GIGN - RAID : le retex ou l’indispensable retour d’expérience<!-- --> | Atlantico.fr
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GIGN agent expérience lutte contre le terrorisme
GIGN agent expérience lutte contre le terrorisme
©MATTHIEU ALEXANDRE / AFP

Bonnes feuilles

Thierry Orosco et Jean-Michel Fauvergue publient "GIGN-RAID, deux patrons face aux nouvelles menaces" chez Mareuil éditions. Pour la première fois, deux anciens patrons du GIGN et du RAID se livrent à un exercice inédit : confronter publiquement leurs points de vue, leurs analyses, expliquer, décortiquer le fonctionnement de leur unité respective. Extrait 2/2.

Jean-Michel Fauvergue

Jean-Michel Fauvergue

Jean-Michel Fauvergue a été chef du RAID de 2013 à 2017. Expert en sécurité, il a conseillé Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle. Depuis 2017, il est député de la 8e circonscription de Seine-et-Marne sous l'étiquette La République en marche.

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Thierry Orosco

Thierry Orosco

Le général Thierry Orosco a été chef du GIGN de 2011 à 2014.

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Autre phase importante, voire essentielle, dans des unités comme les vôtres : le Retex, acronyme signifiant « retour d’expérience », autrement dit en bon français, le débriefing détaillé d’une opération…

Thierry Orosco : Vous l’avez dit, le Retex c’est quelque chose d’essentiel pour progresser. C’est le moment où l’on passe au crible aussi bien nos façons de procéder que nos équipements. Rien ne doit être laissé au hasard. L’idée étant évidemment de cibler les choses à améliorer. En principe, un Retex doit se traduire par des actions de formation, d’amélioration de tactiques ou/ et d’équipement. Au GIGN, il y avait une règle de base – je pense qu’elle n’a pas changé –, qui était toujours de dire : « Ce n’est pas parce que tout s’est bien passé qu’on a bien fait. » Les gens ont toujours tendance à s’envoyer des lauriers, or si on analyse bien une intervention, on se rend compte très souvent qu’on n’est pas passés loin d’un incident. En réalité, il y a toujours des petits problèmes et des marges de progression.

Autre chose importante dans le Retex : il faut qu’il soit compris par nos hommes et femmes, et que chacun ou chacune fasse preuve d’humilité. Quand on évoque des choses qui n’ont pas marché, on froisse inévitablement quelqu’un qui se sent immédiatement visé.

Au GIGN, il y a deux Retex. Le premier est à chaud, dès que l’opération est finie. C’est un Retex « temporel ». C’està-dire qu’on décortique minute par minute, ou presque, une opération : À 5 h 55, on s’est mis en place, à 6 heures, on a fait sauter la porte, à 6 h 01 on est entrés dans l’appartement, etc. Et chacun dit ce qu’il s’est passé entre telle et telle heure. On s’aperçoit alors que dans les moments les plus intenses, beaucoup de gens n’ont pas eu le temps de visualiser des choses. Exemple : au moment de l’assaut, des hommes ont marché sur un corps et ne s’en sont pas rendu compte, polarisés par le point qu’ils devaient atteindre dans l’appartement. La mémoire est donc assez fugace dans ces moments-là. Raison pour laquelle un « Retex temporel » est toujours indispensable pour éviter que des choses ne soient oubliées.

Le second Retex est un Retex dit « à froid ». Il a lieu dans les locaux du GIGN, à Satory. C’est un Retex « thématique » auquel peuvent assister des gens qui n’étaient pas là lors de l’opération. Les experts sont présents, ceux qui maîtrisent un domaine particulier et sont capables de le faire avancer. Exemple : s’il y a eu une ouverture de porte à l’explosif, on va demander au spécialiste du domaine d’être présent en plus de ceux qui ont participé à l’intervention, pour qu’il puisse identifier d’éventuels problèmes et commencer à chercher une solution. Je me souviens qu’au tout début des années 1990, on avait fait une opération dans un immeuble, à Montpellier. En faisant sauter une porte, toutes les autres portes de l’étage s’étaient ouvertes en même temps sous l’effet de souffle. Il nous a donc fallu chercher la façon de maîtriser le souffle, afin qu’il travaille vers la porte et non vers l’extérieur, sans compter que cet effet de blast est quelque chose d’assez traumatisant pour les équipiers présents. Avec ce Retex à froid, on va arriver, thématique par thématique, à disséquer cette phase de l’ouverture du bâtiment, savoir précisément comment elle s’est passée ; y avait-il trop ou pas assez de charge ? La pose a-t-elle été trop longue ? Etc. Chaque question induisant, on s’en doute, une réponse et la façon de mieux procéder.

Le Retex sert à piéger les détails. Je vais en donner trois. Le premier remonte aux premiers temps du GIGN. À l’époque, il y avait beaucoup plus de fumeurs qu’aujourd’hui. Durant la surveillance d’un immeuble, un de nos gars a fumé. Quand la « cible » est arrivée, il a senti l’odeur de la cigarette et fait demi-tour. On l’a arrêté plus tard, et c’est lui qui nous a expliqué pourquoi il était parti. Deuxième détail, toujours sur une opération : les bandes velcro. Un gendarme au cours de la progression a accroché un adhésif qui, en s’arrachant, a fait du bruit. Depuis, il n’y a plus aucune bande velcro sur les tenues d’intervention. Les seules sont celles qui servent à accrocher les insignes de l’unité, mais on les enlève avant l’intervention. Troisième exemple de détail : il est 6 heures du matin, il fait nuit, on rentre dans un immeuble avec la colonne d’assaut pour se mettre en place, la prudence voudrait qu’on n’allume pas la lumière. Mauvais réflexe. Il faut au contraire l’allumer, car si on fait un tout petit peu de bruit, la cible, a priori sur ses gardes, pourrait s’alarmer en entendant la porte s’ouvrir et s’étonner que la personne qui rentre n’allume pas la lumière. Autre exemple : c’est parce qu’on avait eu des problèmes en Nouvelle-Calédonie, pendant l’opération dans la grotte d’Ouvéa, qu’on a commencé à réfléchir sur la façon de faire une nacelle, extraire rapidement une équipe et des personnes non formées comme des otages, à partir d’une zone difficile d’accès.

Ces séances de Retex sont-elles longues ? Y en a-t-il beaucoup après une opération ?

T. O. : Il peut y en avoir plusieurs, car on peut identifier un problème qui va faire naître un dossier. Si, par exemple, on veut faire diminuer un effet de souffle, on ne trouvera pas la solution en un coup. Au fur et à mesure des tests, au fur et à mesure des opérations, ce Retex va durer, s’enrichir, avant qu’on trouve la bonne solution.

Par ailleurs, chaque opération fait l’objet d’un rapport détaillé sur le déroulé du scénario. Et chaque rapport est adressé à la direction générale.

Jean-Michel Fauvergue : Je me retrouve totalement dans ce que Thierry vient d’expliquer. L’effet de souffle sur les portes en est l’exemple type. Ce fut le cas lors de ma dernière opération à Montpellier, avant de quitter le Raid. Une opération antiterroriste avec l’antenne Raid de Marseille. Nous étions sur un palier, et de la même façon, lorsqu’on a utilisé les explosifs, l’effet de souffle a ouvert toutes les portes. Idem pour la lumière dans l’entrée d’un immeuble, cela nous est arrivé de nous faire repérer pour ne pas l’avoir allumée. Mohammed Merah, au cours de la trentaine d’heures de négociations, expliquera aussi pourquoi il s’était méfié en attendant la porte de l’immeuble s’ouvrir sans que la lumière soit allumée.

Sur le plan opérationnel, Thierry a tout dit. Oui, le Retex est essentiel pour progresser, pour améliorer le travail de nos unités du point de vue tactique et technique. Il va aussi nous aider à nourrir les entraînements, et à améliorer le management.

Certains sont probablement plus difficiles que d’autres, notamment quand une intervention ne se déroule pas dans de bonnes conditions…

J.-M. F. : Certains peuvent se faire dans la douleur. C’est le cas de celui sur l’intervention contre Mohammed Merah qui s’est fait dans le long terme et la douleur. Il faut rappeler qu’à l’époque le Raid, ou même le GIGN, négociaient encore avec les terroristes islamistes. On sait que Merah, c’est l’an zéro des islamistes radicalisés, décidés à mourir en chahid les armes à la main. Les consignes étaient de le prendre vivant, et les gens du Raid ont pris de gros risques pour tenter d’y parvenir. C’est pour cette raison qu’au lendemain de l’opération, ainsi que devait le révéler le Retex, une espèce d’acrimonie s’est installée chez certains hommes du Raid, à la fois contre la hiérarchie policière, mais aussi administrative et politique. Il est un fait que cette affaire aurait été résolue plus rapidement si les autorités n’avaient pas imposé une négociation longue pour prendre Mohammed Merah vivant, ce qui finalement n’a pas été le cas. Mais j’insiste à nouveau, à l’époque nous n’avions pas le recul sur le mode opératoire de ce type de terroriste et le Raid a fait ce qu’il savait faire ; il a négocié jusqu’au bout. Il a fallu débriefer tout ça, l’évacuer.

En ce qui me concerne, le Retex que j’ai fait, moi aussi, dans la douleur est celui de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Quand je suis arrivé sur place, vingt-six personnes étaient retenues en otage. Nous les avons toutes libérées. Les quatre otages tués l’avaient été avant notre arrivée. De notre côté, nous avons eu cinq blessés au niveau des jambes ; depuis ils ont retrouvé toute leur mobilité. Quitte à être immodeste, je peux qualifier cette opération de réussie. Malgré cela, le Retex de Vincennes a été difficile et s’est étalé sur plusieurs séances à plusieurs niveaux…

A-t-il eu lieu avec la BRI ?

J.-M. F. : Malheureusement non. Je l’ai suggéré mais il y a eu des tensions entre le DGPN, Jean-Marc Falcone, et le préfet de police, Bernard Boucault. Celui-ci estimait, bien évidemment après le dénouement heureux de l’opération, qu’il n’était pas utile d’appeler le Raid, et que la BRI aurait pu remplir cette mission. Le problème c’est que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, en a décidé autrement. Puis les choses se sont envenimées. J’ai assisté à des réunions très tendues alors qu’il était question de renforcer l’interopérabilité entre les deux unités. Tendues à tel point que le préfet de police a préféré quitter la salle, emmenant avec lui le chef de la BRI ! Le moins qu’on puisse dire c’est que la situation ne se prêtait guère à un Retex commun Raid/BRI. Je le déplore.

Le Retex s’est donc déroulé chacun de son côté…

J.-M. F. : Oui, et comme je le disais en plusieurs temps. D’abord à chaud avec les groupes, les groupes se sont réunis en section. Un mois après, on a fait un Retex général en prenant l’ensemble des équipes de commandement, jusqu’aux majors qui dirigeaient les groupes. Retex qui a mal commencé puisqu’un groupe de 4 ou 5 hommes a remis en cause la stratégie adoptée porte de Vincennes par le Raid et son chef. Évidemment, je les ai laissés parler. Bien que la stratégie, déterminée à la lumière de cette nouvelle menace que représentaient les islamistes, bien que cette stratégie ait été largement expliquée – on ne négocie plus, on intervient vite pour éviter des victimes supplémentaires, on va jusqu’au bout de l’assaut une fois qu’il est lancé, jusqu’à la neutralisation du terroriste, etc. –, eh bien malgré tout cela, malgré ce que j’ai appelé plus haut le « management de cœur », puis le « commandement de guerre », le Retex a tout remis en cause. Ou plus exactement, des anciens du Raid, très peu nombreux mais encore très présents, des « historiques », qui en sont revenus à leur ancienne manière de faire, à savoir qu’on aurait dû négocier, progresser plus lentement à l’abri des boucliers roulants, les Ramsès. Puis ils ont estimé qu’on n’aurait pas dû passer devant les baies vitrées de l’Hyper Cacher, alors que derrière ces baies vitrées – mais ils ne le savaient pas –, il y avait des réfrigérateurs industriels et que personne n’avait pu voir notre progression.

Ils se sont plaints également de ne pas avoir su comment ouvrir le volet roulant alors que nous avions les clés – ce qui reste le meilleur moyen d’ouvrir une porte. Néanmoins, les explosifs étaient prêts au cas où les clés n’auraient pas fonctionné, etc. Ils nous ont reproché de ne pas les avoir informés de tout cela, mais il fallait aller vite, très vite, alors que Coulibaly savait peut-être que l’assaut avait été donné contre les frères Kouachi, à Dammartin-en-Goële, et que l’on craignait qu’il se venge en tuant les otages.

Il était important d’entendre ces reproches, c’est pour cette raison que j’ai laissé les détracteurs parler en premier. Puis je leur ai expliqué – comme le commandement l’avait déjà fait – qu’il y avait une nouvelle stratégie, et que l’ancienne manière pourrait toujours être utilisée face à des preneurs d’otages plus « classiques ». J’ai été rejoint dans mes explications par l’ensemble des officiers supérieurs.

Les choses se sont un peu calmées, sauf pour quatre d’entre eux qui n’ont pas supporté ce changement et qui ont fini par quitter le Raid. Par la suite, après que l’abcès a été crevé, on a pu décortiquer vraiment chaque phase de l’opération, et surtout l’expliquer. Il y a eu un vrai Retex par spécialité, sur la manière de faire, sur la manière de commander. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien, que le Retex permet aussi aux opérateurs de s’extérioriser, de décharger l’énergie négative qu’ils ont accumulée, jusqu’à malmener la hiérarchie. En tant que patron d’une unité comme le Raid, on doit accepter, dans ce cas précis, de servir de défouloir – sans toutefois dépasser les bornes – pour rentrer ensuite dans une sérieuse et sincère discussion qui va nous faire évoluer à la fois sur la technique et sur la stratégie de commandement.

A lire aussi : GIGN - RAID : aux origines de la création des unités d’élite

Extrait du livre de Thierry Orosco et Jean-Michel Fauvergue, "GIGN-RAID, deux patrons face aux nouvelles menaces", publié chez Mareuil éditions.

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