Brexit : ces 50 milliards de frais de divorce que Boris Johnson est tenté de ne pas payer à l’UE<!-- --> | Atlantico.fr
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Boris Johnson Royaume-Uni
©Ben STANSALL / AFP

Négociations

No Deal, pas de paiement des 50 milliards des frais du divorce du Royaume-Uni avec l’Union européenne pour financer les programmes engagés et la quote-part des retraites des fonctionnaires européens : nous devons intégrer cette évolution, comme la plus probable.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Quelle surprise ! Et pourtant nous pensions être mithridatisés, depuis les cinq années que dure cette saga du Brexit. Nous pensions savoir que les problèmes importants étaient la pêche, du côté poissonneux anglais, ou bien le « passeport financier » pour que les banques de la City puissent travailler sur le Continent, à moins que ce ne soit la liberté de mouvement des personnes au sein de l'Europe. Nous pensions surtout que l'accord qui avait été négocié par Boris Johnson, et donc signé par lui puis approuvé par le Parlement britannique, serait la bonne façon d'envisager la suite des opérations. Selon Boris Johnson lui-même, qui voulait une négociation close le 15 octobre, il suffisait d'une dizaine de minutes, de quelques jours au plus, pour mettre les derniers points sur les derniers i.

Mais voilà que Boris Johnson découvre que, dans le texte qu'il a lui-même signé, se trouve une anomalie, une contradiction, qui met en péril l'indépendance du Royaume-Uni à partir de l'Irlande du Nord. Si tout le monde est bien d'accord sur le fait qu'il ne faudrait pas de frontière en dur entre les deux Irlande (un succès fondamental des négociateurs britanniques), donc qu'il faudra trouver des façons de fonctionner reposant sur la confiance envers les Anglais, Boris Johnson remarque que l'accord qu'il a signé limite les possibilités du Royaume-Uni d’accorder des subventions aux entreprises irlandaises et aussi d’accéder librement à des produits. Il en vient alors à proposer une loi répudiant l'accord (withdrawal agreement) sur ces points. Il  prétexte que l'Union Européenne pourrait, à partir de ce texte, décider un blocage alimentaire de l'Irlande du Nord ! Evidemment, un blocage alimentaire est un acte de guerre : c'est donc l'idée que l'Union Européenne pourrait déclarer la guerre à l'Irlande, donc au Royaume-Uni. Pour éviter un tel risque, Boris Johnson plaide qu'il est obligé de revoir le traité, donc de ne pas respecter le droit international. Il lui faut, selon ses termes, une « assurance », qu’il espère, bien sûr, ne pas avoir à utiliser !

Mais l'opposition de Boris Johnson contre ce texte, avec son danger de guerre, concerne un autre point, sans doute plus important (et moins irréaliste) qui ne dit pas son nom.  Il s’agit de la possibilité, par le Royaume-Uni, d'accorder des subventions à des entreprises installées en Irlande. Pour pouvoir le faire, il faudrait envoyer un document à Bruxelles. Pour Boris Johnson, c’est une limitation de la souveraineté britannique. Mais, côté européen, ce type d'intervention dans une entreprise en Irlande du Nord, sachant qu’il n’y aura pas de frontière avec l’Irlande voisine, est obligatoire pour ne pas être en contradiction avec les règles concurrentielles prévues entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. En réalité, on peut penser que Boris Johnson souhaite avoir les mains libres pour soutenir des entreprises en Irlande du Nord, pour produire, importer, terminer des produits qui seraient ensuite, pourquoi pas, acheminés dans l'Union Européenne. On voit là le risque d'affaiblissement du marché européen à partir de l'importation de produits qui n'obéiraient pas aux normes sanitaires, sociales, techniques… qui sont nécessaires pour circuler dans le Grand marché – et qui le constituent.

Tout est donc possible : que Boris Johnson aille au no deal en se mettant dans une position de victime, de défenseur du peuple… ce qui lui permettrait ensuite d'oublier de payer les 50 milliards du prix du divorce avec l'Union Européenne, prix qu’il s'était engagé à régler. Il est également possible que cette manœuvre soit une façon de pousser à plus d'abandons de la part de l'Union Européenne, quitte à ce que Michel Barnier démissionne (ce qui ne serait pas mal vu du côté britannique) !  Cette nouveauté britannique pourrait être aussi une façon de se trouver des alliés dans le cadre de l'Union, où l’unanimité est requise pour le document final. Boris Johnson visant le no deal sans payer les frais du divorce se trouverait plus libre pour négocier avec les États-Unis, le Canada, les pays du Commonwealth…

Ce jeu est dangereux à trois semaines de la clôture normale des discussions, sachant que le texte devra être ensuite ratifié par le Parlement Européen, puis par tous les parlements nationaux plus les provinces dans certains pays : au total une centaine de votes, outre la mise en compte de la « parole britannique ». On peut toujours dire que Boris Johnson revient sur son engagement, en découvrant une anomalie dans le texte qu'il a signé, sachant que depuis des mois la presse britannique avait soulevé ce problème.  

On comprend que Boris Johnson voudrait que l'Union Européenne assouplisse encore sa position. Ceci aiderait l’économie britannique, aujourd’hui en difficultés plus sérieuses que l’Allemagne et la France, comme le montrent les données économiques et la bourse (-23% depuis janvier), et surtout pour le futur. On ne peut oublier les risques de cette « opération Brexit » : est-ce que Boris Johnson veut faire du Royaume Uni une gigantesque plateforme d'achat-vente de biens, sachant que la City serait la plateforme des services ? C'est peut-être son souhait : sera-t-il violent, voire destructeur pour l’Union Européenne ? Aura-t-elle le courage de le bloquer et, pourquoi pas, l’habileté d’en profiter, ce dont on ne dit pas un mot ? Réponse dans trois semaines.

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