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Les petites entreprises d'esport ne connaissent pas la crise
©BERTRAND GUAY / AFP

Gamers professionnels

Les entreprises d'esport - le jeu vidéo de compétition - sont en plein essor et n'ont pas toutes pâti de la crise liée au coronarivus.

Paul Arrivé

Paul Arrivé

Paul Arrivé est journaliste esport à L'Equipe.

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Atlantico : Le secteur de l'esport est en plein développement et les sommes qui circulent dans le milieu sont de plus en plus importantes. Comment fonctionne la sphère économique de l’esport et qu’est ce qui y amène autant d’argent ?

Paul Arrivé :  L’esport, les gens apprécient d’abord d'en regarder. C’est tout bête, mais c’est la même volonté qui pousse les gens à regarder du sport que de l’esport : voir des gens qui sont les meilleurs dans des disciplines compétitives. En l’occurrence, des jeux compétitifs ou des humains s’affrontent. S’il y a de l’audience, les gens essaient de la monétiser. Via des sponsors, des partenariats. C’est aussi des droits médias, qui existent déjà un petit peu dans l’esport même si ce n’est pas forcément des droits télé comme on peut le voir dans le sport traditionnel et dans le football plus précisément. Il y a beaucoup de droits internet avec Twitch et YouTube. Tout ça fait qu’il y a un peu d’argent qui rentre dans l’écosystème de l’esport. Et comme il y a de plus en plus de gens qui s’y intéressent, les sommes récoltées dans l’idée de monétiser cette audience sont de plus en plus importantes.

Il y a aussi des revenus liés directement ou indirectement aux jeux. Sur Fornite par exemple, ce n’est pas directement l’esport qui ramène de l’argent mais le jeu. Et Epic Games, l’éditeur, utilise cet argent pour alimenter l’esport, comme peut le faire Riot Games sur League of Legends, et dans une moindre mesure Valve avec Dota 2 ou Counter Strike. Les clubs fonctionnent aujourd’hui comme des clubs de foot, les organisateurs d’événements ou de tournois gagnent de l’argent comme des organisateurs d’événements traditionnels, avec du ticketing, des sponsors et des partenariats. Voilà comment l’argent rentre dans l’écosystème. De plus en plus de monde, donc de plus en plus d’argent, donc les équipes paient de plus en plus cher les meilleurs joueurs, parce que c’est comme ça qu’ils gagnent des tournois, qu’ils sont plus bankable, et qu’ils gagnent plus d’argent. C’est vraiment le même système que le sport traditionnel.

Dans les tournois, il y a des dotations, un peu comme au tennis, avec la grande particularité que là ce sont des équipes. Ce sont en général, à plus de 85%, les joueurs qui récupèrent les fruits de la dotation. Mais pour un club qui est présent, par exemple, au Mondial de League of Legends, c’est une exposition très importante, parce que c’est la compétition la plus regardée. Elle est suivie par des millions de personnes, dont beaucoup en Asie. Donc ils peuvent capitaliser dessus auprès de leurs sponsors en disant qu’il va y avoir une mise en avant de ces derniers. Mais il n’y a pas de retour direct sur la participation à l’évènement. C’est encore quelque chose d’assez opaque, mais je ne sais pas si Riot Games reverse aux équipes une part de ce qui a été gagné sur la diffusion des droits de la compétition. Ce sont des choses qui existent dans les ligues régionales, par exemple pour le championnat d’Europe de League of Legends. Là, on sait que dans la ligue, et c’est une ligue fermée, l’éditeur redistribue en partie les gains liés aux droits médias et aux droits de sponsoring, aux équipes.

Le modèle de fonctionnement des entreprises d’esport, au-delà du rapprochement qu’on peut faire avec le monde du sport, peut-il aussi s’apparenter à celui des entreprises de tech ?

Oui, il y a de ça aussi car beaucoup de structures, donc de clubs, font des levées de fonds et se financent un petit peu comme des startups avec des investisseurs qui comptent sur la croissance de l’esport et le boost des revenus à moyen-long terme pour avoir un retour sur investissement dans X années. C’est le cas avec Vitality, le plus gros club français, qui a levé une fois 20 millions, une fois 15 millions d’euros. Des clubs comme G2 ou Fnatic en Europe ont fait des levées de fond de plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce sont vraiment des accélérateurs de croissance : ça leur permet d’avoir des locaux, de mieux payer leurs joueurs pour garder leurs meilleurs joueurs et ainsi rester au top. C’est un peu particulier car ce ne sont pas des choses qu’on voit beaucoup dans le monde du sport où les clubs passent de main en main et parfois sont rachetés. Là, c’est vraiment faire rentrer des investisseurs dans le capital et c’est assez lié à la tech ou aux startups. C’est assez singulier et ça peut inquiéter, parfois, car les clubs de sport sont difficilement rentables. On peut se demander si les clubs d’esport le seront un jour aussi. Pour l’instant, ils ne le sont pas, ils fonctionnent pour beaucoup à perte ou au mieux à l’équilibre. Mais c’est comme ça qu’ils ont décidé de se financer et d’accélérer leur croissance dans une discipline qui, elle aussi, croit à toute vitesse.

Le coronavirus, et le confinement, ont-t-il bénéficié au monde de l’esport ou bien a-t-il pâti comme la plupart des secteurs économiques ?

Ce n’est pas un boom aussi important que celui des jeux vidéo qui a vraiment profité du confinement parce que les gens étaient chez eux et jouaient. Pour l’esport, c’est vrai seulement en partie car c’est l’un des seuls sports qui a réussi à continuer de vivre. Il a réussi à s’adapter en migrant en ligne, ce qui est quand même un petit retour en arrière parce que l’esport, depuis quelques années, devient de plus en plus physique. Les compétitions se passent dans des arènes avec des gens qui viennent voir les joueurs. Et ça c’est quelque chose que les organisateurs monétisent beaucoup, c’est comme à Roland-Garros. On peut monétiser ceux qui regardent à la télé mais aussi ceux qui viennent sur place. C’est quelque chose qui a fait défaut à l’esport, économiquement, mais aussi en termes de développement. L’esport c’est quelque chose qui devenait physique. Un exemple assez frappant c’est Natus Vincere, une équipe ukrainienne de Counter Strike, qui a joué en ligne à partir de mars-avril 2020 alors que ça faisait deux ans et demi qu’ils n’avaient plus disputé un seul match officiel en ligne. Ça prouve bien que l’esport avait vraiment quitté le lieu d’où il vient : internet, le monde en ligne. Forcément ça chamboule un peu les choses. Natus Vincere était numéro un mondial sur Counter Strike en mars, ils venaient de gagner le plus gros tournoi de ce début de saison saison, à huit-clos mais en physique, parce que c’était le tout début de la crise et ils avaient décidé de fermer l’événement aux spectateurs. Et avec le passage en ligne, ils ont eu un passage à vide qui a duré trois ou quatre mois, où ils sont retombés à la neuvième ou dixième place mondiale. Ils n’y arrivaient plus ou ils n’avaient plus la même motivation pour jouer en ligne. Il y a des équipes qui ont bien mieux performé grâce à cela, d’autre pour qui ça n’a pas trop bougé. On a vu aussi des joueurs avoir des difficultés à trouver de la motivation car ils jouaient de chez eux. Mentalement, ce n’est pas la même chose que de jouer devant des milliers de personne.

L’esport a aussi souffert parce que les budgets marketing des marques ont pu être impactés par la crise elle-même et donc ils ont potentiellement diminué la part de sponsoring, de mise en avant, de partenariat avec les clubs. Mais globalement je pense que le e-sport a amorti un peu la crise parce qu’il continuait de vivre. Parce que les clubs ont pu dire aux sponsors : « on est toujours en ligne, toujours en train de jouer » et surtout les audiences ont augmenté et ça c’est assez impressionnant. On jouait plus aux jeux vidéo mais les gens ont aussi regardé plus d’esport. On avait la chance d’avoir une discipline qui continuait de vivre pendant le confinement et qui a amené du divertissement et de la compétition à des gens qui étaient coincés chez eux. Les chiffres du championnat d’Europe de League of Legends ou de quelques compétitions de Counter Strike ont vraiment explosé. En revanche, un des gros écueils de la crise pour l’esport concerne ceux qui travaillent autour des tournois physiques : les photographes par exemple, ou des régisseurs qui se sont retrouvés un peu dans la panade car il n’y avait plus de tournois en physique. L’esport continuait mais eux n’avaient plus leur gagne-pain. D’une manière générale on ne se rend pas encore tout à fait compte d’à quel point ça impacte la discipline. Le bilan est vraiment séparé : oui l’esport a été mis en avant pendant le confinement, des médias se sont mis à en parler alors qu’ils n’en parlaient pas avant, juste parce que ça continuait et pas les autres, mais économiquement il a quand même été un peu impacté, même dans sa croissance, car le besoin de devenir physique a pris un coup.

Dans un avenir plus ou moins proche, la montée en puissance de l’esport va-t-elle poser des enjeux ou des risques nouveaux qu’ils soient économiques, politiques, ou même géopolitiques ? Y-a-t-il des écueils à éviter ?

Au niveau géopolitique, je ne sais pas trop, peut-être à terme. Aujourd’hui c’est plutôt des blagues dans le milieu. Ce n’est pas pris autant au sérieux que les sports traditionnels. Il y a des grosses rivalités entre la Corée et la Chine sur League of Legends, entre l’Europe et les Etats Unis, l’Amérique du Nord, sur Counter StrikeLeague of Legends et de manière plus générale. Ce sont des blagues mais il n’y a pas un vrai fond politique. Là où cela devient intéressant au niveau politique, c’est qu’il y a certains gouvernements, certaines collectivités territoriales, qui s’intéressent de plus en plus à l’esport. Tout d’abord parce qu’ils se sont rendus compte que c’était quelque chose qui demandait de mettre des barrières légales. L’esport est encore une grande friche de ce côté-là, les contrats sont un peu flous. Il y a beaucoup de prestations de service, parce que les contrats d’esport n’existent pas ou ne sont pas adaptés au milieu. Il y a aussi des questions sur est-ce qu’on doit définir ça comme un sport ou non. Il y a plein de choses qui posent des questions au niveau étatique et européen. Il y a des questions qui ne sont pas réglées, avec certains pays qui décident de les régler dans un sens ou dans l’autre. L’Allemagne a, par exemple, du mal à reconnaître ou admettre que l’esport est un sport, tandis qu’au Danemark, c’est quelque chose qui est beaucoup plus admis, car ils se sont rendu compte que c’était important de considérer les esportifs de très haut niveau comme des athlètes parce qu’ils avaient besoin d’un encadrement sportif à très haut niveau. Il y a cette disparité là, mais elle est un peu normale, elle est liée à la jeunesse de la compétition. Surtout, j’ai l’impression qu’elle croit tellement vite qu’on a du mal à suivre et à s’adapter à ces évolutions. Au niveau économique, ce sont un peu les mêmes qu’aujourd’hui. Il va y avoir, comme dans le sport, des batailles de droits médias, de sponsors, d’équipementiers, mais c’est du classique du sport. Le risque c’est que l’esport se voit plus gros qu’il ne l’est. Il y a des chiffres, aujourd’hui, qui ne sont pas raccords avec la réalité, qui grossissent l’esport alors qu’il n’a pas besoin de ça. C’est une discipline que les gens voient comme étant d’une taille qu’elle n’atteindra peut-être que dans cinq ou dix ans. Les gens surestiment beaucoup l’esport et ça c’est un risque, selon moi, car il va y avoir des investissements financiers qui vont se prendre un mur. Des gens qui sont mal conseillés ou qui se vont se rendre compte que l’esport ce n’est pas comme les jeux vidéo. Dans les jeux vidéo il y a une vente et on s’attend à récupérer de l’argent de ces ventes en investissant dans les éditeurs : Blizzard ou Riot Games par exemple. L’esport est beaucoup plus proche du sport à ce niveau-là. Dans le sport c’est dur de gagner de l’argent, du moins dans les ligues ouvertes, mais c’est un vaste débat. Donc je pense que c’est ça le risque, des investisseurs qui se rétractent, et avec cela, refroidissent certains investisseurs qui auraient aimé rentrer dans ce milieu ou qui s’y intéressaient et que cette espèce de bulle spéculative autour de l’esport éclate et fasse un « carnage » dans le milieu. Ce sont des hypothèses. Aujourd’hui on a l’impression de cette bulle spéculative, surtout sur certains aspects : certains jeux avec des investissements qui se comptent en millions, des levées de fond en dizaines de millions, des salaires qui ne sont pas forcément indexés sur les revenus des clubs, notamment sur Counter Strike. C’est possible que cette bulle éclate et fasse disparaître des structures, des clubs qui existent aujourd’hui, fasse baisser les salaires et donc refroidisse les investisseurs ou les sponsors. Mais il ne faut surtout pas oublier que le nombre de gens qui s’intéressent et regardent de l’esport continue d’augmenter et je ne vois pas comment ça pourrait aller dans l’autre sens car la population qui regarde l’esport est très jeune, elle va grandir, avoir des enfants. Je suis très intrigué de voir ou sera l’esport dans dix ou quinze ans, mais il ne faut pas qu’il aille plus vite que sa vitesse actuelle, et il va déjà très vite, car il pourrait se prendre un mur. Mais ce n’est pas parce que les joueurs sont moins payés ou que les clubs sont remplacés que les esportifs arrêteront d’être bons et que cette base qui regarde l’esport, qui va continuer de le faire, arrêtera de regarder.

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