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Nouvel album des Beach Boys : cette pop ringarde qui s’assume (et devrait servir de modèle aux autres groupes de rock vieillots)
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Hall of fame

50 ans après la création du groupe, les Beach Boys sortent ce mardi un nouvel album. "That's why God made the radio" marque donc le renouveau des "garçons de la plage". Les papy-rockeurs ont-il fait l'album de trop ?

Laurent de Sutter

Laurent de Sutter

Laurent de Sutter est écrivain et éditeur. 

Passionné de cinéma, il dirige la collection "Perspectives Critiques" aux Presses Universitaires de France. Il vient de publier Théorie du trou aux éditions Léo Scheer. 

 

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Atlantico : Les Beach Boys célèbrent leurs 50 ans de carrière cette semaine avec la sortie d'un nouvel album intitulé "That's why God made the radio". Sont-ils encore crédibles à leur âge avancé ?

Laurent de Sutter : Les Beach Boys n’ont jamais été crédibles. C’était une part importante de leur génie. Lorsqu’ils décrochent leur premier hit (Surfin’ en 1961), le monde ne connaît ni les Beatles, ni les Rolling Stones. L’étalon auquel la musique pop est mesurée est celle du rock’n’roll, et de son attitude de rébellion molle. L’hédonisme dont font preuve les frères Wilson, aux antipodes de toute forme de rébellion, est l’anti-attitude par excellence. Certains, du reste, le leur reprocheront : leur musique est le son du capitalisme californien. Qu’en est-il aujourd’hui ? Rien n’a changé. Les Beach Boys sont toujours aussi peu crédibles, et leur son est toujours autant celui du capitalisme californien – augmenté de près d’un demi-siècle de nostalgie. Dire des Beach Boys qu’ils ne sont pas crédibles revient donc à dire que les films de Pixar, par exemple, ne le sont pas non plus. Ce n’est pas une question d’âge : c’est une question de rapport au monde et aux choses. Peut-on encore chanter le surf, les dragsters et les jolies filles en 2012 ? Que je sache, personne ne s’en prive.

Cette année marque aussi les 50 ans des Rolling Stones et des Beatles. Les premiers semblent à bout de souffle artistiquement parlant, tandis que les seconds ont bénéficié récemment de la sortie de leurs anciens tubes sur itunes pour connaître un vif succès qui pourrait être confirmé le 4 juin prochain lors de la sortie en version restaurée en DVD et Blu-Ray de leur célèbre film d'animation Yellow Submarine. Est-ce à dire qu'arrivé à un certain âge, il vaut mieux être une rock star morte que vivante pour vendre des disques ?

Être mort possède un avantage. Être à la retraite aussi. Disons que la question est celle de la clôture d’un corpus. La grandeur, dans la pop, est en effet non pas celle d’une œuvre, mais celle de la cristallisation dont une œuvre peut être l’objet. Tant qu’une œuvre cristallise les désirs plus ou moins avoués de jeunes gens, elle bénéficie d’un a priori favorable. Une fois qu’elle ne cristallise plus que la nostalgie de cinquantenaires bedonnants (ou de quarantenaires adeptes du jogging), c’en est fini. C’est une banalité, mais qu’il faut parfois répéter : l’amateur de musique pop n’aime pas la musique – il n’aime que les signes que cette musique produit. Seul compte le type de distinction que l’amateur en attend. Que l’on puisse classer les musiques en ringardes ou pas est assez exemplaire de cette démarche : depuis quand la musique se périmerait-elle ? Non. Seuls se périment les signes que la musique renvoie, parce que ce sont des signes d’époque. Les Beatles se sont tirés à temps, les Rolling Stones pas : chaque nouveau concert les ringardise d’avantage. C’est mécanique.

Autrefois musique pour jeunes, le rock est-il désormais ringard, les jeunes lui préférant le R n' B et le Hip-Hop ?

Bien sûr que le rock est ringard. La question est : à quel degré ? Pour l’instant, il faut craindre qu’il ne le soit qu’au premier. De manière inexorable, il se déconnecte des milieux auxquels la grandeur, dans le domaine des musiques populaires, est attachée. Un jour, peut-être, il passera au second degré. C’est-à-dire que certains, soucieux d’une distinction plus subtile, se mettront à l’aimer parce qu’il est ringard. Mais ce n’est pas encore le cas. De fait, le r’n’b ou le hip-hop raflent la mise. – et personne ne devrait s’en plaindre. Se plaindre de la disparition de quelque chose est en effet un des signes les plus certains de ce que l’on appartient au domaine du ringard. Le ringard rouspète, dit que c’était mieux avant, et ripoline avec componction les trophées de sa vie de fan passée. Faut-il en déduire que, au contraire, ceux qui se reconnaissent dans la musique de l’époque seraient des bénis-oui-oui ? Bien sûr. Il y a quelque chose de niais, et donc de très esclave, dans cette volonté d’éviter le ringard à tout prix.

Quitte à tomber dans le cliché, le rock est-il mort ? 

Aucune forme d’art ne meurt jamais. Seule meurt la possibilité d’en faire quoi que ce soit. A commencer par en éprouver du plaisir. Lorsqu’une musique se ringardise, cette possibilité devient en effet difficile. Pour les amateurs qui ne seraient pas encore tout à fait coupés de la rumeur du monde, le plaisir se teinte non seulement de nostalgie, mais aussi d’embarras pour cette nostalgie. L’amateur de musique ringarde sent bien combien son attachement par la musique qu’il aime est ringard en soi – et cela ne lui fait pas plaisir. Au contraire : c’est son monde qu’il voit disparaître avec le prestige des signes auxquels il était attaché. Sans doute est-ce dommage. Mais c’est inévitable. Tant que les musiques pop n’auront pas appris à être des musiques, elles se périmeront au rythme des mondes dont elles se veulent les miroirs fidèles. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elles passeront au-delà du cool ou du ringard, et qu’elles pourront, si cela s’avère, être dites « classiques. » Mais ce n’est pas demain la veille.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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