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Séparatisme : la grande confusion
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Problème de définition

Le nouvellement nommé projet de loi "confortant les principes républicains" montre que le gouvernement a compris qu'il y avait un problème avec le séparatisme mais la bataille est déjà perdue d'avance.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico.fr :Le gouvernement devait voter un texte de loi contre les séparatismes et c’est finalement un texte “confortant les principes républicains” qui va être examiné. L’objectif reste pourtant le même, quel est-il et va-t-il dans le bon sens, par quels moyens ? 

Guylain Chevrier : Si on ne regarde que la loi, c’est une avancée, c’est certain. Mais elle ne se suffit pas à elle-même. Reprenons ses mesures essentielles. Elle vise à inscrire au Fichier des auteurs d’infraction terroriste (Fijait) les personnes condamnées pour le délit de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme. Très bien. On entend étendre à l’ensemble des opérateurs privés les exigences de laïcité, et donc la neutralité convictionnelle à leurs salariés comme pour les agents publics. Ce qui avait déjà été acquis par une jurisprudence de la Cour de cassation (Arrêt n° 537 du 19 mars 2013 (12-11.690) - Cour de cassation - Chambre sociale - ECLI:FR:CCASS:2013:SO00537) que l’on entend élargir notamment dans le domaine des transports et aux titulaires d’un contrat de commande publique. Les préfets pourront faire un recours suspensif contre les élus locaux qui prendraient des décisions « gravement » contraires au principe de neutralité, telle que la concession d’horaires réservés aux femmes dans les piscines municipales. On crée un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion, en réaction à l’assassinat de Samuel Paty qui en a été la victime, pénalement répréhensible. Pour protéger les agents chargés du service public, on prévoit aussi de sanctionner les menaces, violences ou tout acte d’intimidation exercés à leur encontre. Si l’auteur de l’infraction est un étranger, il pourra être frappé d’une interdiction du territoire français.

Les associations qui demanderont des subventions publiques devront, en contrepartie, signer un contrat par lequel elles s’engageront « à respecter des principes et valeurs de la République » dont l’égalité « notamment entre les femmes et les hommes. ». Dorénavant, pourra être dissoute une association qui « provoque à des agissements violents », motif qui n’existait pas jusqu’alors. Pour éviter qu’un enfant, notamment une fille, ne soit désavantagé lors d’un héritage, le texte protège mieux les héritiers lorsqu’une loi étrangère est applicable à la succession. La situation de polygamie devient enfin un motif de refus ou de retrait de « tout document de séjour ». Les professionnels de santé se voient interdire d’établir un certificat de virginité, sous peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Dans le but de lutter contre les mariages forcés, un officier d’état civil qui aurait « un doute » sur le caractère libre du consentement doit s’entretenir séparément avec les époux et, si le doute persiste, saisir le procureur de la République. On entend limiter l’enseignement à domicile pour déjouer le risque communautariste. Il est prévu aussi de renforcer le contrôle sur les établissements privés hors contrats. 

Le gouvernement a renoncé à l’idée d’obliger les associations gérant un lieu de culte à s’inscrire dans le régime spécifique établi par la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat. Diocèses, églises, temples, synagogues sont pour la plupart administrés par des associations loi 1905, mais 90 % des mosquées ont choisi le régime très souple de la loi de 1901. Obligations de transparence minimes, sources de financement moins contrôlées, et possibilité d’avoir des activités éducatives, sociales, culturelles, elles peuvent recevoir des aides publiques. Le projet de loi durcit les obligations de celles qui auront opté pour le maintien du régime de 1901 en devant, entre autres, distinguer ce qui relève du culte des autres activités (culturelles, enseignement…). En revanche, il semble qu’elles auront toujours accès à la garantie d’emprunt et aux baux emphytéotiques par lesquels les mairies facilitent la construction des mosquées... Dernière pratique qui a été validée par le Conseil d’Etat dans l’esprit de l’égalité de traitement des religions (sic !). Le projet retouche aussi la loi de 1905. Une « clause anti-putsch » vise à affermir la gouvernance des associations cultuelles et à éviter que des groupes minoritaires n’en prennent le contrôle. 

La qualité cultuelle des associations loi 1905 devra désormais être « constatée » au préalable par le préfet. Elles pourront détenir et exploiter des immeubles de rapport obtenus par legs ou par don. Ce qui est une nouveauté dans les rapports entre les cultes et l’exploitation de biens au risque d’en faire des puissances financières par le biais de l’accumulation et la fructification de ceux-ci, ce qui peut pour le moins interroger, en en faisant ainsi des groupes de pressions potentiels sur un marché, et donc sur la société. Qu’en sera-t-il si une association cultuelle se voit ainsi dotée d’immeubles d’habitations pour y installer une population homogène correspondant au même culte ? 

Mais ce qui reste le plus problématique, qui n’est pas dans la loi et qui entretient encore l’ambiguïté pour le moins en jetant la confusion sur ce qui est en train d’être avancé et risque ainsi de ne pas être compris, c’est le fait de continuer du côté de l’Etat de vouloir accompagner l’organisation d’un culte, le culte musulman. Tel que cela a encore été signifié par la décision de la création d’un « conseil des imams » mi-novembre dernier, qui a donné lieu à une décision à l'unanimité des composantes de l'instance représentative du culte musulman (CFCM). Les imams devront se soumettre à un code de déontologie mais aussi à « une charte des respects des valeurs républicaines ». « Deux principes y seront inscrits noir sur blanc : le refus de tout islam politique et de toute ingérence étrangère ». Tout cela peut passer pour positif, mais c’est mettre l’Etat en position de passer commande à un culte au regard de son organisation et donc, d’y appliquer un contrôle. Mais est-ce bien tenable alors que cela provoque des débats houleux entre de nombreux imams et le Conseil Français du Culte Musulman, qui ne représente semble-t-il que 30% des associations musulmanes de France ? N’est-on pas là en train de refermer sur nous le piège d’un islam d’Etat qui en retour exigera son du… ? On a, par cette démarche d’initiation du CFCM (2003), créé une assignation de nos concitoyens de confession musulmane à une foi au lieu de faire d’abord prévaloir leur citoyenneté, à la façon d’un parti unique des musulmans. On s’étonne après de la dynamique communautariste que ce culte connait.

L’Etat n’est pas neutre au regard des religions, puisqu’il doit garantir le libre exercice pour chacun de son culte, pour ceux qui en ont un, mais aussi à ce qu’elles n’empiètent pas sur les libertés d’autrui en troublant l’ordre public, ce qui devrait suffire à assurer son rôle. Cette volonté de construire un islam de France est une mauvaise voie qui met l’Etat en situation de confusion quant à une laïcité qu’il parait ainsi ne pas respecter lui-même. 

Atlantico.fr :Ce changement de nom, symbolique, témoigne-t-il d’un manque de volonté politique d’afficher clairement la visée du texte ?

Guylain Chevrier : Nous sommes passés d’un débat sur la radicalisation, au communautarisme puis au séparatisme et enfin, à rebaptiser cette loi « confortant les principes républicains ». Des atermoiements qui ne sont pas un signe de force au regard de ce qu’elle annonce : la volonté d’en finir avec des dérives qui concourent à un communautarisme qui est un poison au regard de notre société, par les séparations qu’ils créent, tout en étant identifié comme le terreau principal de la radicalisation. Il y a certes la volonté de ne pas stigmatiser mais ne jouons pas trop au plus fin, nous savons bien que le problème principal vient du culte musulman. La dissolution de l’association BarakaCity qui, selon le ministre de l’Intérieur était une « association qui incitait à la haine, entretenait des relations au sein de la mouvance islamiste radicale et banalisait les actes terroristes », et du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), accusé de poursuivre depuis plusieurs années une propagande islamiste en étant proche des Frères musulmans, en est la manifestation éloquente, dans les suites de l’attentat qui a couté de façon ignoble la vie à ce professeur Samuel Paty, pour la caricature d’un prophète illustrant la liberté d’expression. Le CCIF a été un véritable organe de montée des tensions sur le thème du procès en « islamophobie » de la France. Il n’a pas joué un rôle secondaire dans la radicalisation d’une partie de ceux qui ne comprennent pas le sens de la laïcité, qu’on a encouragé à penser frauduleusement qu’elle était tournée contre les musulmans. Une association qui a mené un véritable djihad judiciaire contre une série d’intellectuels laïques pour tenter de les faire taire. On a vraiment attendu le bout du bout pour en arriver à cette décision salutaire.

Le fait que dans toutes les enquêtes d’opinion soit souligné depuis plusieurs années maintenant le fait que peu ou prou, nous avons à tout le moins environ trente pour cent de nos concitoyens de confession musulmane qui portent leur foi au-dessus du droit ou/et considèrent leur religion comme un instrument de révolte contre notre société, est au cœur des décisions qui sont prises. Ce qui alerte d’autant plus que cela est devenu un fait croisé avec des attentats terroristes commis au nom de l’islam. Mohamed Belhoucine, parti faire le djihad et impliqué dans les attentats de janvier 2015, a expliqué son départ ainsi à ses parents dans un message : « Maman/Papa, ne vous inquiétez pas, on a rejoint le califat. Ne vous inquiétez pas, on préfère vivre dans un pays régi par la charia et pas les lois inventées par les hommes. »

Il y a une forme d’islam radicalisé, certes minoritaire, mais qui traverse notre société et qui pousse à l’affrontement, voire au risque de la guerre civile. La question est donc, dans cette suite, comment peut-on laisser encore le salafisme se propager dans notre pays, cet intégrisme des plus archaïques qui vise à vivre comme à l’époque du prophète, autant dire dans une société en totale opposition avec la modernité démocratique qui est la nôtre, nourrissant une véritable contre-société sur notre territoire ? La demande de dissolution de « Musulmans de France » ex-Union des Organisations Islamiques de France, liée aux Frères musulmans, par une lettre adressée au Président de la République par une série de personnalités dont je suis (https://www.atlantico.fr/decryptage/3593874/lettre-ouverte-pour--pour-une-dissolution-de-l-organisation-musulmans-de-france--ex-uoif-), est aussi à inscrire dans ce contexte à très hauts risques face auxquels il faut absolument réagir et pas en demi-teinte, sinon, nous le paierons très cher.

Atlantico.fr :Par lâcheté politique, ne risque-t-on pas d’ajouter un poids juridique supplémentaire à d’autres composantes dans la société moins concernées par la menace séparatiste ?

Guylain Chevrier : Si on entend par cela le risque d’avoir un impact sur d’autres cultes ou groupes sociaux communautaires mais qui ne pratiquent pas le communautarisme, oui. Mais le traitement égal de tous nos concitoyens quel que soit leur culte, impose aussi une loi égale pour tous et donc généraliste et ainsi, ne visant pas particulièrement tel ou tel culte, ce qui serait jugé comme stigmatisant, discriminant. Même si, comme nous venons de le voir, nous savons parfaitement que c’est le culte musulman qui est l’objet du sujet de cette loi, parce que c’est bien une partie de ceux qui s’en réclament dont les pratiquent religieuses posent le plus de problèmes, à travers une montée des revendications religieuses à caractère communautaire, menaçant les équilibres internes de notre société. Il suffit de prendre le domaine de l’entreprise pour s’en rendre compte. On constate, de rapports en rapports de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFFRE), une augmentation constante des cas bloquants sur fond de demandes d’aménagements cultuels dans le travail, essentiellement de salariés musulmans, s’opposant au bon fonctionnement de l’entreprise, passés de 2% en 2013 à 12% en 2019. Mais on voit aussi s’engouffrer à cette faveur dans la brèche d’autres salariés d’autres cultes. On a ainsi laissé s’imprimer dans notre société l’idée d’un retour de l’influence des cultes dans tous les champs. L’intervention du Président de la République au collège des Bernardins devant les évêques de France le 9 avril 2018, pour dire qu’il y avait un lien avec l’Eglise catholique à réparer, alors que s’il y a séparation il n’y en a aucun, a jeté aussi sa part de confusion sur les choses. D’autres, ceux qui se désignent comme des « Indigènes de la République » et ramènent la « race » dans le débat public, notion que l’on croyait rayée de l’histoire avec la victoire sur le nazisme, qui font un procès permanent en racisme à la France et organisent des réunions interdites aux blancs, déboulonnent des statues et interdisent des manifestations culturelles assimilées à du post-colonialisme, constituent aussi un danger qu’il ne faut pas sous-estimer.

Atlantico.fr : Ce nouveau texte de loi est-il la preuve que l’on n’a pas su faire appliquer les lois préexistantes sur le sujet ? La complaisance de certains élus, fonctionnaires, ou groupes associatifs à l’endroit des séparatismes est-elle responsable de cet échec ? En France, n'a-t-on pas trop tendance à croire que légiférer revient à régler le problème ?

Guylain Chevrier : Légiférer est devenu capital parce que précisément on a laissé quasiment tout faire depuis environ une trentaine d’années, ce qui nous a conduit par recul de la République, à cette situation. Pour prendre un exemple dans l’actualité récente. Le 22 octobre dernier, soit une semaine après l’assassinat de Samuel Paty, Sarah El Haïry, secrétaire d'État à la Jeunesse et à l'Éducation auprès du ministre de l'Éducation nationale, s’est rendue à Poitiers, pour rencontrer plus d’une centaine de jeunes réunis sous l'égide de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France autour du thème des religions. Thématique choisie un an plus tôt par les organisateurs. Une rencontre qui a tourné au « dialogue de sourds » : alors qu’elle croit pouvoir échanger avec ces jeunes sur les enjeux républicains de leur avenir, voilà que se multiplient les revendications religieuses en contradiction avec les lois de la République mais aussi contre la liberté d’expression : certains disent qu'ils veulent « interdire le droit au blasphème », que « les journalistes sont pro-israéliens », qu'il faut « interdire aux journalistes de parler de l'islam », d’autres revendiquent « de porter le voile au lycée ». Un élu local adjoint de l'actuelle maire EELV, dit que « la loi de 2004 » qui interdit à l’école le port de signes religieux, est « islamophobe ». Croyant arriver à souder tout ce beau monde autour de la Marseillaise, en réalité elle se retrouve quasiment seule à entonner l’Hymne national… Autre exemple qui fait miroir à ce qui vient d’être relaté. La Caisse d'allocations familiales (CAF) de Dordogne avait décidé de suspendre l'agrément et les financements qu'elle octroyait à deux maisons de quartier de Bergerac, en juin 2018, car celles-ci restaient ouvertes le soir en période de ramadan, rompant avec le principe de laïcité. Pour le maire, ouvrir ces lieux situés dans des quartiers prioritaires où la population musulmane est importante représentait « une simple mesure d'ordre public ». Comment peut-on faire l’aveugle à ce point et ne pas se rendre compte des conséquences, celles de l’assignation de tous les usagers de ces Maisons de quartier à une logique religieuse, dont ceux qui ne sont pas musulmans, ce qui les en exclut de fait. L’élu ira jusqu’à dire ne voir là rien de religieux et de comparer cela à Noël pour justifier sa contre-offensive vis-à-vis de la CAF. Une fête de Noël qui, comme rituel social en France, n’a plus rien à voir avec un caractère religieux depuis bien longtemps, hormis pour une minorité de français, au point qu’on attribue une « prime de Noël » sous conditions de ressources à 2,5 millions de familles indépendamment de leurs différences, dont un certain nombre sont issues de l’immigration de pays musulmans. Mais après une médiation menée par la préfecture, la CAF reviendra sur sa décision. On voit ici exposé toutes les contradictions, et la façon dont les acteurs sociaux et ceux de l’Etat, sont tombés dans une confusion catastrophique en tous points en ne respectant pas eux-mêmes des principes fondamentaux de notre République. 

En réalité, on n’a cessé de financer des associations de quartiers qui diffusent un message tout aussi problématique par milliers et milliers, en se berçant de l’illusion d’acheter la paix sociale, en reflet de trop d’élus qui ont pratiqué le clientélisme politico-religieux et la politique des « Grands frères » auxquels pendant toute une période on a confié la mise en sécurité des quartiers pour en arriver à la situation actuelle. Alors effectivement, cette loi est essentielle mais elle n’est qu’un pas lorsqu’il nous faudrait aujourd’hui pour espérer remédier à cette situation, un pas de géant.

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