Rester scotché jusqu’à tard le soir sur l’écran de son smartphone nuit plus à la santé mentale que ce vous imaginez sans doute<!-- --> | Atlantico.fr
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Téléphonie addictive

Nous sommes nombreux, à la moindre minute de libre, à faire défiler à toute vitesse les pages d'accueil de nos réseaux sociaux et on ne se rend pas compte de l'impact sur notre santé de cette action anodine.

Sylviane Barthe-Liberge

Sylviane Barthe-Liberge

Sylviane Barthe-Liberge est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle anime et publie sur son site personnel : www.consultations-psychologue.com.

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Atlantico.fr : Nous sommes nombreux, à la moindre minute de libre, à faire défiler à toute vitesse les pages d'accueil de nos réseaux sociaux. Comment les applications ont-elles réussi à nous rendre aussi addicts ?

Sylviane BARTHE LIBERGE : Tout d’abord, grâce à la révolution technologique de ces dix dernières années, les moyens de communication sont devenus accessibles à tous, avec une utilisation particulièrement simple.

Ensuite, les réseaux sociaux utilisent tous des notifications qui stimulent notre cerveau en permanence par un système de récompensent (les “like”, vues, commentaires, partages...). Le même système de récompense que l’on retrouve dans l’addiction (quelle qu’elle soit).

Des études ont montré que les utilisateurs des réseaux sociaux consultent en moyenne leur smartphone toutes les dix minutes, notamment sollicités par l’apparition des notifications qui les incitent à se connecter aux réseaux. Et souvent de manière machinale, inconsciemment.

Enfin, il est très facile de prendre une photo avec son téléphone et de la mettre immédiatement en ligne, ou de partager ses pensées, ses idées... dans l’attente de réactions - positives le plus souvent. Pourquoi ? Généralement, un besoin de reconnaissance, un sentiment d’existence et d’appartenance à un groupe. Peut-être aussi un désir, plus ou moins caché, d’accéder à la célébrité (comme les influenceurs).

Les réseaux sociaux ont ainsi réussi à toucher aux fêlures narcissiques et donnent l’illusion de les combler. Plus vous avez de réaction, plus vous en demandez.

Sylviane BARTHE LIBERGE : Cette addiction a été mise en évidence dans une étude américaine, dirigée par le psychologue Adam Alter (en 2017). Il demandait à des jeunes adolescents de faire un choix théorique entre voir leur smartphone se faire détruire ou se faire briser les os de la main. 46% ont répondu qu’ils préféraient se faire briser les os de la main plutôt que de voir leur téléphone réduit en miettes. Autrement dit, près de la moitié de ces adolescents seraient prêts à endurer des souffrances physiques, aux conséquences lourdes, afin de pouvoir rester connectés ! C’est totalement délirant mais explicable au regard de l’incertitude affective générée par ces réseaux sociaux : ces jeunes sont en permanence en attente de l’approbation “des autres”, sans jamais la moindre pause naturelle. Pour certains, ne pas exister sur les réseaux sociaux, c’est ne pas exister du tout.

Quels sont les risques d'une consommation abusive des réseaux ? Quelles conséquences sur notre santé mentale ?

Sylviane BARTHE LIBERGE : Quand la première chose que vous faites en vous réveillant le matin est de consulter les réseaux sociaux, même chose le soir, quand c’est la dernière chose que vous faites avant de vous endormir… vous pouvez vous poser des questions.

Quand vous demandez à votre enfant d’attendre sans lever le nez de votre téléphone parce que vous consultez vos réseaux…

Ou encore quand vous préférez la discussion avec vos “amis” sur vos réseaux plutôt de profiter de la soirée au restaurant avec votre moitié ou votre groupe d’amis…

On parle alors de “frénésie” de la consultation des réseaux sociaux, voire d’aliénation.

Autant de signes inquiétants car ils vous amènent à un repli sur vous, contrairement à ce que vous pourriez imaginer. Les réseaux, consommés avec excès, génèrent une déconnexion de la réalité. Le monde devient totalement virtuel et factice.

Il y a également une exposition de l’intime sur la sphère publique : nombreux sont les cas de harcèlement suite à un post malheureux, ou une photo détournée.

De nombreuses études de différents pays affirment que nous sommes plus engagés face à un système de récompenses variées que face à un système de récompense fixe. Comme si l’imprévisibilité captivait l’humain. Ainsi, les “like”, les nombres de commentaires, de vues, de partages... nous gardent rivés aux écrans afin d’évaluer notre approbation sociale (autrement dit, la récompense).

Or cette incertitude liée au processus d’approbation des réseaux sociaux nous ligote et suscite une certaine dépendance - comme le ferait une drogue.

Que dire alors du manque d’approbation sociale ? Il va créer de l’anxiété, une dévalorisation avec perte d’estime de soi et, à terme, aboutir à une dépression, en particulier chez les jeunes dont l’assise narcissique est fragile.

Ainsi, les réseaux sociaux apparaissent comme un facteur de risque suicidaire chez les 15 - 29 ans. Les recherches du Docteur M. Twenge (de l’université de San Diego) montrent une corrélation entre le temps passé sur les écrans et le risque dépressif. A vouloir donner la meilleure image de soi dans le virtuel, on finit par se dénigrer dans la réalité car il est impossible d’atteindre la perfection. Ce qui engendre un profond mal-être.

A noter que les filles semblent plus fragiles face à l’approbation sociale des réseaux sociaux (selon les études menées par The Lancet Child) avec un impact direct sur leur santé mentale. Notamment en ce qui concerne le harcèlement ou encore les troubles du comportement alimentaire (comme l’anorexie).

Par ailleurs, les chercheurs de l’université de Pittsburg ont mis en évidence une autre incidence des réseaux sociaux : cette fois, sur le sommeil. Selon leur étude, 31% des personnes utilisant les réseaux sociaux plus d’une heure par jour, souffriraient de troubles du sommeil : la lumière bleue, émise par les écrans, retarderait la sécrétion de mélatonine (l’hormone du sommeil). Notre cerveau recevrait ainsi des informations erronée lui faisant confondre le jour et la nuit.

Avec une situation si particulière depuis le début de l'année 2020, les informations anxiogènes sur les réseaux sociaux fusent : c'est l'overdose pour certains, aussi appelée "doomscrolling". Quels conseils donneriez-vous afin de ne pas tomber dans ce phénomène ?

Sylviane BARTHE LIBERGE : En moyenne, les jeunes passent neuf heures par jour sur leur téléphone, les adultes quatre heures. La majorité des gens ne font pas attention à la quantité de temps qu’ils passent sur les réseaux sociaux chaque jour. Nombreux sont ceux qui sous-estiment cette durée. Il est important d’en être plus conscient et de faire un meilleur suivi de notre consommation. Il existe des applications pour aider à évaluer cette utilisation.

Vous pouvez désactiver les notifications des réseaux sociaux. Ainsi, vous ne les consulter que lorsque vous en avez envie, ou vous imposer de ne les consulter que deux ou trois fois par jour. Même chose avec les mails.

La nuit, vous pouvez mettre votre téléphone en mode avion, ou l’éteindre et revenir au bon vieux réveil pour vous sortir du lit le matin.

Vous pouvez également utiliser une montre pour consulter l’heure… au lieu de l’horloge de votre téléphone.

Vous pouvez également supprimer toutes les pages ou groupes qui ne vous intéressent plus, vous désabonner des profils qui ne vous apportent pas de contenus utiles et pertinents, ou qui sont anxiogènes. Privilégiez les informations qui vous donnent le sourire et vous apportent de la joie et de la bonne humeur. Revisiter votre fil d’actualité dans ce sens (sans pour autant “supprimer” les personnes). Facebook a d’ailleurs développé une nouvelle fonction appelée “Prendre mes distances”.

Pensez aussi à faire des pauses des réseaux sociaux. Les écoles primaires invitent les élèvent à des semaines sans écrans. Vous pourriez faire de même. Un bon test pour évaluer votre degré de dépendance.

Prenez le temps de définir ce qui est le plus important dans votre vie, dans le réel. Et gardez du temps pour réaliser vos rêves.

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