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Batman, Spiderman, Wonderwoman : les super héros sont-ils des modèles dangereux
pour les enfants ?
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Enfilez votre costume

Ce mercredi, le dernier épisode de la trilogie Batman, "The Dark Knight Rises" sort au cinéma. Au-delà de la tuerie d'Aurora, de quelle façon les super héros influent-ils sur notre imaginaire ?

Yann Leroux

Yann Leroux

Yann Leroux est docteur en psychologie et psychanalyste. Il s'est intéressé comme psychologue à la dynamique des relations en ligne. Auteur de "Les jeux vidéo ça rend pas idiot" et "Mon psy sur internet" éditions fyp tient le blog psyetgeek.

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Les super héros sont partout. Les principales figures du panthéon de Marvel et de DC Comics sont régulièrement présentées au cinéma. On les retrouve comme fond d’écrans pour ordinateurs, comme sonneries de téléphone, et bien évidemment dans des jeux vidéo. Cette ubiquité des super héros s’explique par des facteurs économiques et par la psychologie individuelle.

Le fait que l’imaginaire des super héros soit travaillé par des forces économiques n’est pas nécessairement un mal. Wonder Woman doit son existence au désir d’un éditeur de donner aux petites filles américaines un héros aussi puissant que Superman ou Batman. Conçu initialement pour les petites filles, le personnage a largement dépassé son audience initiale et fait le bonheur d’adolescentes et d’adolescents. Il donne aux uns comme aux autres des images de force, de puissance  associées à la féminité et pendant longtemps Wonder Woman a été seule femme dans un monde dominé par des hommes.

Mythifier le monde

Mais le succès que remportent ces films tient également au fait qu’ils remplissent des fonctions psychologiques chez les spectateurs. Dans un monde souvent décrit comme entièrement aux prises avec la technique, les super héros permettent de réintroduire un peu de magie et d’imaginaire.  Ils aident à assimiler une époque riche en changements et sont autant d’outils pour penser, intégrer et traduire dans l’imaginaire les événements marquants du monde. Par exemple, l’attentat du 11 septembre 2001 a donné lieu dès décembre 2001 à des numéros spéciaux dans lesquels le doute, le désespoir, la rage, l’impuissance et la culpabilité des super héros donnent aux lecteurs une image de ce qui a pu être éprouvé à ce moment.

Les histoires de super héros donnent également une figure à des processus internes. En effet, avant d’être des images projetées sur des écrans de cinéma, les super héros sont des images projetées dans les appareils psychiques individuels et collectifs. Comme les contes et les mythes avant eux, dont ils sont souvent une réinterprétation, ils donnent  des appuis pour penser des situations problématiques. Que faire de ses capacités ? Qu’est-ce que vivre une vie pleine ? Comment vivre avec un deuil ? Qu’est-ce qu’être doué ? Qu’est-ce que le handicap ? Avec Spiderman, Batman, Dardevil et tant d’autres, les spectateurs rencontrent à nouveau ces questions. En les voyant au travers des super héros, il leur est plus facile de les penser pour eux-mêmes.

Les super héros sont des hyperboles. L’exagération permet de les situer d’emblée dans le domaine de l’imaginaire et d’inciter à la rêverie. S’enthousiasmer des aventures de héros qui doivent constamment sauver le monde permet de se reposer des dures réalités du quotidien. Disposer de cet espace est important pour les adultes. Il est vital pour les enfants dont le psychisme est en construction. Dans le jeu, dans les activités culturelles comme la lecture, le cinéma, ou les jeux vidéo, les enfants peuvent se reposer un temps du difficile travail d’être soi. Ils sont Superman, l’Homme d’Acier, ou le virevoltant Spiderman à moins qu’ils ne donnent leur préférence au caractériel Wolverine. Etre quelqu’un d’autre, dans le temps du jeu ou de la rêverie, leur permet de faire jouer leurs identifications et participe au travail de construction de leur personnalité.

Enfants et adolescents : deux situations différentes

Les enfants et les adolescents s’intéressent aux super héros pour deux raisons différentes. Les enfants s’y intéressent parce qu’ils emportent avec eux des questions et des problèmes qu’ils rencontrent dans leurs vie psychique.  Les super héros anticipent pour les petits l’image de ce qu’ils seront. Lorsque le temps sera venu, ils seront eux aussi capables de parcourir le monde à grande enjambées, d’atteindre des objets éloignés rien qu’en tendant le bras, de soulever des charges énormes, de conduire de puissants véhicules, de comprendre instantanément les choses les plus complexes, etc. En d’autres termes, pour un enfant, le super héros est l’image d’un adulte. Rêver avec les super héros, c’est alors s’imaginer être bien protégé par un adulte bienveillant.

Pour les adolescents, la chose est quelque peu différente. Ils n’ont plus d’illusions sur les pouvoirs de leurs parents. Le super héros n’est pas une image du futur de l’adolescent. Il est l’adolescent et il s’affronte à un monde d’adultes malveillants ou indifférents.  Comme le super héros, il doit apprivoiser un corps et ses nouveaux pouvoirs, notamment ceux lié à la sexualité. Il doit également faire avec les nouvelles responsabilités que leur donnent leurs nouveaux pouvoirs. Si la phrase de l’Oncle Ben – « De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités » est si souvent citée, c’est parce qu’elle décrit avec justesse la situation psychologique des adolescents et des jeunes adultes.

Le rôle des parents est essentiel

Si les images et les histoires des super héros présentent aux enfants des enseignements dont ils peuvent tirer quelques bénéfices, le rôle des adultes en général, et des parents en particulier reste essentiel. Ce sont eux qui peuvent, finalement, aider l’enfant à digérer les histoires de super héros en leur donnant l’occasion d’en parler. Là encore, les choses sont différentes selon qu’il s’agisse de petits enfants ou d’adolescents. Si les enfants aiment à jouer les rôles qu’ils ont vu au cinéma ou sur le téléviseur familial, ce n’est pas seulement parce que ces histoires les accaparent trop, mais plutôt parce que cela leur permet de se les approprier profondément. L’intérêt des parents aux jeux de leur enfant lui indique que les fantasmatisations qui y sont liées ne sont pas interdites. Les adolescents privilégient la parole.

Pour les parents, avoir une occasion de partage et de plaisir avec un enfant qui semble tout vivre sur le mode du déplaisir et du rejet est une aubaine qu’il ne faut pas manquer. Les discussions autour de Spiderman ou de Batman permettent de discuter d’une autre façon des pouvoirs et des devoirs de la famille. Le rôle des parents est important parce qu’ils ont à contrôler, en fonction de la connaissance qu’ils ont de leurs enfants, et des interdictions légales, l’accès aux différents médias. Ensuite, parce que la culture populaire joue avec les codes du genre de la littérature enfantine. Une partie du plaisir et de l’intérêt des histoires de super héros est de pouvoir repérer les clins d’œil et les citations. Mais ce plaisir ne peut être atteint que si les codes détournés sont préalablement compris.

S’il y a une question vis-à-vis des super héros, elle est moins dans la question des images de force et de pouvoir que dans la place faite au féminin. Trop souvent encore, les personnages féminins sont réduits à être des objets de désir pour les hommes. Mais les super héros jouent là leur rôle de miroir, car la place de la femme est une question qui se pose à l’ensemble de la société.

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