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Cette autre France qu’entend incarner Xavier Bertrand pour ne pas se laisser asphyxier par Emmanuel Macron
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La voie du nord

Xavier Bertrand s'en tient à un axe fort afin de tenter de résister à Emmanuel Macron et à Jean Castex qui, par leur positionnement politique, l’asphyxient plus qu’Edouard Philippe.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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ATLANTICO :  Quelle est la stratégie que Xavier Bertrand met en œuvre afin de tenter de résister à Emmanuel Macron et à Jean Castex qui, par leur positionnement politique, l’asphyxient plus qu’Edouard Philippe ? Quelles solutions s’offrent à Xavier Bertrand pour tenter d’exister politiquement ?

Jean PETAUX : Xavier Bertrand, mais pas seulement lui au sein de la droite, parmi Les Républicains ou à proximité, est confronté à une obligation et à une contradiction. L’obligation est celle consistant à ne pas disparaitre des écrans radars qui couvrent la scène politique nationale, avant que le calendrier ne s’accélère en décembre 2021 et janvier 2022. La contradiction peut être ainsi résumée : « Comment faire entendre une musique qui plairait auxoreilles de l’électorat de la droite et du centre mais qui serait suffisamment originale pour ne pas apparaître comme un « ersatz » de macronisme, une « pâle copie » du gaullisme social désormais revendiqué par le premier ministre Jean Castex ou encore un vulgaire plagiat d’un modèle social-libéral ? ».  Xavier Bertrand n’est pas le seul dans les rangs de la droite à être confronté à cette situation : François Baroin n’est pas loin d’être dans le même cas, Valérie Pécresse aussi et, dans un registre un peu plus lointain mais proche par l’ambition, Gérard Larcher également. Cela fait pas mal de personnalités en quête, non pas d’auteur pour paraphraser Pirandello, mais au moins en recherche de positionnement politique. A ceci près par rapport aux autres que Xavier Bertrand est désormais totalement affranchi de la « marque » LR et que cette absence d’étiquetage lui ouvre plus d’espace de jeu.

Depuis janvier 2016 Xavier Bertrand s’en tient à un axe fort pour exister politiquement, sur la scène nationale : il se présente comme le « président de la République de Hauts-de-France » et multiplie les initiatives dans sa région d’élection comme autant d’expérimentations transposables à l’ensemble du pays, si « Dieu le veut » à la manière de Georges Pompidou, évoquant en février 1969 la question tabou de l’après-de Gaulle. Cette stratégie n’est pas du tout stupide, elle contribue à le maintenir actif sur la scène nationale tout en accréditant l’idée que l’homme est ancré dans une réalité territoriale, qu’il y agit avec volonté et détermination et qu’il est une sorte de dernier rempart contre le Rassemblement national dans cette partie du pays.

ATLANTICO :  Xavier Bertrand adopte-t-il une bonne stratégie en termes de communication politique à travers cet entretien ? Quels sont les principaux enseignements de cette interview ?

Jean PETAUX : L’élément le plus marquant dans l’entretien que Xavier Bertrand a accordé au JDD est la vigueur du ton à l’égard d’Emmanuel Macron. Ce dernier est successivement et alternativement « taxé » de grandiloquent qui « emploie des grands mots » dont les Français sont las ; de procrastination et de temporisation alors que la « maison France » brûle déjà des flammes du chômage chronique qui va provoquer plus de 800.000 demandeurs d’emploi en plus en septembre 2020 et  last but not least  de totale irresponsabilité dans la mesure où sa théorie du ruissellement qui ne marche déjà par temps calme, est totalement inopérante voire dangereuse, en face d’un tsunami. Ce sont-là les termes employés par Xavier Bertrand. On constate nettement que le président de la région Hauts-de-France ne trouve aucune vertu à l’action engagée depuis plusieurs mois par Emmanuel Macron et ne s’attend, de la part de ce dernier, à aucune annonce positive lors de son intervention prévue le 14 juillet. En d’autres termes : Bertrand pose un certain nombre d’ultimatums à Macron, le met au défi de reprendre certaines de ses propositions et traite ainsi d’égal à égal avec le locataire de l’Elysée. Il est clair qu’il s’agit tout autant ici d’une stratégie de positionnement face à ses concurrents, à droite et au centre droit, avec la mention rappelée à la toute fin de l’entretien : « C’est un gaulliste social qui vous le dit ». En ayant juste indiqué  qu’il n’a pas l’intention de laisser à la « gauche la plus radicale le monopole de la lutte contre les inégalités ».

Xavier Bertrand en fait « tire le premier » pour les présidentielles de 2022. Il entend ne pas se laisser « bordurer » par un président qui essaie de venir, encore plus qu’avec Edouard Philippe à Matignon, chasser sur les terres du « gaullisme progressiste », celui de la participation et de la régionalisation que revendique justement l’ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand, Jean Castex, nouveau premier ministre, auquel le président des Hauts-de-France, ancien patron donc de l’hôte de Matignon, rend un hommage d’autant plus appuyé dans l’entretien accordé au JDD qu’il est sévère et très critique envers celui de l’ Elysée.  

ATLANTICO : Les solutions proposées par Xavier Bertrand vont-elles lui permettre de se positionner idéalement afin de relever les défis de la crise du Covid-19 à la rentrée prochaine et pour les futures échéances politiques ?  

Jean PETAUX : Xavier Bertrand joue, en quelque sorte, sur « du velours ». Les conseilleurs en politique ne sont jamais les payeurs. Ce n’est pas lui qui est en charge de affaires de l’Etat. Il peut donc proposer n’importe quoi, il n’en est ni comptable ni responsable. Si le président Macron reprend ses propositions, et que celles-ci produisent des effets positifs il pourra en revendiquer la « paternité » et expliquer aux Français qu’il avait eu raison avant tout le monde. Si l’exécutif reprend ses idées (baisse de la TVA dans la restauration et dans le BTP pour être au taux de 5,5%) et que celles-ci ne fonctionnent pas, il pourra toujours dire qu’elles auront été mal mises en pratique ou trop tardivement appliquées ou mal comprises parce que mal expliquées… Si le gouvernement ne retient aucune des propositions de Xavier Bertrand et que la situation s’améliore, il se sera écoulé suffisamment d’eau sous les ponts de Lille ou d’Amiens pour que les Français retiennent que le président des Hauts-de-France avait hurlé au loup pour rien et joué les Cassandres uniquement pour « faire son intéressant » afin d’exister politiquement, au début de l’été 2020, à 20 mois de la campagne présidentielle de 2022. Si Xavier Bertrand est totalement ignoré par l’exécutif et que tout se dégrade, il pourra évidemment se présenter comme le « sauveur laissé de côté » pour de sombres raisons politiciennes alors qu’il avait tout prédit. Il y gagnera en crédibilité, en capacités prophétiques et en reconnaissance de son attention à l’égard des plus fragiles. Ce sera alors tout bénéfice pour lui.

Quoi qu’il en soit, finalement l’opposition a ceci de bon, et cela de manière invariante, intemporelle et incontestable : « Critiquer encore et toujours : ça ne coûte rien et ça peut rapporter gros ». 

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