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La France prise dans une tenaille identitaire ? Une illusion d’optique
©Thomas SAMSON / AFP

Extrême gauche, extrême droite

Je ne crois pas à la théorie de la « tenaille identitaire ». Bien que je partage pleinement certains des combats de ceux qui s’y réfèrent, notamment une défense exigeante de la laïcité, et que j’apprécie la sincérité de leur engagement au service du bien commun, je récuse à la fois cette idée d’une « tenaille » et le sens négatif qu’ils donnent au terme « identitaire ».

Aurélien Marq

Aurélien Marq

Aurélien Marq est haut fonctionnaire, auteur de "Refuser l'arbitraire" (Editions FYP, 2023).

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De quoi s’agit-il ? Pour simplifier, en espérant ne pas trop caricaturer, d’une analyse selon laquelle la République, émancipatrice et universaliste, serait menacée sur ses deux flancs par un danger identitaire : d’un côté l’identitarisme islamo-gauchiste et indigéniste, de l’autre l’identitarisme d’extrême-droite qui ne jurerait que par « la France blanche et chrétienne », tous deux se renforçant mutuellement par un processus de montée aux extrêmes. Le lecteur pourra s’en faire une idée plus précise en lisant par exemple Le péril identitaire, de Laurent Bouvet, ou cette récente publication du Printemps Républicain.

Y a-t-il un péril islamo-gauchiste, un péril islamiste, un péril indigéniste ? Oui, assurément. Y a-t-il à l’extrême-droite des gens qui rêvent sérieusement d’instaurer une France intégralement blanche et/ou intégralement chrétienne ? Oui, assurément. Alors pourquoi refuser de souscrire à l’idée de la « tenaille identitaire » ?

D’abord à cause de la tenaille. L’expression suppose une certaine symétrie, une équivalence des menaces. Or, ce n’est absolument pas le cas. Ni en termes de nombre, ni en termes de gravité.

A droite, et même dans ce qu’il est convenu désormais d’appeler l’extrême-droite, les véritables extrémistes sont peu nombreux, et plus important encore ils sont marginalisés. Par ailleurs, en dehors de ces quelques cas marginaux évidents, ce que défend « l’extrême-droite » est peut-être excessif, mais n’est pas intrinsèquement contraire à l’idéal d’émancipation et de dignité humaine universelle que l’on qualifie de « républicain ». Ce n’est pas à droite, ce n’est pas chez les « cathos tradis » que l’on remet en cause la liberté de conscience en refusant le droit à l’apostasie. Ce n’est pas à l’extrême-droite que l’on défend ceux qui trouvent que Mila l’a « bien cherché ». Et ce n’est évidemment pas à l’extrême-droite que l’on remet en cause le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, lequel permet la souveraineté populaire qui est l’une des bases de la république et de la démocratie.

A gauche en revanche, les idéologies qui bafouent la liberté et la dignité humaine sont banalisées, et même totalement normalisées à l’extrême-gauche. Pire : elles sont à la mode. C’est désormais à gauche que l’on affirme que la couleur de peau devrait déterminer les convictions, et qu’un « racisé » (je hais ce mot) qui oserait ne pas faire de sa couleur de peau l’alpha et l’oméga de son existence sera traité de « native informant », « bounty » ou « collabeur ». Terrible négation de la liberté de pensée. C’est à gauche, aussi, que l’éloge d’un multiculturalisme fantasmé, quelles qu’en soient les raisons, revient à nier les droits élémentaires du peuple français, voire son existence. Et c’est à gauche, encore, qu’au nom de la « tolérance » on permettra tout aux fanatiques religieux islamistes, ne voyant que folklore dans les pires aliénations, les pires assignations, jusqu’à accepter la remise en cause de l’égalité des droits civiques entre les sexes. Et le cas de l’apostasie est emblématique : droit élémentaire découlant de la liberté de conscience inscrite dans notre constitution, c’est pourtant un droit que le CFCM a refusé de reconnaître, un droit nié dans la quasi-totalité des pays musulmans, puisque leurs législations interdisent aux musulmans de quitter l’islam, sous peine de prison et même dans 12 pays sous peine de mort.

On le voit, quand bien même on ne se reconnaîtrait dans aucune de ces visions du monde, il n’est pas raisonnable de sous-entendre une équivalence, qu’elle soit politique ou éthique, entre le projet de société des identitaires d’extrême-droite et le totalitarisme théocratique des islamistes, ou le suprémacisme racial anti-Blancs des « décoloniaux ».

Plus important peut-être, je refuse de considérer comme intrinsèquement négative la démarche identitaire. Pourquoi serait-il nécessairement mauvais de défendre son identité, individuelle ou collective ? Seuls le néant et le chaos n’ont pas d’identité. Tout dépend donc de l’identité que l’on défend : un identitarisme carthaginois attaché aux sacrifices humains à Moloch et un identitarisme jaïn attaché à la non-violence ne sauraient être mis sur le même plan. Ainsi, alors que le soi-disant anti-racisme « progressiste » ne voit partout que couleur de peau, les identitaires « de droite » se réfèrent majoritairement à une identité culturelle. « Notre cité (Athènes) a fait employer le nom de Grecs non plus comme celui de la race, mais comme celui de la culture » disait déjà Isocrate, définissant ainsi l’une des caractéristiques majeures de l’identité occidentale, qui repose sur l’héritage conjoint de l’Antiquité, de la Chrétienté et des Lumières. Et ce triple héritage fait que, au moins en Occident, on a tort de vouloir opposer identitaires et universalistes.

Le véritable universalisme n’est pas la négation des différences entre les individus ou les peuples, ni le relativisme qui prétendrait que toutes les cultures se valent, ni le refus du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et donc de la légitimité des frontières, mais l’affirmation de l’universalité de ce qui fonde l’inaliénable dignité humaine, et ne dépend ni du sexe, ni de la couleur de peau ou que sais-je. C’est d’ailleurs cette universalité de la dignité humaine qui permet de refuser le relativisme, et de conclure à l’inégalité des cultures et des civilisations, puisque par exemple les sacrifices humains, l’esclavage ou l’excision sont intrinsèquement mauvais, qu’il s’agit là d’un fait et non d’une opinion, et qu’une civilisation qui évolue jusqu’à abolir ces pratiques est donc supérieure à une civilisation qui les persiste à les valoriser, ou même à les tolérer, quels que soient les peuples auxquels ces crimes sont infligés. Pour paraphraser le philosophe et juriste tunisien Yadh Ben Achour, l’Occident n’a pas inventé les droits de l’Homme, il les a découverts.

Or, cette conscience de l’universalité de la nature humaine est au cœur de l’identité occidentale depuis des millénaires. Même si elle n’a pas toujours fait l’unanimité, elle a toujours été bien présente, et forte. On la trouve chez Homère, merveilleusement exprimée par la compréhension entre Achille et Priam qui est l’aboutissement de l’Iliade, le tout premier texte de notre civilisation. On la trouve évidemment dans le christianisme : sans elle, Paul n’aurait pas prêché aux païens, Wolfram von Eschenbach n’aurait pas fait du métis Feirefiz l’un de ses héros, et Las Casas n’aurait pas défendu ce qu’il a défendu à Valladolid. Vénérer le Père des Dieux et des Hommes, comme le Père de Toutes Choses, comme le Père Céleste ou la Grande Mère, a ancré dans l’esprit des peuples occidentaux qu’il existe quelque chose, un lien ontologique, que partagent tous les humains. « Tout comme ils ont soin de nous, les Dieux ont soin de ces peuples dont nous ignorons tout et qui vivent dans des terres si lointaines que nous ne pouvons pas même les imaginer » écrivait Cicéron. Et c’est bien la recherche des vérités universelles qui a conduit la Grèce à créer la philosophie et la science sans lesquelles notre civilisation ne serait pas.

Naturellement, l’Occident n’est pas le seul à connaître cette aspiration à l’universalité. On la trouve par exemple dans le confucianisme, ou le bouddhisme. Et l’Occident ne s’y réduit pas, elle ne suffit pas à le définir. Mais elle fait partie de lui, de nous, de ce que nous sommes. Renoncer à cet élan millénaire, ce serait renoncer à une part fondamentale de notre identité. Dès lors, toute démarche identitaire occidentale sérieuse doit, nécessairement, être aussi une défense de la quête de l’universel.

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