Des chercheurs identifient en Chine un nouveau virus de la grippe ayant le potentiel de déclencher une pandémie (mais quels sont les risques d’en subir deux coup sur coup…?)<!-- --> | Atlantico.fr
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élevage porcs
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©Sebastien St-Jean / AFP

Alerte sanitaire

Des chercheurs ont découvert une souche de virus de grippe porcine en Chine présentant toutes les caractéristiques capables de provoquer une future pandémie, selon une étude parue lundi dans la revue PNAS.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Quelle est l'origine de cette grippe porcine chinoise ?

Stéphane GAYET : Grippe humaine, grippe aviaire, grippe porcine… Il est un peu difficile de s’y retrouver dans ces différentes expressions. Dans le vocabulaire courant, on est parfois amené à utiliser des termes commodes et parlants, mais qui ne sont pas toujours appropriés. Alors, qu’en est-il ?

Les virus grippaux : un petit éclairage nécessaire

La famille des Orthomyxoviridés comporte, entre autres, les genres InfluenzavirusA, B et C (virus grippaux). Il est toujours intéressant de préciser que le terme influenza vient de l’italien « Influenza di freddo », qui signifie « influence du froid » : avant que l’on ne connaisse les virus responsables de la grippe, elle était considérée comme une maladie causée par le froid.

Les Influenzavirus (virus grippaux) des genres A, B et C sont des agents infectieux de la grippe soit humaine, soit animale. Car, que ce soit chez l’Homme ou chez l’animal, il s’agit toujours d’une grippe, c’est-à-dire d’une infection virale des voies respiratoires (fièvre, toux, gêne respiratoire).

Les virus grippaux sont ubiquistes, en ce sens qu’on les rencontre sur tous les continents ou presque.

Les virus grippaux B et C sont strictement humains et jamais pandémiques. Seuls, les virus grippaux A infectent – en plus de l’Homme - les animaux et sont responsables chez l’Homme de pandémies.

Le virus grippal (en général) est un virus à ARN (comme beaucoup de virus respiratoires, dont le coronavirus) à simple brin d’ARN et de polarité négative (l’ARN viral ne peut donc pas jouer directement le rôle d’ARN messager dans la cellule, il doit d’abord être transcrit en ARN messager ou ARN m : sa multiplication par la cellule est donc un peu moins rapide que celle des virus à ARN positif comme le coronavirus). Par ailleurs, c’est un virus enveloppé, donc fragile (l’enveloppe est le contraire d’une protection).

A la surface de l’enveloppe virale, il y a différentes protéines, dont l’hémagglutinine (HA ou H) et la neuraminidase (NA ou N). L’hémagglutinine peut agglutiner les hématies (mais seulement après avoir été activée), comme son nom l’indique, mais elle est surtout l’antigène qui est reconnu par le récepteur de la surface de la cellule hôte (cellule qui s’apprête à être infectée). Ce récepteur de surface comporte une molécule d’acide sialique. La neuraminidase est une enzyme qui permet, lorsque la cellule a adsorbé puis absorbé le virus, la rupture de la liaison entre le récepteur cellulaire (acide sialique) et l’hémagglutinine (car le virus est absorbé par la cellule dans une poche membranaire dans laquelle cette liaison persiste : à voir sur le schéma ci-après).

Or, l’hémagglutinine (HA ou H) ainsi que la neuraminidase (NA ou N) sont très variables, et leurs variations caractérisent les différentes souches de virus grippal. On distingue les différents types de HA et de NA par des chiffres.

Comme on l’a compris, nous parlons des virus de type A. On connaît 16 variants de HA, numérotés de 1 à 16, et 9 variants de NA, numérotés de 1 à 9. C’est ainsi que l’on désigne les différentes souches de virus grippal A par leur combinaison de variant H et de variant N : H1N1, H1N2, H2N1, H2N2, etc.

Nous savons que le virus grippal est segmenté (8 segments numérotés de 1 à 8 : schéma plus haut). Cette segmentation facilite les modifications du génome (génome instable) qui induisent les modifications de HA et de NA.

Chez l’Homme, seuls les variants H1, H2 et H3 et les variants N1 et N2 sont retrouvés : ce sont des virus qui peuvent infecter l’Homme (H1N1, H1N2, H2N1, H2N2, H3N1, H3N2).

Chez les oiseaux (grippe aviaire), les variants H5 et H7 sont hautement pathogènes. Chez les chevaux, le variant N8 est très pathogène (H3N8) ; le variant H3N8 a également provoqué de nombreux cas de grippe sévères chez des chiens de course aux États-Unis d’Amérique. Quant aux porcs, ils sont réceptifs aux virus aviaires et humains, en plus des virus proprement porcins. Les variants souvent retrouvés sont H1N1, H1N2 et H3N2 : on voit que ces trois variants peuvent infecter l’Homme.

Des modifications du virus grippal A peuvent se produire chez le porc avant qu’il ne passe à l’Homme ou aux oiseaux. On comprend que le porc joue un rôle important et même assez central dans les épidémies – et les pandémies- grippales.

Alors, qu’en est-il de cette grippe porcine chinoise ?

La surveillance systématique des virus de la grippe chez les porcs est essentielle pour l'alerte précoce et la préparation à la prochaine pandémie potentielle. Cette surveillance des virus de la grippe chez les porcs de 2011 à 2018 en Chine a permis de repérer un virus H1N1 de type aviaire eurasien (EA), de génotype 4 (G4), qui est récemment apparu : virus G4 EA H1N1.

Ce virus porcin - d'origine et de type aviaire, mais devenu à présent porcin - porte des gènes dérivés de la pandémie de 2009. Les virus de type G4 se lient aux récepteurs humains et se révèlent très virulents (forte multiplication par les cellules des voies respiratoires) et aussi très contagieux (forte transmissibilité d’un individu à l’autre).

En outre, la population humaine a très peu d’immunité vis-à-vis de ce type viral ; ce niveau est insuffisant pour la protéger. Les derniers vaccins grippaux ne couvrent pas ce type de virus grippal.

Une surveillance sérologique parmi la population exposée au travail porcin a montré que 10,4 % (35/338) des travailleurs porcins étaient positifs (anticorps) pour ce virus G4 EA H1N1, plus particulièrement les sujets âgés de 18 à 35 ans qui avaient un taux de séropositivité (anticorps) de 20,5 % (9/44), ce qui indique que ce virus G4 EA H1N1 est déjà relativement bien adapté à l’Homme. Un passage de cette souche porcine à l’espèce humaine pourrait donc théoriquement, déclencher une pandémie potentiellement grave.

Statistiquement, peut-elle réellement aboutir à une pandémie ?

Ce virus porcin pourrait a priori passer chez l’Homme. Car le porc est un incubateur efficace de virus grippaux pandémiques et c’est même essentiellement chez lui qu’ils se modifient, avec la possibilité de voir apparaître des souches adaptées à l’espèce humaine.

Le risque n’est donc pas virtuel, il est bien réel.

Comment pourrions-nous nous préparer à faire face à la diffusion ce nouveau virus ?

Heureusement, nous sommes déjà dans l’anticipation. Nous maîtrisons bien la préparation de vaccins grippaux, car c’est quelque chose que nous réalisons tous les ans sous la coordination de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Étant donné que cette souche de virus grippal porcin est identifiée et caractérisée, on pourrait réagir très rapidement - par la préparation d'un vaccin - en cas de début d’épidémie, avant qu’elle ne se transforme en pandémie. De plus, toutes les mesures que nous avons mises en place et améliorées pour se protéger du coronavirus SARS-CoV-2, seront efficaces pour se protéger d’une éventuelle menace pandémique à virus grippal A-G4 EA H1N1.

Il faut encore ajouter que nous disposons d'antiviraux efficaces vis-à-vis du virus grippal.

En d’autres termes, cet événement nous prendrait moins au dépourvu que la CoVid-19. Nous avons bien évolué à ce sujet : la pandémie actuelle nous a transformés et rendus plus prudents et probablement plus disciplinés.

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