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Selon le chef des services de renseignement américain, la Chine est la plus grande menace contre la liberté depuis la deuxième guerre mondiale : sommes-nous préparés ?
©WANG ZHAO / AFP

Ennemi désigné

Le chef du renseignement américain John Ratcliffe estime dans le Wall Street Journal que la Chine est devenue la priorité n°1 des renseignements, devant la lutte contre le terrorisme. Il va jusqu’à dire que la Chine est "la plus grande menace contre la liberté et la démocratie" depuis la Seconde guerre mondiale.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Le chef du renseignement américain John Ratcliffe estime dans le Wall Street Journal que la Chine est devenue la priorité n°1 des renseignements, devant la lutte contre le terrorisme. Il va jusqu’à dire que la Chine est "la plus grande menace contre la liberté et la démocratie" depuis la Seconde guerre mondiale. La Chine est-elle devenue un véritable ennemi (au-delà d’un simple rival) ou bien ces propos tiennent davantage de l’exercice de la joute verbale propre à l’administration Trump ?

Emmanuel Lincot : En relations internationales, l’ennemi et sa désignation, constituent les conditions nécessaires à l’existence d’un État. Depuis près de 20 ans, c’est à dire les attentats du 11 septembre, le problème essentiel pour les États-Unis dans le choix de leur politique étrangère était de ne pas pouvoir désigner clairement l’ennemi. Bien sûr il y eut  et il y a toujours la Russie. Mais l’annonce sans doute prématurée par Washington de sa victoire en 1991 contre l’Union Soviétique, marquant la fin officielle de la guerre froide a inhibé les États-Unis dans leur capacité à se forger un discours crédible, autre que celui du néolibéralisme triomphant ou de la guerre non moins absurde contre le terrorisme. Absurde car la guerre ne se déclare pas contre une abstraction mais bien contre un État adverse. Quant au néolibéralisme, celui-ci a rencontré une très forte opposition dans tous les pays du Sud ou, au contraire, il s’est vu intégrer à l’idéologie de pays qui lui étaient au départ farouchement hostiles comme la Chine. Le populisme de Trump aura paradoxalement permis aux Etats-Unis de renouer avec une rhétorique opposant la démocratie à la dictature. Et réciproquement, John Ratcliffe prend acte d’une réalité connue de tous et que la propagande chinoise ne cesse de rappeler: l’Occident et plus particulièrement les États-Unis sont l’ennemi contre lesquels la Chine doit prendre aussi sa revanche.

De plus en plus, le régime chinois semble vouloir contrôler les propos tenus à son sujet en dehors même de ses frontières. Les tensions avec l’Australie en sont-elles un nouvel exemple ?

La tactique de la Chine est invariablement la même et consiste à taper sur le maillon faible. L’Australie est pour l’heure, parmi l’ensemble des pays occidentaux, le principal bouc-émissaire de la Chine. Mais cette hysterisation du discours chinois pourra prendre de l’ampleur à mesure que les mesures coercitives prises par Washington à l’encontre de Pékin s’accentueront. Et, de ce point de vue, le nouveau locataire de la Maison Blanche s’inscrira dans la continuité de son prédécesseur, Donald Trump. La Chine a patiemment tissé sa toile dans le monde occidental en s’appuyant sur le Front Uni, le bras armé de la propagande du Parti Communiste Chinois, et ses initiatives menées à l’étranger. La Chine a ainsi de nombreux relais d’opinions, et des hommes politiques occidentaux qu’elle peut mobiliser à sa cause.

Jusqu’où le régime chinois est-il prêt à aller pour faire taire ses opposants, y compris parmi ses ressortissants à l’étranger ?

Il fera feu de tout bois et aura recours à une stratégie systémique qui est dans l’ADN du Parti Communiste, de son histoire. Je veux parler de la guérilla. Celle-ci se traduit par le recours aujourd’hui à la cyberguerre, le contrôle et l’intimidation des opinions étrangères par des offensives associant propagande et espionnage. Ses « chevaux de Troie » sont protéiformes. Soit, il s’agit d’anciens diplomates ou des hommes politiques occidentaux comme je le disais précédemment soit il s’agit de ses propres ressortissants ou des membres de la diaspora que la Chine peut employer comme agents dormants ou actifs. Trois exemples illustrent ce constat: l’utilisation par les services chinois d’un policier New Yorkais d’origine tibétaine qui enquêtait pour le compte de Pékin sur ses coreligionnaires a été, il y a quelques mois, démasqué. Plus récemment encore c’est un réfugié ouïgour en Turquie qui espionnait sur les membres de sa propre communauté qui a été épinglé. En France, à l’issue du meurtre d’un ressortissant chinois d’Aubervilliers, en 2016, on a pu constater que les services de l’ambassade de Chine à Paris avaient dépêché depuis Pékin des agents pour encadrer les manifestants de la communauté chinoise qui demandaient alors plus de sécurité. C’est typiquement une préfiguration à des opérations de contre-insurrection urbaine. Sans céder à la paranoïa, ces exemples montrent bien et depuis longtemps que la Chine est à l’œuvre dans une instrumentalisation de nos sociétés par le biais de ses ressortissants notamment soit pour la collecte d’informations sensibles soit dans le but de contrôler des communautés issues de la Chine, et établies à l’étranger car elles sont considérées sur le plan idéologique comme des communautés à risque. Tout cela, nous le savons et nous devons être vigilants. Intelligence économique, intelligence culturelle pour comprendre les enjeux et nous prémunir de dangers très grands doivent plus que jamais nous guider dans notre compréhension de la Chine et de ses agissements.

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