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Le fondement juridique des amendes liées aux violations bénignes du reconfinement est-il solide ?
©Valery HACHE / AFP

Justice

Le reconfinement a un impact important sur les libertés des Français, notamment celle de se déplacer. Cette limitation n’est conforme à la Constitution que si elle est indispensable, proportionnée à la crise et ne porte pas atteinte à d’autres libertés sans lien avec les conséquences de la crise sanitaire.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Le reconfinement annoncé par Emmanuel Macron mercredi reprend dans les grandes lignes les mêmes principes que celui mis en place à partir de mars dernier. Y-a-t-il eu des failles juridiques à l’époque et ont-elles été corrigées ?  

Didier Maus : Le droit de l’état d’urgence sanitaire s’appuie sur une pyramide de textes qui s’emboîtent les uns dans les autres. Au départ il y a dans le code de la santé publique, depuis la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, un article L. 3131-12 qui permet de déclencher l’état d’urgence sanitaire, lequel est destiné à faire face à « une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Les articles suivants déterminent les modalités de déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, sa durée (un mois, puis prolongation par la loi) et les mesures qui sont susceptibles d’être prises. L’article L. 3131-15 permet en particulier de « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret »  ou d’«interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ». Ces deux alinéas constituent la base des mesures de couvre-feu ou de confinement.

La loi du 23 mars 2020 n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel. Il est donc possible de s’interroger sur les limites des restrictions qui peuvent être apportées aux droits fondamentaux. Ceci étant, dans d’autres décisions le Conseil constitutionnel a décidé, de manière parfaitement classique, que l’objectif constitutionnel de protection de la santé permet de limiter, de manière temporaire et dans proportions bien encadrées, certaines grandes libertés, au premier rang desquelles la liberté d’aller et venir : «  Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle (la santé) et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. » (décision du 9 juillet 2020)

Cette limitation n’est conforme à la Constitution que si elle est indispensable, proportionnée à la crise et ne porte pas atteinte à d’autres libertés sans lien avec les conséquences de la crise sanitaire. Il serait, par exemple, très difficile, voire probablement impossible, de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse.

En ce qui concerne octobre 2020, un décret du 14 octobre a institué l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre. Un très long décret du 16 octobre a défini les mesures précises à appliquer. C’est sur ce fondement que le couvre-feu, d’abord dans huit régions, puis dans les deux-tiers du pays, a été décidé.

Le décret du 29 octobre (publié dans la nuit du 29 au 30 octobre) tient compte des assouplissements annoncés par le Président de la République par rapport au régime des mois de mars et d’avril 2020, qu’il s’agisse de l’ouverture des établissements scolaires ou du report de la fermeture des fleuristes au lendemain de la Toussaint. À ma connaissance aucune insuffisance juridique n’a, pour l’instant, été relevée. Seule une comparaison très précise entre le dispositif du printemps et celui de cet automne permettra de répondre à la question d’éventuelles failles.

Les conditions d’exception permettant de sortir pour faire du sport, sortir son chien, ou rendre visite à un proche en EHPAD, sont-elles conformes au principe d’égalité ?

Didier Maus : Le principe d’égalité n’est pas véritablement en cause. Il s’agit beaucoup plus d’une question de liberté. Certaines exceptions (la sortie des chiens ou la conduite des enfants à l’école,…) répondent à des situations de bon sens. Si les écoles sont ouvertes, il faut bien que les parents ou d’autres les accompagnent et aillent les rechercher. Pour le sport, établir une distinction entre les sportifs professionnels ou de haut niveau et les amateurs est parfaitement envisageable, avec simplement une question de définition des uns et des autres.

On peut, par contre s’interroger au regard du principe d’égalité sur les mesures prises en matière commerciale. Le maintien de l’ouverture des grandes surfaces ne pose pas de problème lorsqu’il s’agit des rayons alimentaires, mais les rayons non alimentaires peuvent-ils demeurer ouverts alors que des magasins de centre-ville ayant la même activité (fleuriste, magasins de confection, articles de cuisine,…) sont fermés. À ma connaissance le débat n’a pas été porté devant le Conseil d’État, juge compétent en l’espèce, mais la réponse n’est pas évidente. La définition des « commerces essentiels », formule très présente dans la communication gouvernementale, soulève également des interrogations, par exemple, dans le domaine des travaux d’aménagement des habitations et jardins ou du bricolage. On peut aussi se demander pourquoi les opticiens peuvent être ouverts et non les audioprothésistes ou d’autres activités paramédicales. Il est probable que de bons esprits s’interrogeront sur ces sujets. Au printemps, il y avait une hésitation psychologique à saisir le juge administratif. Les très nombreux contentieux qui ont jalonné ces derniers mois ont montré qu’il ne faut pas hésiter à utiliser les diverses procédures destinées à faire respecter l’état de droit, donc la démocratie.

Les règles sont elles appliquées comme il le faut par les forces de l’ordre lors des contrôles ? A-t-on des bases juridiques pour contester les amendes qui découlent du non respect des consignes ?

Didier Maus : Les actions de contrôle sont menées sous l’autorité des préfets et, sur place, des officiers et agents de police judiciaire. Il y a aura toujours des cas limites, par exemple pour apprécier la distance de 1 km ou les « motifs familiaux impérieux ». Il faut faire preuve de bon sens.

La contestation des amendes est possible, comme pour toute infraction faisant l’objet d’un procès-verbal. On peut discuter soit l’élément purement matériel de l’infraction, soit l’interprétation qui est donnée de certaines situations. Ceci étant, il n’est pas toujours facile de contester des amendes d’un faible montant.

Plus largement le principe des attestations de sortie, que la France est l’un des seuls pays à utiliser, est-il justifié et justifiable sur le plan légal ?

Didier Maus : La question est de savoir comment justifier qu’une personne est dans une situation dérogatoire au confinement (ou couvre-feu avant). L’attestation rédigée sous sa propre responsabilité est une solution facile à mettre en œuvre. C’est son principal avantage. A ma connaissance, son existence n’a pas fait l’objet d’un contentieux devant le juge administratif. Le confinement est, en tant que tel, une limitation de la liberté de circulation, quel que soit le moyen de transport utilisé. Il est donc indispensable de pouvoir faire la preuve d’une situation dérogatoire. D’un point de vue des libertés il est nettement préférable d’avoir recours à l’attestation personnelle que d’obliger les personnes concernées à demander un sauf conduit à une autorité administrative, même municipale.

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