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Une sépulture vieille de 9000 ans prouve qu’il existait aussi des femmes chasseurs à la préhistoire contrairement à ce qu’on croyait
©REMY GABALDA / AFP

Le rôle du plus fort

Un cadavre de femme datant de 9000 ans a été découvert enterré avec du matériel de chasse, laissant peu d’ambiguïté sur son rôle de chasseresse, relativement en contradiction avec l’image traditionnelle de la femme préhistorique.

Claudine Cohen

Claudine Cohen

Claudine Cohen est l’auteur de deux ouvrages qui ont contribué en France à réévaluer la place et les rôles des femmes dans la préhistoire : La Femme des origines, Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris Belin-Herscher 2003, rééd. 2020, et Femmes de la Préhistoire Belin 2016 ; Poche ed. Tallandier, collection Quarto 2019. Elle enseigne la philosophie et l’histoire des sciences de la vie et de la Terre et des sciences de l’évolution à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Son prochain livre, Nos Ancêtres dans les arbres. Réflexions sur le devenir humain, paraîtra aux Editions du Seuil en mars 2021. Un de ses chapitres s’intéresse à la place des femmes dans l’évolution humaine.

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Atlantico : Un cadavre de femme datant de 9000 ans a été découvert enterré avec du matériel de chasse, laissant peu d’ambiguïté sur son rôle de chasseresse, relativement en contradiction avec l’image traditionnelle de la femme préhistorique. Est-ce une découverte importante et pourquoi ?

Claudine Cohen : C’est une découverte remarquable. La fouille a mis en évidence une sépulture contenant les restes d’un individu, mais aussi tout un ensemble d’outils et d’armes de pierre taillée -- pointes de projectiles et couteaux de dépeçage - déposés à ses côtés. L’étude des dents et des ossements a permis l’identification du squelette comme celui d’une femme. Les chercheurs ont élargi la recherche à d’autres sépultures de la région, comparé leur trouvaille avec d’autres sur le continent américain, et en ont conclu que ce type d’associations était fréquent. Ce beau travail apporte des indices forts pour mettre en évidence un rôle des femmes préhistoriques qui leur est souvent dénié : la participation à la grande chasse. Dans l’imaginaire de la préhistoire, dans l’iconographie ou les films qui la reconstituent, ce sont les hommes qu’on voit manipuler le propulseur et la lance, chasser le mammouth et poursuivre le bison, tandis que les femmes attendent au foyer, entourées d’enfants en bas âge, qu’on veuille bien leur rapporter la viande. Avec cet ensemble archéologique on peut dire qu’on a une preuve solide qu’il n’en était pas ainsi, un véritable « smoking gun », révélant la réalité de cette participation féminine à la grande chasse et de sa reconnaissance par le groupe social.

A-t-on suffisamment d’autres exemples plus ou moins anciens qui permettent d’arriver à des conclusions plus générales sur le rôle des femmes à la préhistoire ? Quel était-il ? 

Les trouvailles permettant une étude aussi poussée ne sont pas fréquentes, et celle-ci est favorisée par le fait que le Paléolithique américain est bien plus récent que le nôtre, ce qui explique la bonne conservation des vestiges, et facilite les recherches. Le site péruvien étudié n’est vieux que de 9000 ans... En Europe, les sites paléolithiques sont bien plus anciens, vieux parfois de centaines de milliers d’années. Les fossiles sont rares, souvent en mauvais état et il est souvent difficile de différencier un squelette féminin d’un squelette masculin (même si dans certains cas les études moléculaires peuvent s’ajouter à l’exploration anatomique pour cette identification). C’est une des raisons qui expliquent la difficulté de caractériser précisément les rôles des femmes et des hommes dans les sociétés préhistoriques. Mais ce n’est pas la seule ! Les préjugés jouent aussi leur rôle, et influencent les interprétations. Lorsqu’à la fin du 19e siècle on a trouvé près de Menton une sépulture contenant un squelette robuste inhumé avec des offrandes, on a conclu qu’il s’agissait d’un chef qui se trouvait ainsi honoré. Il a fallu un siècle et bien des changements dans les mentalités pour se rendre compte que « l’homme de Menton » était en réalité une femme, et que toute une série de sépultures italiennes avait les mêmes caractéristiques ! Bien souvent ce sont les préjugés relatifs aux objets ou aux instruments qui l’entourent qui conduisent à identifier un squelette comme celui d’un homme plutôt que d’une femme…

Si les preuves archéologiques existent, comment expliquer que la communauté scientifique ait longtemps affirmé que les femmes étaient cantonnées à un rôle plus domestique ?

L’idée que seuls les hommes se livraient à la grande chasse et partaient explorer les lointains s’est imposée dès le XIXe siècle. Elle projetait les cadres mentaux de l’époque victorienne sur les temps lointains de la Préhistoire. Darwin lui-même cautionne ce scénario et insiste sur le fait que la chasse développe l’habileté technique, la ruse et l’intelligence, la coopération et le sens du partage, toutes capacités éminemment masculines à ses yeux ! Cette idée a été reprise et développée sous la forme du modèle de « l’homme chasseur » (Man the Hunter), par des anthropologues américains de Chicago dans les années 1960. Il a fallu que toute une génération d’anthropologues et de préhistoriennes anglo-saxonnes s’élève contre ce type de constructions a priori et proposent de reconsidérer la place des femmes dans les sociétés préhistoriques, pour que soit enfin posée la question des rôles féminins dans la préhistoire. Il a fallu aussi que soient développés de nouveaux modes d’approche (comme l’expérimentation de la taille du silex, qui a mis en évidence la capacité des femmes à fabriquer et utiliser des outils, ou les apports de l’ethno-archéologie, qui a étudié les relations entre hommes et femmes et les rôles sociaux dans les sociétés actuelles de chasseurs cueilleurs) pour parvenir à critiquer les modèles machistes. Nous savons aujourd’hui que les groupes de chasseurs-cueilleurs paléolithiques étaient égalitaires, au moins en ce qui concerne la subsistance, que les femmes savaient éviter d’avoir plusieurs enfants en bas âge en même temps, qu’elles étaient fort mobiles, parcouraient de grandes distances pour se livrer à la cueillette mais aussi à la chasse au petit gibier, au ramassage des œufs ou des coquillages, et prenaient part à la grande chasse à tout le moins comme rabatteuses, pour courir après le gibier, le ramasser et le dépecer.

Depuis plus d’un demi-siècle bien des avancées dans les sciences et les mentalités ont contribué à modifier la vision caricaturale des rôles sexuels dans la préhistoire. Mais les préjugés ont la vie dure : tout se passe comme si, à chaque génération, la démonstration devait être recommencée…

Claudine Cohen publiera Nos Ancêtres dans les arbres. Réflexions sur le devenir humain aux Editions du Seuil en mars 2021. Un de ses chapitres s’intéresse à la place des femmes dans l’évolution humaine.

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