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L'étrange fiasco de la stratégie gouvernementale sur la grippe
©LUDOVIC MARIN / AFP

Pénurie

Le gouvernement avait largement communiqué sur l'intérêt d'une vaccination massive de tous les Français contre la grippe cette année, mais le vaccin est victime d'une sévère pénurie, plus importante que dans le reste de l'Europe.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Alors que le gouvernement avait largement communiqué sur l'intérêt d'une vaccination massive de tous les Français contre la grippe cette année, remontent de toute part des témoignages de pénurie de vaccin et de pharmacies démunies. Qu'en est-il exactement ?

Charles Reviens : Cette année 2020 exceptionnelle et dramatique dans le domaine de la santé publique restera effectivement dans les annales comme l’année des pénuries sanitaires en tout genre : masques, lits de réanimation, tests.... Une autre pénurie concerne les vaccins contre la grippe saisonnière quasiment depuis le début. Il suffit pour s’en convaincre de lire la presse quotidienne régionale et encore plus concrètement de demander le vaccin dans les officines pharmaceutiques de son voisinage : 100 % des pharmacies que j’ai interrogées sont en rupture de stock avec des dates variables ou approximatives quant à leur réapprovisionnement, quand elles n’ont pas abandonné tout espoir de récupérer de nouvelles doses.

Cette situation peut sembler étrange au regard d’un événement sanitaire récurrent. Il faut à ce stade rappeler les termes de la politique de santé publique sur le sujet depuis trente ans. La caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) propose le vaccin gratuitement depuis 1985 pour les personnes de plus de 75 ans, âge réduit à 65 ans en 2000 avec prise en charge des personnes plus jeunes vulnérables dans le cadre d’une campagne annuelle de vaccination. Ces personnes reçoivent un bon leur permettant de récupérer le vaccin gratuitement à la pharmacie voire de se le faire injecter sur place.

Santé Publique France fournit ainsi une synthèse de la campagne 2019-2020 : 9 semaines d’épidémie, 1,25 millions de consultations liées à la grippe saisonnière, 60 000 passages aux urgences, 6 000 hospitalisations, 3 700 décès. La couverture vaccinale des personnes à risques (plus de 75 ans ou avec maladie sous-jacente) s’établissait à 47,8 % contre un objectif OMS à 75 %. 12 millions de doses de vaccins avaient été distribuées au cours de cette campagne.

La stratégie pour la saison 2020/2021 n’est pas très différente indépendamment du contexte lié à la pandémie covid : avis de la haute autorité de santé le 20 mai 2020, 15,8 millions de bons distribués aux personnes à risque en septembre. Les commandes passées aux pharmaciens en ville et en établissement de santé passent à 13,5 millions (+20 %) tandis que le ministère de la santé, sans doute échaudé par l’affaire des masques, constitue un stock d’Etat à sa main de 2 millions de doses supplémentaires. La production et la distribution sont des processus lourds : sept mois de fabrication à compter de la communication par l’OMS des souches de la saison, pré-commandes passées au premier trimestre précédant la saison.

La campagne commence le 13 octobre et dure jusqu’au 31 janvier 2021. On constate immédiatement un changement de comportement des Français puisque 5,3 millions d’entre eux se font vacciner la première semaine selon l’union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), ce qui représente près de la moitié du total des personnes vaccinées la saison précédente. L’USPO signale que 60 % des officines sont en rupture de stock dès le 21 octobre, en attente de livraisons complémentaire. La pénurie ne cesse plus et le ministère de la santé libère le stock d’Etat à partir du 21 novembre, mais avant tout vers les publics prioritaires et les EHPAD et ce en plusieurs étapes.

La pénurie est donc bien installée et elle semble plus sévère qu’ailleurs en Europe. Des personnes disposant d’un bon de retrait gratuit et probablement les pharmaciens eux-mêmes ne seront pas tous vaccinés, encore moins les personnes non prioritaires.

Quelle est le poids dans cette pénurie de la communication gouvernementale sur des terrains pourtant parfaitement prévisibles ?

Sur la communication des pouvoirs publics, il faut distinguer la communication au sens strict sur la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière de l’ambiance créée par la situation covid sur communication globale de santé publique.

La communication faite le 13 octobre lors du lancement de la campagne n’est en effet pas très différente de celle des années passés : il est indiqué que 30 % de doses supplémentaires ont été commandées car une demande accrue de vaccins est anticipée. Aucune difficulté d’approvisionnement n’est mentionnée et on peut constater que l’objectif OMS d’une couverture vaccinale de 75 % des personnes à risque affiché par le gouvernement nécessiterait 25 millions de doses alors que seules 15 millions sont disponibles.

Mais cette communication dédiée à la grippe saisonnière ne peut être découplée de la communication globale fondamentalement anxiogène en matière de santé publique depuis le début de la crise sanitaire covid-19 et notamment en justification des deux confinements des 17 mars et 30 octobre. Citons ainsi dans le discours d’Emmanuel Macron du 28 octobre la mention d’un risque de 400 000 morts supplémentaires (contre 54 858 le 4 décembre) et l’assurance de 9 000 patients en réanimation, nombre jamais atteint.

S’est donc produit un massif « effet covid » incitant infiniment plus de personnes à se faire vacciner, alors que la France est plutôt un pays de réticence vaccinale. Doit-on faire reproche au gouvernement d’avoir sous-évalué la demande de vaccination supplémentaire, sachant qu’il est particulièrement aisé de critiquer les prévisions quand on connaît la situation finale ? De fait la France a connu sur la dernière décennie plusieurs saisons où il a fallu détruire des vaccins produits pour la partie des porteurs de bons qui ne se faisaient pas vacciner. D’une certaine manière le dilemme était entre la pénurie de vaccins qu’on peut reprocher au pouvoirs publics et l’achat de vaccins surnuméraires à jeter et générateurs de dépenses inutiles, situation défavorable à relativiser à une époque d’extraordinaire prodigalité budgétaire.

Si gouverner, c'est prévoir, l'Etat en est-il devenu incapable ? S'agit-il plutôt d'une responsabilité politique ou d'une dérive "soviétique" de l'administration française ?

Le revers – objectivement limité – en matière de communication publique peut être mis en parallèle du changement de comportement des personnes : on est ainsi passé d’un taux de vaccination des personnes à risque autour de 45 % à un taux de plus de 60 % en une seule année. Ce changement de comportement, s’il était durable, rapprocherait fortement la France de l’objectif OMS de 75 % de personnes vulnérables vaccinées : l’échec de court terme cache peut-être un succès durable en matière de politique de santé publique.

Cette situation est enfin emblématique de deux faiblesses bien installées dans l’action publique française : d’une part la faiblesse des études d’impact et de l’évaluation des politiques publiques, d’autre part la part majeure prise par la communication pour les responsables politiques au détriment de la volonté de changer et d’améliorer le réel.

Il y a peut-être quelques leçons à tirer de cet épisode du vaccin grippal au moment où commence la grande épopée de la vaccination covid-19…

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