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Après la résilience, la bienveillance : peut-on gouverner efficacement un pays avec des objectifs de développement personnel ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Aimons nous les uns les autres

Lors de son allocution, Emmanuel Macron a appelé les Français à la bienveillance, un terme qu’il avait déjà utilisé par le passé. Après la résilience, c’est un autre terme de ressources humaines qui apparaît dans le discours du président

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Lors de son allocution, Emmanuel Macron a appelé les Français à la bienveillance, un terme qu’il avait déjà utilisé par le passé. Après la résilience, c’est un autre terme de ressources humaines qui apparaît dans le discours du président. Pourquoi ce choix sémantique ? Est-ce vraiment une manière efficace de diriger l’État ?

Bertrand Vergely :  Récemment, entendant le chef de l’État parler de résilience, Marcel Gauchet, éminent penseur politique contemporain, a indiqué qu’il préférerait l’entendre parler de courage. Mis en circulation par Boris Cyrulnik  en France il y a une vingtaine d’années, le concept de résilience fait sortir du champ politique. On est résilient quand on a une aptitude à surmonter des obstacles, des épreuves et des crises. Est-ce une attitude politique ? Marcel Gauchet a raison : non. C’set certainement une qualité psychologique souhaitable. Ce n’est pas une attitude politique.  Est-ce une vertu morale ? Non plus. Si la résilience se cultive et s’apprend, elle n’en demeure pas moins une vertu obscure. Certaines personnes sont résilientes. Elles ont une capacité inexplicable de faire face aux difficultés. C’est ainsi. 

    Lorsque le chef de l’État parle de bienveillance, on est dans un cas similaire. Ce concept tout aussi remarquable et tout aussi flou est au carrefour de plusieurs courants.  Le courant Peace and Love, paix et amour, né en Californie dans les années soixante se veut bienveillant.  La communication non-violente inspirée par Gandhi et développée par des mouvements alternatifs non-violents enseigne et pratique la bienveillance.  Le catholicisme et le protestantisme  désireux d’accorder valeurs chrétiennes et action sociale prêchent la bienveillance. Avec avec son encyclique Tutti Fratelli ! Tous frères !, le pape François est totalement dans le vent de l’époque et de la bienveillance  en  invitant  à l’amitié sociale. à l’ouverture à l’autre et au partage.  Les écologistes militent pour que l’on mette en place une bienveillance planétaire à l’égard de la nature.   À  travers le politiquement correct, la pensée unique et la lutte contre toute espèce de discrimination,   la gauche et l’extrême gauche sont non seulement pour la bienveillance. En surveillant via les réseaux sociaux que l’on est bienveillant, elles ont mis en place une police de la bienveillance.   Gare si on n’est pas assez bienveillant ! Dans ce contexte, on a vu apparaître des projets de loi destinés à lutter contre la haine dans les réseaux sociaux. Désireux d’attirer dans l’entreprise des jeunes de la génération Y rebelles à l’autorité le patronat se veut lui aussi bienveillant. D’où le développement  de pratiques managériales bienveillantes mettant en œuvre une organisation  horizontale et non plus verticale du pouvoir dans le cadre d’entreprises dites libérées.    Enfin, tout le développement personnel est bienveillant  en faisant de la bienveillance un succédané de la spiritualité chrétienne de l’amour universel. 

Le concept de bienveillance est aussi mou que flou et  aussi flou que mou ? Qu’importe, il  a une vertu : en ces temps d’agression terroriste islamiste, d’agression épidémique liée au Covid et d’agression économique liée à l’incertitude de l’avenir, c’est le mot que l’on a envie d’entendre. Emmanuel Macron qui veille à sa communication le sait. C’est la raison pour laquelle il a utilisé ce mot. 

Est-ce un bon choix, une façon judicieuse de conduire l’État ? À court terme, certainement. À long terme, on est en droit de s’interroger. Derrière une apparence avenante, consensuelle, apolitique, bienveillante, la notion de bienveillance n’est pas si bienveillante que cela. 

Par le passé, la notion de tolérance nous a appris combien cette notion pouvait être sournoisement totalitaire en veillant de façon autoritaire à ce que l’on soit tolérant. Avec la bienveillance, on risque fort d’assister au même scénario. En voulant, comme le pape François, politiser l’amour ou bien encore politiser la bienveillance ainsi que la résilience, faisant de ces vertus des leviers de pouvoir, on ne leur rend pas service. Que l’avenir nous préserve de vivre dans  le monde de l’amour et de la bienveillance obligatoires ! 

Atlantico : L’appel à la bienveillance est-il une parade pour cacher l’inefficacité et l’action politique ? 

Bertrand Vergely : La question de fond aujourd’hui est celle qui est posée par l’accusation de complotisme. C’est ainsi, il y a des mots qui prennent possession de notre actualité. Hier, c’était la discrimination et la stigmatisation. Aujourd’hui, c’est le complotisme. 

Dans le complotisme, on trouve deux catégories. D’un côté, on trouve des responsables qui ont de vraies interrogations à propos de la médecine, de la politique, des laboratoires, des géants mondiaux en informatique, de la Chine, de la gestion de la pandémie, des vaccins, de la surveillance sanitaire etc..   D’un autre côté, on a affaire à des gens désemparés et confus prétendant parler de tous ces sujets alors qu’ils  n’en ont pas la maîtrise et qu’ils ne savent rien. Lorsqu’il est question de bienveillance, il importe de ne pas être dupe. Il faut voir ce qu’il y a derrière. Les politiques qui parlent de bienveillance pensent au complotisme. Quand ils pensent au complitisme, ils pensent à diviser le monde en deux. À leurs yeux, il faut qu’il y ait  d’un côté le parti de la haine, en l’occurrence celui des  complotistes et de l’autre celui de la bienveillance. Le politique avance l’opposition entre la  bienveillance complotiste parce qu’il est gêné. Il sait qu’il y a des questions embarrassantes auxquelles il ne peut pas et ne veut pas répondre. Comme nous sommes dans l’ère de la communication et qu’il convient de gagner la bataille qu’elle provoque, afin d’avoir la paix, le politique a recours à une parade facile et efficace. Une question gênante est posée ? Immédiatement l’accusation fuse : complotisme !  La discussion cesse. Les partisans de la bienveillance se lèvent en se bouchant le nez. On ne parle pas avec les complotistes. La discussion est close.  On a eu ce que l’on voulait à savoir le contrôle de la communication politique, de la discussion idéologique, de ce que l’on a le droit de penser et de dire. Dans ce cadre, la bienveillance, l’amour et leur opposé à savoir le complotisme sont des leviers de pouvoir admirables. Ils créent un climat d’autocensure spontanée. On se sent mal à l’aise dans les débats qui ont cours. On a envie de le dire. À la dernière seconde, on va se retenir. Comme cela risque d’être mal interprété en apparaissant complotiste et pas assez bien veillant, on va se retenir. Mieux vaut se taire et avoir la paix que d’être harcelé par les militants de la bienveillance et de l’anti-complotisme. Aussi, ne croyons pas que la bienveillance sert à masquer l’inefficacité de la politique. Elle sert au contraire à la manifester au grand jour. Nous vivons dans un monde qui a décidé de faire de la bienveillance et de l’amour universel les leviers de pouvoir d’aujourd’hui et de demain. 

Atlantico : A défaut de changer la réalité, Emmanuel Macron voudrait-il changer la perception qu’on a de celle-ci ?  

Bertrand Vergely. Ce qui se passe avec la  bienveillance, le complotisme et la lutte contre les discriminations, montre ce qui va se produire demain. La politique telle que nous l’avons connue va disparaître. Nous avons vécu dans un monde où il y avait un débat autour de visions du monde différentes. Ce monde  est en train d’être remplacé  par celui du contrôle des esprits et de l’esprit. Pour une raison simple : on ne veut plus discuter.  On veut avoir le dernier mot. 

Nous avons connu le capitalisme politique qui veut le pouvoir politique. Nous avons connu le capitalisme économique et financier qui veut le pouvoir économique et financier. Nous avons connu le capitalisme médiatique qui veut le pouvoir médiatique via l’infirmation et l’image. Nous allons découvrir le capitalisme mental qui veut le pouvoir des esprits. 

Il faut être aveugle pour ne pas le voir. Comment se fait-il qu’au même moment dans l’histoire que nous traversons nous voyons apparaître les Gafa qui collectionnent les données informatiques, de toute la planète, les réseaux sociaux qui surveillent nuit et jour tout ce qui se dit, tout ce qui s’exprime et tout ce qui se pense, l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale et la reconnaissance vocale, la judiciarisation systématique de n’importe quel écart par rapport à la norme et la surveillance sanitaire au niveau mondial ? Ce n’est pas un hasard, mais une tendance lourde de la culture politique mondiale qui est en train de s’exprimer. 

Nous sommes rentrés dans l’ère du contrôle de l’esprit et des esprits par des logiques étatiques, économiques, financières, techniques, scientifiques  et idéologiques qui ont décidé de faire bien penser. Tous les jours nous en avons la confirmation, à travers la répression spontanée de tout ce qui s’écarte de la pensée universelle bien pensante. Aussi convient-il de ne pas se tromper de cible. Ne croyons pas qu’il y a d’un côté la réalité et de l’autre la communication qui, ne pouvant changer la réalité, masque celle-ci et se masque en même temps. La communication n’est pas extérieure à la réalité. Elle est la réalité et dans ce cadre la bienveillance joue un rôle stratégique de premier plan. Elle est le prérequis pour rentrer dans le grand jeu et jouer ce jeu. Vous êtes estampillé bienveillant ? Vous pourrez jouer. Vous êtes estampillé haineux ? Vous ne pourrez pas jouer. Vous voulez faire parie du monde de demain ? N’oubliez pas l’amour et la bienveillance. 

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