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Énergie nucléaire : l’Union européenne au risque de l’incohérence ?
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Bas-carbone

Si depuis la publication du Green Deal l’Union européenne (UE) semble résolue à tirer toutes les potentialités des différents types d’énergie bas-carbone, l’énergie nucléaire constitue une exception notable.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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L’Europe, dans le domaine nucléaire sait-elle ce qu’elle veut ? La question mérite d’être posée tant elle semble hésiter. Si depuis la publication du Green Deal l’Union européenne (UE) semble résolue à tirer toutes les potentialités des différents types d’énergie bas-carbone, l’énergie nucléaire constitue une exception notable. Il est vrai qu’en dépit des avancées du Traité de Lisbonne (2008) qui a élevé l’énergie au rang de compétence partagée entre l’UE et les États membres, ce sont bien ces derniers qui restent les maîtres de leur mix énergétique, avec des choix qui divergent : si l’Allemagne a spectaculairement décidé de sortir du nucléaire en 2012, plusieurs pays de l’Est et du Nord européens ont eux décidé de reprendre des projets de construction de centrales abandonnés (Bulgarie avec le projet Belene ; Hongrie avec le projet PAKS II, Finlande avec Olkiluoto). La France, elle, en dépit où à cause de la part majoritaire de l’énergie nucléaire dans son bouquet énergétique, semble parfois hésitante.

Disons-le clairement : si l’UE – avec les États-Unis et le Japon - semble incertaine dans son approche de l’énergie nucléaire, elle fait plutôt figure d’exception. Car la réalité est qu’après le déploiement puissant du nucléaire civil dans les années 1950-1960, après à une longue période de défiance jusqu’au milieu des années 2000, on assiste depuis une quinzaine d’années à une remontée significative de la demande d’énergie nucléaire sur la planète. Rappelons à cet égard que la Chine a 11 réacteurs en construction, et l’Inde 7. Ce sont par ailleurs environ 30 pays, de tous les continents, qui envisageraient de construire des centrales nucléaires dans les années à venir.

Dans un tel contexte, l’UE doit clarifier son approche de l’énergie d’origine nucléaire, afin d’éviter au moins deux incohérences.

Première incohérence : passer à côté d’une technologie de pointe, et laisser s’instaurer un duopole russo-chinois en matière nucléaire. L’UE, qui semble enfin vouloir sortir d’une forme de naïveté en matière de commerce international – au moins au plan des principes - ne doit pas se tromper : afin de satisfaire la très grande demande de nucléaire des pays émergents, issue de l’industrie et d’une urbanisation croissante, ce sont en l’état les technologies russes et chinoises qui sont en train de s’imposer. Ainsi la Russie s’est-elle engagée dans une politique hardie visant à occuper rapidement et fermement le terrain auprès des primo-accédant, le groupe Rosatom représentant à lui seul près des 2/3 des projets de centrales vendus dans le monde. Pour cela, en plus de l’uranium qu’elle est capable de fournir, la Russie propose à ces pays un large éventail de services, comprenant en tant que de besoin la conception, la construction, l’exploitation et le démantèlement des centrales (« BOO » pour Build, Own, Operate). L’UE souhaite-t-elle vraiment qu’une part stratégique de la production énergétique mondiale soit aux mains des seules Russie et Chine, alors qu’elle sanctionne la première et qualifie désormais la seconde de « rival systémique » ? Ses États membres veulent-ils se mettre en dépendance par rapport à ces technologies quand il s’agira de construire de nouvelles centrales ?

Deuxième incohérence : mettre sous le boisseau une source d’énergie bas carbone sans le recours à laquelle les objectifs ambitieux de l’UE en matière environnementale ne pourront pas être atteints. Ni dans le Green Deal de décembre 2019 ni dans la stratégie hydrogène de juillet 2020 (alors même que l’hydrogène jaune peut être obtenue par dissociation thermique de la molécule d’eau à partir d’énergie nucléaire), l’UE n’a souhaité conférer à l’énergie nucléaire la place qui doit lui revenir. Ceci est d’autant plus paradoxal que le nucléaire est la première source d’énergie bas-carbone pour la production d’électricité dans l’UE (18%), et que tant l’AIE (Agence internationale à l’énergie) que le GIEC, ce dernier étant peu suspect de sympathie a priori pour l’atome, conviennent depuis 2018 que les objectifs ambitieux de l’Accord de Paris ne pourront pas être atteints sans une augmentation de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial.

C’est dire, en définitive, que l’UE doit cesser de louvoyer avec l’énergie nucléaire. Elle doit remiser son rejet largement idéologique, et lui conférer la place qui est la sienne, ni exagérée, ni diminuée, dans la difficile équation énergétique qu’elle affronte.

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