Nord Stream 2 : le pipeline voulu par l’Allemagne qui met le feu aux relations entre les Etats-Unis et l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Nord Stream 2 en construction
Nord Stream 2 en construction
©STEFAN SAUER / DPA / AFP

De l'eau dans le gaz

Les États-Unis s'irritent de la construction du pipeline Nord Stream 2 entre le continent Européen et la Russie.

Lionel Taccoen

Lionel Taccoen

Directeur de la Lettre "Géopolitique de l'Electricité" et ancien Président du Comité Consultatif de l'Energie européen.

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Atlantico.fr : Les États-Unis s'irritent de la construction du pipeline Nord Stream 2 entre le continent Européen et la Russie. Quelles sont les raisons de cette colère ? 

Lionel Taccoen : Ce n’est pas une colère. Le comportement américain relève d’une stratégie rationnelle. Aujourd’hui la production mondiale de gaz est excédentaire et les prix se sont effondrés. Or la consommation en Asie plafonne, et par contre les besoins européens à moyen terme s’annoncent importants. La production du Vieux Continent, Norvège et Pays Bas va baisser. L’Union Européenne dispose d’infrastructures remarquables, terminaux portuaires de GNL, gazoducs, capacités de stockage, et les paiements sont assurés en devises fortes. Bref, aujourd’hui dans le monde, l’UE est le marché gazier à conquérir. Un point est certain : nous ne manquerons pas de gaz naturel, c’est le trop plein extérieur qui pose problème. Les Etats Unis veulent leur place et agissent à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire avec une grande détermination, qui se traduit aujourd’hui par une certaine brutalité. Le plus grand obstacle à l’arrivée du gaz de schiste américain en Europe est le gaz russe. Donc les Américains attaquent le gaz russe.

Que cherche l'Allemagne en voulant à tout prix se procurer du gaz russe ? 

Lionel Taccoen : Ici, tout s’abord, il s’agit d’une vraie colère. Les Allemands constatent une réalité : pour placer leur marchandise, les Américains s’ingèrent dans la politique d’un Etat souverain et allié. L’Allemagne ressent cela comme une humiliation, d’autant plus qu’il s’agit d’un projet, Nord Stream 2, décidé depuis plusieurs années et pratiquement terminé.  Les Etats Unis s’aperçoivent brusquement que Nord Stream 2 leur est intolérable, et sans considération pour les efforts et les dépenses consentis, ils ordonnent de tout stopper, avec la menace de sanctions du même type que celles infligées à l’Iran…Certes limitées aux entreprises impliquées, mais pour celles-ci gels des avoirs et révocation des visas américains ce qui a provoqué l’interruption immédiate des travaux . Aujourd’hui menaces d’extension aux compagnies d’assurances des dites compagnies, aux ports accueillant les navires posant les tubes…etc…Bref, le grand jeu.

Ceci étant posé, les Allemands ont vraiment besoin de gaz. La transition énergétique, qui sert de modèle à l’Union Européenne ne se passe pas bien. Les résultats de l’efficacité énergétique se font attendre. Les renouvelables ont pénétré le secteur électrique, mais celui-ci moins développé qu’en France, ne concerne que moins de 20% de la consommation totale d’énergie. Comme dit l’Agence Internationale de l’Energie, « au-delà de l’électricité » les émissions de gaz à effet de serre stagnent ou augmentent. De plus, une part non négligeable des renouvelables n’a servi, dans le secteur électrique qu’à remplacer le nucléaire sans gain pour le climat, l’atome n’émettant pas plus de gaz carbonique que le solaire et l’éolien. 

Le citoyen allemand est très attaché à la défense du climat, et les dirigeants Outre Rhin doivent mettre en œuvre une politique convaincante dans ce domaine, sous peine de disparition électorale. Compte tenu des résultats médiocres, voire inexistants actuels, il leur est nécessaire de rectifier le tir. En effet, les émanations allemandes de gaz à effet de serre n’ont pas baissé entre 2015 et 2018, et la baisse en 2019 est due, suivant l’inspirateur de la transition énergétique allemande lui-même, le think tank Agora Energiwende à un hiver doux et à une baisse conjoncturelle de l’activité industrielle. Le Gouvernement allemand va donc intensifier l’usage du gaz naturel, remplaçant autant que cela se peut charbon et pétrole. Ce combustible émet 40% de gaz carbonique en moins que le charbon et 20% de moins que le pétrole. Certes, extraction et transport causent des fuites mal connues de méthane, puissant gaz à effet de serre, mais néanmoins, l’usage du gaz naturel est admis par un certain nombre de défenseurs de l’environnement comme acceptable durant une période transitoire. De plus, il permet une production d’hydrogène bien moins chère que par électrolyse. La puissante industrie chimique allemande, dont BASF, pousse les feux pour contrôler les importantes émanations de CO2 produites lors du processus de production. Si cela aboutit, l’industrie allemande de l’automobile produira des voitures électriques sans batteries, avec piles à combustible à hydrogène donc sans problèmes de rechargement et de distances parcourues…Elle aura l’avenir devant elle. La Stratégie Nationale pour l’Hydrogène allemande dispose dès le départ de près de dix milliards d’euros.

L’Allemagne a privilégié le gaz russe car il est bon marché. Les infrastructures (gazoducs) sont moins lourdes que le transport maritime. La Russie, via Gazprom met un point d’honneur à respecter ses engagements de livraisons…car ses besoins financiers sont impératifs. En 2005, commencèrent les travaux d’un gazoduc géant, nommé aujourd’hui Nord Stream, amenant directement le gaz russe en Allemagne via le fond de la Mer Baltique, donc en évitant le passage par l’Ukraine, la Pologne et autres pays aux relations délicates avec la Russie. L’ancien chancelier allemand Schroeder a accepté, sur proposition russe, la présidence du Conseil de Surveillance de Nord Stream. Il fut mis en service en 2012. En 2015, l’Allemagne et la Russie décidèrent de le doubler, ce fut le projet Nord Stream 2. Il a comme partenaires des entreprises allemandes, comme BASF (via Wintershall) et européennes comme Engie, le principal électricien belge. Un certain nombre de pays ont une politique énergie-climat copiée sur l’Allemagne et subissant les mêmes déboires, doivent aussi augmenter l’utilisation du gaz. Ainsi la Belgique  décidé de renoncer au nucléaire alors qu’aujourd’hui l’atome produit la moitié de son électricité. Incapable de le remplacer par les renouvelables le pays a décidé la construction d’un important parc de centrales à gaz dont l’usage est présenté comme transitoire.

Comment agissent les États-Unis pour empêcher la construction de pipeline ? 

Lionel Taccoen : Les réactions immédiates ont été décrites dans la réponse à la question 1. Mais ces réactions doivent être inscrites dans une stratégie bien plus large. Il s’agit, en cassant un projet emblématique d’interrompre un processus de collaboration dans le domaine gazier entre l’Allemagne et l’Union Européenne d’une part et la Russie d’autre part.

Un groupe de sénateurs républicains et démocrates prépare un projet de loi intitulé « Protecting Europe’s Energy Security Clarification Act » qui se propose comme son nom l’indique d’imposer à l’Union Européenne un certain nombre de dispositions dont les intérêts américains ne sont pas exclus, comme ceux liés aux ventes de gaz  de schiste d’Outre Atlantique. Avec à la clef des sanctions type Iran. On notera que la non réélection de Trump ne changerait pas le problème. Les Etats Unis sont soutenus dans l’affaire Nord Stream 2 par la Pologne qui a accueilli en 2019, une première cargaison de gaz US.

Voilà où nous mènent des politiques de l’énergie-climat irréelles et la balkanisation politique européenne…car l’Allemagne a mené aussi sa politique gazière sans concertation. Pire, elle a torpillé en 2014, un gazoduc type Nord Stream, nommé South Stream qui devait alimenter l’Italie, dont le gouvernement savoure discrètement aujourd’hui les déboires allemands !

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