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COVID-19 : y-a-t-il encore un pilote dans l’avion gouvernemental ?
©Thomas COEX / AFP

L'âne de Buridan

La conférence du Premier ministre hier n'a rien appris ou presque sur l'état sanitaire du pays.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : La conférence du Premier ministre hier n'a rien appris ou presque sur l'état sanitaire du pays. Et pas un mot sur les avancées scientifiques. Le raz le bol de certains Français peut-il se comprendre d'un point de vue médical ?

Stéphane Gayet : Les experts conseillent, tandis que les responsables politiques décident. C’est particulièrement vrai actuellement. Le pouvoir exécutif avec à sa tête le Premier ministre, pilote directement la lutte contre l’épidémie de CoVid-19 en France. Le Président l’avait bien précisé : le Conseil scientifique, c’est une chose ; mais c’est nous qui prenons les décisions. Ce Conseil scientifique est actuellement une sorte de boîte à informations et à idées, dans laquelle le gouvernement prend ce qui lui semble bien et qui lui convient.

Concernant les avancées scientifiques sur le virus SARS-CoV-2 et la maladie CoVid-19, en effet le Premier ministre n’en a pas parlé, car ce n’est pas son rôle. C’est précisément celui du Conseil scientifique qui est censé se tenir à jour des derniers résultats d’études et de l’avancée des travaux en cours, afin d’adapter ses avis et ses conseils aux dernières données. Mais c’est actuellement bien difficile en France : trop d’approximations et même de contrevérités ont été prononcées, trop de pirouettes ont été faites, pour que le discours officiel puisse retrouver un sérieux crédible. Le peuple n’attend plus beaucoup d’explications scientifiques de la part des autorités, il est suspendu à leurs décisions qu’il appréhende et subit, et n’est plus vraiment dupe des explications qui les accompagnent.

Sur le plan de la lisibilité de l’épidémie et des mesures de lutte, la confusion qui a régné lors de l’affaire du sang contaminé, de celle de l’hormone de croissance, de la Clinique du sport, du Mediator… n’est rien à côté de celle qui règne au sujet de la CoVid-19. La compétition des laboratoires, les conflits, les contrevérités, les dissimulations… font en effet que la population est à la fois saturée et désabusée. Une chose est à peu près sûre, c’est qu’un éventuel vaccin serait accueilli avec la plus méfiance et même une fréquente défiance, dans ce contexte de flou scientifique et de brouillard informationnel.

Il devient honnêtement difficile de s’y retrouver dans ce magma épidémique, y compris pour certains professionnels de santé qui n’ont pas la possibilité de démêler les informations fusant de toutes parts.

De ce fait, il existe fatalement une saturation, mais aussi un agacement et même une exaspération d’un grand nombre de Français vis-à-vis des informations officielles et des décisions qui leur sont imposées. Cela est tout à fait compréhensible et je ne vois pas bien comment il pourrait en être autrement. Il est grand temps de tourner la page de la CoVid-19 et de passer à autre chose, et pas forcément les futures élections qui offrent souvent le spectacle d’une foire d’empoigne dont on se passerait bien et qui commence à être usant.

Sur le plan médical, pour en ajouter encore à la confusion, les virus respiratoires d’automne commencent à se répandre, donnant des rhinites et des rhinopharyngites contribuant à inquiéter les gens et à pousser à faire des tests CoVid inutiles. Il faut préciser que la CoVid-19 donne très peu de rhinite ou de conjonctivite : une rhinorrhée (écoulement nasal) associée à un peu de fièvre et une fatigue n’évoque pas particulièrement une CoVid-19.

Atlantico.fr : Quel diagnostic peut-on faire de la situation de la contamination et de l’action des pouvois publics à la date des nouvelles annonces du gouvernemement ?

Charles Reviens : Sur le plan sanitaire, il faut partir de la situation à date et le faire en comparant la situation française avec celle de ses trois grands voisins européens.

En matière de nouveaux cas détectés, il y a effectivement un écart défavorable important et croissant entre la situation française et celle de ses voisins : 9 843 nouveaux cas hier 11 septembre 2020, soit 150 nouveaux cas par million d’habitants contre 40 en Grande-Bretagne et autour de 20 en Allemagne et en Italie.

Cela ne se traduit toutefois pas dans le domaine des décès liés au virus, où les écarts entre les quatre pays sont beaucoup plus limités, avec toutefois un nombre de décès très faible en Allemagne (1 décès déclaré en Allemagne hier, contre 19 en France, 10 en Italie et 14 en Grande-Bretagne).

En revanche la France retrouve depuis le 8 septembre un niveau d’entrée en hospitalisation que le pays n’avait pas connu depuis le 19 mai (490 entrées). Le pays n’est absolument pas dans la situation du printemps avec beaucoup moins de cas graves, mais avec une circulation importante du virus qui finira par concerner des personnes à risques et créer une situation sanitaire sérieuse.

Concernant l’action des pouvoirs publics depuis le 11 mai, date de fin du confinement, on peut considérer que les objectifs souhaitables sont de deux ordres : le champ sanitaire (minimiser le nombre de personnes affectées par le virus, soit avec les décès à court terme mais également du fait des conséquences de moyens terme sur la santé des personnes notamment celles à risques de complications), et le champ économique et social (veiller à favoriser la sortie de la situation économique inédite induite par le confinement général pendant deux mois et la dégradation parallèle de la situation économique des pays partenaires).

Un lien fort relie le champ sanitaire et le champ économique et social. D’une part l’efficacité du dispositif sanitaire facilite fortement le retour au fonctionnement normal de la société (Corée du Sud, Allemagne). D’autre part un arbitrage est à faire entre risque sanitaire et risque de destruction économique : c’est le choix original longtemps critiqué de la Suède qui n’a eu recours ni au confinement général ni à l’obligation de port du masque, avec des chiffres sanitaires mauvais au printemps mais qui sont désormais beaucoup plus favorables que ceux de la France. La récession économique de la Suède est anticipée à 4,6 % contre 8 % en moyenne dans l’Union européenne.

Par ailleurs on peut constater que la France ne semble toujours pas avoir réglé l’ensemble de ses enjeux opérationnels dans le champ sanitaire. Le sujet n’est plus celui des masques qui fait l’objet de dures critiques au printemps, mais la stratégie de dépistage qui apparait largement quantitative (un million de test par semaine) mais semble buter sur les enjeux de délais -délais de rendez-vous pour les tests et délais de communication des résultats-, ce qui a pour conséquence de laisser durablement dans la nature des personnes fortement contaminantes pour les autres : le risque est de passer à côté de la plus grande partie de la période infectieuse rendant très difficile voire impossible toute stratégie de traçage. Au final le nombre de tests importe beaucoup moins que leur ciblage sur les populations à risque et la célérité avec laquelle il est possible de prendre les mesures sanitaires concernant les personnes contaminées et leur entourage.

Atlantico.fr : Pas un mot non plus lors de la conférence sur les vaccins. Cette prudence politique n'indique-t-elle pas que le virus demeure actuellement partiellement inconnu des chercheurs ?

Stéphane Gayet : Du côté de la recherche vaccinale, la compétition est ardente et âpre, eu égard aux bénéfices monstrueux escomptés. L’annonce russe a surpris beaucoup de monde, dans le domaine de la santé comme ailleurs, et le scepticisme est répandu ; mais les scientifiques russes persistent et on a même commencé à vacciner avec parcimonie, alors que l’essai thérapeutique de phase 3 (dernière phase avant la commercialisation) n’est pas encore très avancé.

En France, on n’est pas très à l’aise pour parler de la recherche vaccinale : l’Institut Pasteur, figure emblématique dans ce domaine, mène un projet en collaboration, mais qui n’en est qu’à la phase 1 (c’est la première phase chez l’homme, qui succède aux essais chez l’animal encore appelés phase 0). Il ne s’agit surtout pas de critiquer l’Institut Pasteur qui est très attaché à la rigueur scientifique et méthodologique ; notre réglementation particulièrement contraignante – c’est pour une sécurité thérapeutique maximale – ne nous permet pas d’aller aussi vite que les Russes, voilà la vérité ; dans les pays totalitaires ou à tendance totalitaire, l’individu ne compte pas ou presque pas : pour montrer l’exemple et donner confiance, on a imposé l’injection du nouveau vaccin à de hauts responsables ; s’ils en deviennent malades et même sévèrement, ils seront simplement remplacés et la vie continuera. La France ne peut pas se comparer à la Russie, c’est un tout autre monde.

Certes, le virus SARS-CoV-2 est encore bien mal connu des virologistes et des chercheurs dans ce domaine. La confusion qui règne à propos de sa persistance dans l’environnement, des « aérosols », des co-infections, de la dose minimale infectante (DMI), des degrés de contagiosité (absente, très faible, faible, moyenne et élevée), de l’immunité humorale et cellulaire et de sa durée, des niveaux de réceptivité au virus en fonction de l’âge, des antiviraux et d’autres points encore, révèle tous les progrès qui restent à accomplir en termes de connaissance virologique, infectiologique et épidémiologique.

Il est frappant de constater à quel point le mercantilisme dicte toutes les actions y compris les travaux de recherche. Il est évident que la recherche a besoin d’un retour sur investissement pour pouvoir continuer ; mais aujourd’hui, tout semble – dans le domaine de la santé particulièrement – focalisé sur la perspective de profit ; ce qui explique la quasi-absence de recherches dans les domaines virologiques, infectiologiques et épidémiologiques qui ne laissent pas entrevoir d’intéressants profits.

En effet, ce virus SARS-CoV-2 a encore beaucoup de choses à nous apprendre et la CoVid-19 n’est pas terminée.

Atlantico.fr : Un discours attendu et plusieurs fois reporté. Dans les rédactions depuis 10 heures vendredi les spéculations ont vite laissées place à la certitude confirmée en fin d'après midi : le gouvernement a posé un lapin à un rendez-vous qu'il avait lui-même fixé aux français. Rien que nous ne sachions et surtout pas la moindre mesure économique relative aux mesures actuelles et renforcées de distanciation. Comment interprétez-vous ce "non message"?

Charles Reviens : Que penser dans ce contexte des annonces faite par le Premier ministre vendredi 11 septembre ? Par nature ces annonces combinent des décisions opérationnelles et une posture de communication ayant vocation à impacter les comportements de la population et les perceptions de l’opinion publique. Par définition Il faut toujours mieux qu’il y ait une bonne cohérence être l’opérationnel et la communication.

Les décisions opérationnelles annoncées sont au final plutôt modestes au regard du teasing qui a précédé les annonces et notamment les fameuses « décisions difficiles » de facto annoncées par le conseil scientifique mercredi 9 septembre : circuit prioritaire et allocation de moyens supplémentaires pour le dépistage, réduction de la durée de quarantaine, rappel du système de scoring de risque des départements, rappel de la capacité des autorités préfectorale ou municipales de mettre en œuvre des mesures renforcées dans les territoires à risque.

Sur le plan de la communication, il y a d’abord un effet « tout çà pour çà » lié à l’écart entre le teasing et les annonces réelles.

Il semble toujours difficile aux pouvoirs publics de se départir d’une posture quelque peu infantilisante et culpabilisante vis-à-vis du grand public. La posture d’autorité – de fait changeante – est souvent préférée à une approche pédagogique démontrant de façon lisible et compréhensible les raisons qui amènent les pouvoirs publics à choisir certaines actions plutôt que d’autres (obligation du masque, réduction de durée de quarantaine, nécessite de réduire les durées de dépistage…). Il est pourtant probable qu’une approche pédagogique renforcerait la crédibilité des pouvoirs publics et donc leur capacité à voir mettre en œuvre leur recommandations par toutes et tous.

Il faut donc combiner efficience opérationnelle, lisibilité et crédibilité de la communication dans un moment où il faut de toute façon vivre avec le virus et les risques qui l’accompagnent.

Atlantico.fr : Avec des mesures certes renforcées, mais finalement assez peu précises (d'un point de vue géographique tout du moins), ne faut-il pas s'attendre à voir s'installer une sorte de statu quo où comme dans certains pays d'Extrême-Orient, le port du masque devient un réflexe à l'extérieur ? Nos sociétés occidentales en seraient culturellement transformées ?

Stéphane Gayet : On a l’impression que les obligations de port de masque sont devenues une variable d’ajustement de la lutte anti-CoVid-19. On peut comparer l’obligation de port de masque à la limitation de vitesse sur la voie publique : plus on durcit les limitations de vitesse et moins il y a de morts.

Si l’on imposait une limite de vitesse de 40 km à l’heure dans toutes les villes et de 80 km à l’heure sur toutes les routes, on pourrait espérer réduire d’une façon très importante le nombre de morts par accident de la voie publique. Ce raisonnement mathématique transposé à la CoVid-19 pourrait donner la situation suivante : masque pour tous, partout et à tout moment. On pourrait concevoir le slogan suivant : « Pour vivre en pleine sécurité virale, vivons masqués. »

Ce sont là des raisonnements d’ingénieur ou d’énarque. On a connu cela en matière de « sécurité routière » et c’est ce qui se profile en matière de « sécurité virale ».

Dans la déclaration du Premier ministre, il est précisé que les préfets seront chargés – dans les zones géographiques les plus touchées par la circulation du virus – d’édicter des mesures réglementaires pour adapter les obligations locales aux nécessités épidémiologiques locales. Ce qui signifie qu’à Bordeaux, Marseille et en Guadeloupe on peut s’attendre à des arrêtés préfectoraux très contraignants : sale temps pour les gilets jaunes ; il leur reste encore Paris, mais pour combien de temps ?

Une vie masquée me semble intenable dans la durée et c’est un avis très partagé : il est inconcevable de prolonger pendant des mois et des mois cette exigence. Ne plus voir la bouche, le sourire ou la moue, la mimique d’une façon générale et mal comprendre les gens – pour une double raison : lèvres cachées et voix feutrée – est une situation de régression sur le plan de la communication tant non verbale que verbale, sans parler d’une éventuelle gêne respiratoire. Un professeur avec un masque, un conférencier ou un orateur avec un masque, sont de mon point de vue des situations aberrantes et déplorables. Certes, il existe maintenant des masques transparents qui laissent voir la bouche et une partie des joues, mais ils coûtent 10 euros la pièce – ce sont des masques à usages multiples – et leur pouvoir filtrant n’est pas suffisamment connu.

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