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Carnage en vue sur les banques européennes ?
©DAMIEN MEYER / AFP

Avis de tempête

Les banquiers se préparent à la plongée économique en cours, avec la résurgence du Covid-19. Car ils savent l’amélioration sera lente et surtout différenciée, entre faillites et succès.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Les banquiers sont ce l’on voudra, mais tout sauf idiots. Ils savent qu’ils sont depuis longtemps dans une période hostile et que le COVID-19 sera là pour longtemps. C’est d’abord l’économie qui fléchit durablement, avec l’inflation et les taux d’intérêt, bases de leur chiffre d’affaires, avec donc la montée des risques, qui menace leurs résultats. C’est ensuite la révolution technologique, qui permet souvent de fonctionner sans eux, notamment dans les activités qui étaient les plus rentables. Ce sont enfin les banques centrales (!), qui veulent une économie plus réactive à leurs politiques, donc une plus grande sensibilité des entreprises et des ménages aux marchés financiers. Ceci implique, notamment en zone euro, plus de financement de l’économie par les marchés, donc des banques plus solides, mieux capitalisées, donc moins nombreuses. Et tout cela se passe quand vient et revient le COVID-19 !

Donc il faut comprendre que les « meilleurs résultats » des banques au deuxième trimestre, tout étant relatifs, sont seulement la préparation à la bourrasque qui vient. Ces « meilleurs résultats » viennent largement en effet des soutiens budgétaires, avec des crédits assortis de garanties d’état et des accords de chômage partiel qui ont amorti le choc, sachant qu’ils ne pourront suffire à éponger les pertes à venir dans l’industrie, les commerces (petits et grands) et plus encore les services (restaurant, hôtel, tourisme, locations…). Amortir le pire au deuxième trimestre 2020, avec le répit procuré par le déconfinement, ne saura suffire : le virus revient partout. Fin 2020 sera donc une nouvelle baisse d’activité, peut-être début 2021 une récession s’installe, en tout cas une « année difficile », comme on dit. Ensuite, l’amélioration sera lente et surtout différenciée, entre faillites et succès. Vallourec proposera à ses créanciers de devenir plutôt actionnaires, et l’on ne comptera plus les entrées en bourse retentissante (IPO).

Déjà, les banquiers revoient leurs budgets pour 2021 et 2022. Ils accélèrent, tous, leurs efforts pour « améliorer leurs structures », autrement dit réduire leurs coûts, cesser des achats jugés de confort, demander à leurs fournisseurs de diminuer leurs prix, abandonner ou réduire des activités peu ou pas assez profitables, et surtout revoir les augmentations de salaires, sauf aux plus bas, pour mettre l’accent sur les primes, bonus, intéressement et participation. Ensuite les banques les plus fragiles vont hâter leurs préparatifs pour ne pas être achetées par plus gros et disparaître : elles fusionnent au plus vite avec des banques de taille semblable. Enfin les plus grosses veulent étendre leur empire, pour devenir de plus en plus paneuropéennes ici, et plus mondiales quand elles sont américaines.

Concentration avec plus moins de problèmes politiques : en Espagne (encore) peu, en Italie davantage. L’Espagne est un cas d’école des restructurations bancaires en cours en zone euro, après la crise des années 2000-2010. Contre 60 grandes banques et caisses d’épargne alors, on y en compte onze (Santander, BBVA, CaixaBank, Bankia, Sabadell, Bankinter, Unicaja, Liberbank, Kutxabank, IberCaja et Abanca), sachant que Caixa et Bankia vont se rapprocher, en attendant BBVA et Sabadell, puis Unicaja et Liberban (à voir). L’Italie est dans une phase permanente de concentration de ses structures souvent médiévales, derrière ses deux leaders (Intesa San Paolo et Unicredit) qui font leurs emplettes sans trop susciter d’oppositions locales (et nationalistes), tandis que Crédit Agricole avance pas à pas. Le problème bancaire italien est double : accroître les tailles des entités pour gagner en efficacité et réduire les crédits non performants, « en souffrance » selon l’expression italienne. Ils datent de dizaines d’années et freinent toute expansion. D’où la question : comment se concentrer en étant ainsi plombés, sans aide massive et permanente de l’état, tout en restant italien ?

L’Allemagne présente un autre cas de figure, avec un système bancaire atomisé, complexe, protégé et opaque, donc très politique. Atomisé, avec plus de 1 700 banques, complexe avec de nombreuses banques privées (plus de 200, petites), derrière Deutsche Bank et Commerzbank, toutes deux à la peine. Deutsche Bank est officiellement la seule à présenter un risque systémique global aux yeux de la BCE, contre 4 en France (BNP, Crédit Agricole, BPCE et SocGen), à côté des banques mutualistes (plus de 1000), des caisses d’épargne locales (plus de 400 Sparkassen) et des banques régionales (6 Landesbanken). Ces banques régionales dont la taille de bilan est telle, le hasard ou les pressions allemandes faisant bien les choses, qu’elles échappent à la surveillance de la BCE pour être sous celle, plus… proche, de la Banque Centrale Allemande (BUBA). On comprend le secret : le système bancaire allemand est trop éparpillé et trop peu efficace, avec des coûts de structure très élevés, les plus élevés de la zone euro, peut-être propice à des soutiens et interventions locaux. Avec une croissance lente, des taux longtemps bas ce qui comprime les marges d’intermédiation de ces banques, au fond, traditionnelles, on comprend aussi que la BUBA soit aussi conservatrice. Pourtant, il faudra bien qu’elle fasse accélérer la concentration du système qu’elle gère : 2,5 établissements pour 100 000 habitants, contre 1 en France, et que se dévoilent certaines réalités.

Le système français, à sa manière, se prépare à la longue bourrasque qui vient. La bourse n’aime pas les banques, françaises ou non, victimes de la conjoncture et des taux bas : depuis le début de l’année, le titre de la Société Générale a perdu 47%, ceux du Crédit Agricole 33% et de BNP 22%. La difficile cession d’HSBC montre le peu d’appétit en France pour les réseaux de détail et les interrogations sur le futur des PME et TPE. La Société Générale le sait : elle continue de réduire son propre réseau d’agences et aussi ses effectifs en banque d’affaire. Elle veut intégrer sa filiale le Crédit du Nord, trop petite sans doute par les temps actuels et pour optimiser aussi ses frais de structure. Elle met actuellement Lyxor en vente, sa filiale de gestion d’actifs qui attire beaucoup d’intérêts, dont Amundi (Crédit Agricole) et BNP. Tout cela : pour se renforcer seule, ou pour « un mariage entre égaux » (avec qui ?), ou pour se vendre plus cher (à qui, mais difficilement à une banque française, pour des raisons de concurrence) ? De son côté, le Crédit Agricole est certes puissant, possédé à plus de 55% par les Caisses régionales donc « inachetable », ce qui ne l’empêche évidemment pas de s’étendre dans les activités de détail, en France et en Italie pour l’heure. Aime-t-il la banque d’affaires internationale, lui qui vient de vendre la part qui lui restait dans sa filiale en Arabie Saoudite ? La BNP doit avoir des problèmes d’extension en banque de détail, pas assez rentable, et s’interroger sur la banque d’affaires, trop risquée ?

Ce qui se passe dans les banques d’affaires internationales est très intéressant pour la suite des opérations. Dans les neuf premiers mois de l’année, les douze plus importantes banques d’affaires mondiales (Bank of America, Barclays, BNP, Citi, Crédit Suisse, Deutsche Bank, Goldman, HSBC, JPMorgan, Morgan Stanley, SocGen et UBS) ont à peu près maintenu leurs effectifs en front office, sachant que, dans cet ensemble, les banques européennes ont diminué les leurs de 5% et que les valorisations des banques américaines font mieux que tenir.

Au total, la banque de réseau va partout se concentrer en Europe, autant que possible sur une base domestique, pour des raisons politiques, ce qui laissera la porte ouverte à des banques fin tech, à moindre image nationale. Les banques des PME et TPE vont se concentrer et développer une activité de fusion-acquisition, de détourage (carve out) pour structurer les parts valorisables de leurs clients en difficulté. Enfin, la BCE et la Banque de France ici, demandent à ce que naissent de grandes banques d’affaires paneuropéennes, pour des raisons politiques européennes (par rapport à américaines) et, officiellement, pour répartir les risques. Alors, la BNP est-elle prête à acheter Deutsche Bank, Crédit Agricole BBVA, ou vont-elles choisir des mariages (des proies) plus petits, mais qui ne feront pas la différence dans ce monde, quand viennent les banques chinoises. Moralité : les banquiers européens ont de quoi se préparer !

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