La force : question de taille ou d’agilité ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Ursula von der Leyen Union européenne
Ursula von der Leyen Union européenne
©JOHN THYS / AFP

Union européenne

Suite au discours sur l'état de l'Union européenne d'Ursula von der Leyen, Bruno Alomar décrypte les enjeux de coopération au sein de l'UE et sur la question de l'unité entre les Etats membres.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Le discours sur l’état de l’Union européenne du 16 septembre a été une nouvelle fois l’occasion pour la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, de rappeler cette évidence, qui est au cœur du projet européen : face aux grands défis climatiques, économiques, géopolitiques, l’union fait la force. 

Disons-le tout net : il est clair, pour reprendre l’expression anglo-saxonne bien connue, que « size matters » (« la taille, ça compte »). Après tout l’un des atouts dont dispose l’Union européenne est bien la profondeur de son marché intérieur d’environ 450 millions d’habitants, auquel les pays qui souhaitent exporter doivent s’adapter, en particulier en termes de normes de production. 

Pourtant, il faut questionner l’évidence qui veut que l’union fasse la force, dont l’on trouve les premières traces dans la fable d’Esope Les enfants désunis du laboureur, et qui est la devise de la Belgique… Car au fond, derrière l’apostrophe wagnerienne du « toujours plus gros », la réalité est bien plus nuancée, que cela soit au niveau macroéconomique ou au niveau microéconomique. 

Au niveau macroéconomique que n’a-t-on entendu dire – et que n’entend-on pas encore répéter – sur les mérites de la taille. C’est bien l’effet supposé implacable de la taille qui a justifié la création par Jim O’Neill il y a environ vingt ans de l’acronyme BRICS (Brazil, Russia, India, China, South Africa), pour désigner ces pays dont la puissance économique découlant mécaniquement de l’effet de taille bouleverserait le monde. Pourtant, si l’on s’attache au critère essentiel de la puissance économique qu’est la capacité d’innovation, le tableau change radicalement. Considérons par exemple la Suisse : avec moins de dix millions d ‘habitants, ce pays est depuis dix ans, sans aucune interruption, classé par le Global Innovation Index (document de référence internationale produit par l’Université Cornell, l’Insead et l’Organisation Mondiale de la propriété intellectuelle), comme le pays le plus innovant en matière économique au monde. Considérons Singapour. État insulaire de moins de 1 000 kilomètres carrés, il est devenu, en PIB par habitant, sans bénéficier d’aucune manne, l’un des cinq pays les plus riches du monde. Il le doit d’abord à un consensus économique et social, et à des performances éducatives hors du commun. D’ailleurs, le Royaume-Uni, qui étrangement a tourné le dos à l’effet de taille en quittant l’UE, semble vouloir s’en inspirer… On pourrait continuer. La réalité est qu’au plan macroéconomique, ainsi que l’a d’ailleurs finalement reconnu Jim O’Neill, la taille est un critère important mais non déterminant de la réussite.

Au niveau microéconomique, là encore, le « big is beautiful » revient comme une rengaine, sous des terminologies plus subtiles telles que « taille critique », « champion national » etc. C’est ainsi l’un des arguments essentiels des projets de rapprochement de haut de bilan, dont l’actualité nous offre un exemple avec le projet de rachat de Suez par Véolia. Il s’agirait, comme toujours en matière de fusions, de créer une entreprise géante, capable de damner le pion à tous ses concurrents à l’international, et de faire marcher à plein les fameuses synergies entre les deux entreprises. Une telle argumentation a de quoi surprendre. Pas seulement parce qu’il est bien établi désormais que les fusions détruisent de la valeur (et de l’emploi), quand elles concernent des entités aux cultures trempées au feu de très longues rivalités. Plus encore parce qu’elle postule qu’une seule grande entreprise serait par nature mieux armée face à la compétition mondiale. Comme si, pour conquérir le monde des voitures haut de gamme, Mercedes et BMW avaient eu préalablement besoin de fusionner. Un tel argument passe sous silence, au cas d’espèce, le fait que les entreprises concernées sont d’ores et déjà les deux leaders mondiaux. Surtout, elle néglige complètement le rôle essentiel de la concurrence entre acteurs, aiguillon essentiel de l’amélioration de la qualité de leur offre de produits et services. C’est bien parce qu’elles se font concurrence depuis des décennies que ces entreprise s’auto contraignent à améliorer leur offre, au plus grand bénéfice de leurs clients, en faisant d’ailleurs des choix stratégiques distincts. A cet égard, sans qu’il faille en tirer à ce stade de conclusion, Suez a adopté une stratégie différente de Véolia au cours des années récentes, se focalisant précisément moins sur la taille que sur les créneaux qu’elle juge essentiel dans chacun de ses métiers, et investissant massivement en R&D.

C’est dire, en définitive, qu’il faut considérer avec moins de complaisance l’évidence selon laquelle la taille fait la toujours la force. Plus souvent, l’agilité, la flexibilité, des choix stratégiques clairs et assumés sont des éléments de succès décisifs qui l’emportent sur la taille.

Bruno Alomar, économiste, auteur de La réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed. Ecole de guerre 2018)

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