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Emmanuel Macron Lrem élus locaux élections 2021
Emmanuel Macron Lrem élus locaux élections 2021
©Kay Nietfeld / POOL / AFP

LREM

Dans la plupart des régions et départements, LREM n'a pas de véritable ancrage local. L'année 2021 et les scrutins dans les mois à venir vont-t-ils révéler l’absence de corps du parti ? Emmanuel Macron pourra-t-il gagner en 2022 sans relais ou soutiens sur le plan local ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Dans la plupart des régions et départements, LREM n’a pas d’ancrage local, l’année 2021 avec ces élections va-t-elle être révélatrice de l’absence de corps du parti ?

Christophe Boutin : Effectivement, l'année 2020 va être celle des élections locales (départementales et régionales) en même temps que celle où les formations politiques vont se mettre en ordre de marche pour préparer les affrontements de la présidentielle de 2022. Va-t-elle « révéler » ce que vous appelez « l'absence de corps » du parti présidentiel, La République En Marche ? Je crois que cette révélation a déjà été fort claire, au niveau national comme au niveau local.

Au niveau national rappelons que LREM a régulièrement perdu des parlementaires depuis 2017, certains siégeant maintenant sans étiquette, agrégés à d’autres formations, voire pour d’autres contribuant à la création de formations nouvelles, avec pour résultat une assemblée nationale qui retrouve une fragmentation partisane inconnue depuis la Quatrième république. Les parlementaires LREM de 2017 étaient de deux types : d’abord les ralliés, largement issus de la gauche socialiste, moins du centre droit, qui avaient rejoint en 2106-2017 l’équipe de campagne du candidat Macron ; ensuite des nouveaux venus de 2017 issus « de la société civile » et dont on nous expliquait qu’ils allaient renouveler le personnel politique – une demande de nombre de Français déçus par une caste qui se refusait à traiter les questions essentielles à leurs yeux.

Une partie de ces derniers, bien qu’élus sur le seul nom d'Emmanuel Macron, ont cru aux promesses de campagne selon lesquelles mille fleurs politiques nouvelles devaient naître de mille débats permanents, et ont connu le réveil douloureux de membres d’un nouveau « parti de godillots » sous la Cinquième, avec comme « contrat moral » une stricte discipline de vote. Quand certains de ces « idiots utiles » ont manifesté de manière trop évidente leur indépendance de pensée sur certains dossiers - on pense par exemple à la PMA-GPA, mais il en est d'autres -, ils ont été exclu du cercle magique de la pensée progressiste. D’autres pendant ce temps – les plus franchement arrivistes de la petite bande de 2017 -, anticipant sur une prévisible évolution, ont créé leur propre boutique tout en restant dans la majorité présidentielle – le beurre et l’argent du beurre donc, possible car, d’une part, LREM, ne disposant plus à elle seule de la majorité absolue à l’Assemblée nationale, ne peut pas les sanctionner trop ouvertement, et, d’autre part, nous passons de l’aspiration à créer un grand parti centriste attrape-tout à la nécessité de mettre en place une coalition.

Au niveau local c'est bien évidemment le résultat des municipales de 2020 qui a pleinement démontré l'absence d'ancrage du nouveau parti, et les alliances avec les centristes, ou même la droite, pour tenter de contrer la percée écologiste – un révolte contre le parti au pouvoir logique dans des élections de mi-mandat – n’ont pas eu les effets escomptés : aucune grande ville conquise, et LREM revendique un peu plus de 140 maires de communes de plus de 9.000 habitants, quand la France en compte 1063…

Peut-on attendre une confirmation de cela aux élections locales de 2021 ? Sans doute. Certes, les modes de scrutin sont différents. Rappelons qu’il s'agit d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour les départementales, et d'un scrutin de liste à la proportionnelle avec une prime majoritaire pour les régionales – le second étant plus favorable à un parti encore nouveau, qui n'a pas, ou très peu, de cadres locaux. Certes, aussi, la lassitude des Français devant un personnel politique local en place depuis parfois bien longtemps pourrait leur donner envie de « sortir les sortants ». Mais l’exemple des municipales montre au contraire qu’au niveau local les dits sortants, lorsqu’ils peuvent présenter de passables bilans, sont volontiers reconduits - et ce plus encore dans une période d’incertitudes comme celle que nous connaissons. Or, dans ce cas, l’avantage est d’autant plus à la droite que, comme pour les municipales, elle est déjà en place (elle contrôle 8 régions, plus une centriste, contre 7 à la gauche, et 52 départements, quand 25 sont dirigés au centre-droit et 30 à gauche).

Comme aux municipales donc, on risque d’entendre en 2021 un discours réduisant ces élections départementales et régionales aux seuls enjeux locaux, avec une focalisation dans les débats sur les missions spécifiques des collectivités concernées, pour éviter  toute « nationalisation » de ces élections. Comme pour les municipales de 2020 aussi, le taux d’abstention jouera son rôle (59 % pour les municipales de 2020), qu’il résulte de la peur de la contagion (43% des abstentionniste de 2020 expliquaient ainsi leur choix) ou de la lassitude des électeurs. Cette stratégie profitera en effet à la fois aux sortants dotés d’un bilan pas trop catastrophique, mais aussi à LREM, qui ne veut pas fragiliser un peu plus son image dans l’année qui précède les présidentielles et préfèrera certainement se montrer discrète.

Emmanuel Macron risque-t-il d’appréhender l’élection de 2022 sans soutien ou relais locaux ? Peut-il gagner dans cette configuration ?

Rappelons-nous 2017 : aucun des deux candidats finalistes de l'élection présidentielle ne disposait d'ancrage local. Cela montre que cette élection, considérée à juste titre comme l'élection reine de la politique française, ne repose pas pour les candidats sur la présentation d’une sorte du cursus honorum avec de précédents mandats locaux et, si elle suppose des soutiens, n’a pas nécessairement besoin de ceux de barons locaux.

Bien sûr Emmanuel Macron, comme en 2017, aura besoin de soutiens, mais en 2020 aussi il s’agira plus de « combinazione » politiques que d’autre chose. En 2017 le maire de Lyon, Gérard Collomb, était aussi et surtout un hiérarque socialiste, comme celui de Dijon, François Rebsamen, qui aidaient à fractionner le PS au profit de du jeune candidat, tandis que le maire de Pau, François Bayrou, monnayait sa non-candidature d'abord, le soutien du MoDem ensuite. Pour prendre ce dernier, un parti et surtout un homme politique en perte de vitesse, peinant à faire émerger une candidature capable de dépasser les 5 % des suffrages exprimés, et donc de bénéficier du remboursement des frais de campagne, a préféré aux risques de l’indépendance l’assurance d’être payé de son soutien après la victoire d’Emmanuel Macron.

De tels jeux politiques vont se refaire en 2022, de la part sans doute d’un MoDem que l’on ne voit pas présenter un candidat, ou d’autres partis centristes pour lesquels l’actuel président est la carte la plus rentable en termes de maroquins ou de postes ad hoc, comme ce Commissariat au plan offert à François Bayrou. Inversement, qu’apporte à une éventuelle victoire à la présidentielle de 2022 que LR conserve ses situations de rente locales ? Elles offrent une douce vie à ses principaux barons, qui peuvent dès lors continuer de s’étriper entre eux, incapables de définir un programme et moins encore de se choisir un candidat commun… Ainsi, non seulement un trop beau statut local ne fait pas nécessairement le niveau national – qu’importe à l’électeur de la présidentielle que X ait bien géré un département et Y une région ? - mais il peut même contribuer à le défaire.

S’il est réélu Emmanuel Macron pourrait-il conserver une majorité à l’Assemblée nationale ? Et si non, pourrait-il accepter de n’être que la cheville ouvrière d’une coalition ?

Il est vraisemblable que, s'il était élu en 2022, Emmanuel Macron échouerait à refaire ce qu'il a fait en 2017, c'est-à-dire à constituer derrière lui un parti présidentiel avec des jeunes pousses issues de nulle part qui obtienne – temporairement – la majorité à l’Assemblée nationale. Même en tenant compte de l’indéniable effet d’entraînement de l’élection présidentielle sur les législatives qui suivent, l’électeur faisant le choix de donner une majorité législative au président qu’il vient d’élire, c’est a priori ni réalisable – nombre de ces nouveaux arrivés ont déçu les Français, et ils risquent de ne pas les reconduire et/ou de se méfier de leurs remplaçants – ni souhaitable pour une formation qui n’a d’autre corpus que la récitation incantatoire des éléments de langage décidés par l’Élysée. Il est beaucoup plus envisageable de continuer dans la logique en cours, celle de la constitution d’une coalition « majorité présidentielle » entre plusieurs formations – ici LREM, MoDem, Agir et l’UDI –, comme dans le débauchage, notamment à droite mais aussi à gauche, de ceux qui trouveront que passer leur tour de postes et maroquins pendant encore cinq ans serait décidément trop long.

Mais une question importante est ici de savoir s'il y aura ou pas maintien du mode de scrutin que nous connaissons pour les législatives. Emmanuel Macron avait promis, on s'en souvient, d’introduire « une dose de proportionnelle », mais encore faudrait-il savoir si ce sera effectivement le cas et quelle sera l’ampleur de cette fameuse dose pour tenter de discerner comment le retour de ce mode de scrutin pourra influer sur les choix politiques des Français. On l’a compris, LREM ne sera sans doute pas plus ou pas moins fragilisé en ce cas, et pas plus ou pas moins aussi la coalition « majorité présidentielle » existante. Mais les choses peuvent être différentes pour les autres formations : quel serait l’effet de la proportionnelle sur un LR toujours divisé entre les héritiers du gaullisme et les centristes ? Sur des écologistes qui connaissent des divisions internes ? Sur LFI, où l’autocratisme mélenchonesque peut lasser certains ? Sur le RN, où les tensions existent ? La proportionnelle peut-elle être une bombe à fragmentation qui, atomisant la structure partisane relativement limitée de la Cinquième république, nous ramènerait aux « délices et poisons » de la Quatrième ? Nous aurons bientôt des éléments de réponse.

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