiance, comme l’animal se fie à son instinct pour survivre. Et de la même façon, tu peux apprendre à écouter et à saisir les synchronicités, ces signes ou opportunités de la vie que tu rencontres au quotidien et qui te délivrent un message souvent très clair1. »

Pendant longtemps, l’intuition a été considérée comme une « qualité féminine ». Heureusement, depuis, les recherches et les études ont permis de réaliser qu’elle n’était pas plus féminine que masculine. Ce sont les comportements culturels qui ont poussé les femmes à devoir développer davantage leur intuition. En effet, auparavant, les femmes étaient cantonnées à la sphère privée et leurs activités exigeaient beaucoup plus de comportements du « cerveau droit » que du gauche. Par ailleurs, n’ayant pas accès aux activités intellectuelles et techniques, les facultés sensitives se sont tout naturellement beaucoup plus développées dans les cerveaux féminins pendant toute une époque.

À l’inverse, les hommes ont eu toute latitude pour développer les matières dites « sérieuses » (du cerveau gauche). À l’évidence, nous faisons là un constat général, il y a fort heureusement toujours eu des exceptions tant du côté des femmes que de celui des hommes. L’intuition est bel et bien un phénomène qui concerne les deux sexes, c’est la culture et les valeurs comportementales d’une société qui orientent les prédispositions. La mutation des sociétés vers un peu plus d’égalité, même si les avancées en la matière restent très insuffisantes, permet de constater que n’importe quel homme aujourd’hui peut faire preuve d’intuition efficace. C’est d’ailleurs sans surprise qu’on trouvera des hommes intuitifs dans les domaines artistiques, mais aussi dans celui des sciences.

La plupart des grandes découvertes scientifiques se manifestèrent sous la forme d’idées fulgurantes (le célèbre « Eurêka ! » d’Archimède) après de longs processus de recherches à la fois rationnelles et intuitives. Cela dit, l’hypermatérialisme des sociétés occidentales n’a pas rendu service à notre « cerveau droit » ; on peut en constater les conséquences dans les comportements d’aujourd’hui. En effet, à force de déléguer de plus en plus de tâches à nos appendices technologiques, certains de nos sens s’émoussent et d’autres sont hypersollicités. Mais ce qui est plus ennuyeux, c’est que nos sens sont de plus en plus stimulés par des divertissements extérieurs artificiels et très puissants.

Ce phénomène a une conséquence grave sur nos comportements : il contribue à nous sortir de nous-mêmes et de notre centre intime. Sous stimulation sensorielle quasi permanente, l’esprit humain s’éloigne de sa « petite voix » intérieure et ne sait plus à quel saint se vouer dès qu’il se retrouve dans une situation périlleuse. Posez la question du silence à n’importe qui autour de vous et vous constaterez les réactions. La surutilisation technologique produit un ensemble de comportements qui fatiguent l’esprit et par conséquent usent le système nerveux. L’Homo economicus est devenu un individu fragile malgré le nombre pléthorique d’outils censés l’aider à mieux communiquer avec son environnement. La plupart de ces outils le tiennent à distance d’autrui et ses sens se heurtent de plus en plus souvent à des interfaces techniques. Que dire de ces enseignements que les nouveaux prophètes de la formation proposent par Internet ? Quand on sait que les progrès d’un apprenti ou d’un élève dépendent avant tout de la qualité relationnelle directe vivante et ensuite de son contenu, ce phénomène de disparition de la présence vivante devrait nous inquiéter.

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Extrait de "Improvisez" aux éditions Eyrolles (7 juin 2012)

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