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Ce nouveau leadership vert de la gauche qui ressemble à un mirage
©PASCAL GUYOT / AFP

Unité ?

De nombreux observateurs estiment que la gauche va se reconstruire autour de principes écologiques. Le centre de gravité de EELV n’est pourtant pas celui du PS ou de LFI. Le nouvel espoir de l’union d’une gauche autour de l’écologie est-il un trompe-l’oeil ?

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico.fr : L'alliance de la gauche autour des thèmes écologiques est-elle seulement une alliance de circonstances ? 

Chloé Morin : Je ne crois pas. Souvent, en politique, les campagnes invitent au pragmatisme : c'est quand on est confrontés au "terrain", quand on fait du porte à porte et que l'on doit mettre les mains dans le cambouis, que l'on mesure la réalité des perceptions et des aspirations des habitants d'une ville. Je crois que c'est cette expérience du terrain qui, sans doute, a contribué à ce que les différents représentants de partis se rendent compte que non seulement, ils ne pouvaient pas gagner seuls, mais qu'ils détenaient aussi probablement une complémentarité gagnante. 

On parle de vague verte depuis hier soir, et il y a une poussée écologique réelle. Mais celle-ci ne peut pas véritablement être qualifiée de "vague" et encore moins de "triomphe" de EELV, si l'on regarde bien les chiffres! Jugez plutôt: dans les villes de plus de 30 000 habitants, le PS dirige 12 villes, EELV 8. Dans les villes de plus de 100 000, le PS en dirigera 14, EELV 6. Dans les villes de plus de 200 000, le PS en dirigera 6, EELV 3. Certes, le rapport de force est nettement moins défavorable à EELV, au sein de la gauche, qu'il ne l'était en 2014. Mais il faut se souvenir que depuis deux ans, tous les médias disent en coeur que le Parti socialiste est mort. Ce que l'on a constaté hier, c'est qu'il n'en est rien, en tout cas sur le plan local. 

Les alliances se font plus souvent derrière le PS que derrière les écologistes. Donc oui, il y a alliance "autour de l'écologie", mais cette dynamique d'union de la gauche me semble dépasser ce seul sujet. Il serait un peu étrange, alors que nous traversons la pire crise économique de notre histoire, de disqualifier une demande sociale qui est réelle dans le pays, qui explique à mon sens en partie le retour du PS (certes, un PS converti à l'écologie, mais qui n'a pas abandonné son discours social pour autant). C'est d'ailleurs le risque pour les semaines qui viennent, pour le gouvernement : s'il n'entend que la demande de verdissement, il risque de rater la marche économique et sociale, qui me paraît au moins aussi importante. De même que, à droite, il y a clairement une demande d'ordre et d'autorité qui monte, sur fond d'images scandaleuses à Dijon, ou de manifestations de Policiers...

Virginie Martin : Les « thèmes » écologiques recoupent des réalités politiques bien divers. Il est donc nécessaire, selon moi, de ne pas confondre préoccupations environnementales et écologie politique. L’écologie politique a une visée systémique, elle est supposée s’intéresser aux causes pour offrir un point de vue collectif. L’écologie politique n’est pas l’environnementalisme ambiant. L’écologie telle que les gauches la prennent en charge, est une écologie qui ne se passe pas de questionnements sociétaux plus généraux et notamment ceux de l’émancipation ; les travaux de André Gorz sont très clairs sur le sujet. 

L’écologie politique n’est donc pas compatible avec le libéralisme tel qu’il est en place aujourd’hui. En revanche, elle est largement compatible et même se co-construit avec la démocratie participative, l’éco-féminisme, le féminisme, les mouvements de lutte des classes, les mouvements anti-racistes etc. : l’écologie est la science des différences et des complémentarités, nous rappelle Jean Zin. 

Donc, ces alliances, si elles sont aussi de circonstances, se retrouvent tout de même sur l’essentiel : une vraie pensée écologique, et non une sorte de « green washing » très à la mode.

De La France Insoumise au PS en passant par EELV. Quels sont les blocages idéologiques qui empêchent toute unité au sein de la gauche ?

Chloé Morin : Il y a davantage, à mon sens, de blocages égotiques que de blocages idéologiques. Certes, il existe des divergences, sur de nombreux sujets. Sur quelques uns, il y a un fossé - une partie de la gauche "indigéniste" est profondément incompatible avec un PS qui concerne un logiciel fondamentalement républciain, par exemple. Mais en réalité, sur la plupart des sujets nous avons plutôt 50 nuances de gauche, et pas 50 gauches différentes. Dans le cadre d'une perspective de victoire, ces municipales ont démontré que l'union était possible, qu'il n'existait pas de compromis impossibles. 

Maintenant, il faudra évidemment voir si ces compromis sont solides, s'ils résistent à l'épreuve de l'exercice du pouvoir. Les deux années qui viennent seront à ce titre intéressantes. 
Jusqu'ici, ce sont surtout des divergences de personnalités qui ont divisé la gauche. Chaque présidentiable tend à vouloir imposer une stratégie de conquête du pouvoir dont ils pense qu'elle aboutira à le faire Président. Mélenchon pense qu'il ne peut gagner que seul, en écrasant le reste d'une gauche qu'il considère comme sclérosée. Jadot a l'air d'hésiter entre la tentation hégémonique pour EELV, pour être sûr d'être candidat, et celle de l'union, dont il sait sans doute qu'elle constitue une meilleure garantie de victoire, mais qu'elle n'offre pas de garantie qu'il soit le candidat de l'union... Au PS, c'est la stratégie du "qui m'aime me suive" qui a longtemps dominé. Jusqu'en 2012, il en avait les moyens d'imposer cette strat, puisqu'il dominait le bloc de gauche. Depuis 2012, il cherchait une autre voie. Depuis deux ans, la stratégie adoptée est de rechercher l'union à gauche derrière "le mieux placé" pour l'emporter. Cette stratégie n'était pas gagnante par avance, car pour s'allier il faut avoir des alliés : or, jusqu'à 2018, le PS était considéré comme toxique par de nombreux partenaires potentiels. Ce que disent les élections hier, c'est que non seulement le PS s'est "détoxifié", qu'il parle à nouveau à peu près à toute la gauche, mais que plus personne n'a peur de faire alliance avec ce parti que l'on avait enterré en 2017. De ce point de vue, c'est intéressant. 

Virginie Martin : L’écologie politique est fortement compatible avec les gauches, avec un logiciel de gauche on l’a vu. L’écologie politique est d’ailleurs plutôt pensée par la gauche. 

Partant, les logiciels du PS, de Génération.s, de LFI, d’EELV devraient être traversés naturellement par cette écologie politique dans sa conception « pure et parfaite ». Dans cette version, l’écologie politique se doit de remettre en question le productivisme capitalisme / libéralisme économique. 

Et c’est là que le bât blesse, et que, le PS par exemple, ne suit plus. Le PS s’est en effet converti à la rigueur en 1983, puis peu à peu au marché, jusqu’au choix fait par François Hollande de nommer Emmanuel Macron Ministre de l’économie et le très républicain-jacobin, Manuel Valls, premier ministre. Des symboles et surtout une politique qui accentueront encore les dissensions au sein du PS : certains devenant les frondeurs comme A. Montebourg ou B. Hamon, d’autres suivant la ligne Macron. 

Au-delà du PS, reste le cas d’EELV. Ici encore une scission s’opère. On a pu la mesurer au travers de personnalités venant troubler le jeu politique en participant au gouvernement d’E. Philippe tel Pascal Canfin, ou Nicolas Hulot (et ce, malgré sa démission). Dans la même lignée on retrouve Yannick Jadot qui se dit régulièrement « macron compatible », ce qui est, on l’aura compris, un pied de nez à l’écologie politique. 

Les blocages idéologiques se font donc principalement autour de la question philosophico-économique qui est de vouloir ou non « modérer ce que l’on nomme le progrès »

C’est ici que l’enjeu européen peut poser question : en effet, l’UE est souvent rejetée à gauche pour son libéralisme. C’est donc le libéralisme de l’UE qui est le plus souvent critiqué plus que l’idée de l’Europe elle-même et ce, quelles que soient les obsessions souverainistes actuelles. 

Certains blocages peuvent aussi venir des électoraux de partis politiques ayant des propos forts sur la lutte des classes ou sur le libéralisme, tel LFI. Dans ces électoraux, certains thèmes comme l’éco-féminisme par exemple, gênent parfois des militants qui mettent la lutte des classes au dessus de toutes les luttes, et voient, dans les questions de genre ou de féminisme, des enjeux venant troubler l’essentiel.  

Ici donc, le parti est challengé par sa base électorale qui veut faire de la classe sociale, la totalité de la lecture du monde. 

L’écologie politique, elle, ne peut se passer d’une sorte d’approche intersectionnelle où race, genre et classe sont regardés en même temps. 

Cette gauche peut-elle trouver un chemin d'union où est-elle définitivement irréconciliable ?

Chloé Morin : Les égos sont un obstacle important. Déjà, on sent une forme de fierté se réveiller dans les partis, qui peuvent verser rapidement dans l'arrogance, et donc nourrir à nouveau les querelles de territoire... mais je pense que compte tenu du contexte - la perspective d'un second tour de présidentielle où la gauche serait condamnée à ne pas figurer, pour la seconde fois -, il est fort possible que l'opinion, c'est à dire les citoyens de gauche, imposent d'eux-même l'union aux partis de gauche. En sanctionnant les stratégies individuelles, par exemple. Il n'est pas certain que la dynamique d'union parvienne à surmonter les querelles d'égos et de chapelles si courantes à gauche. En revanche, ce qui est certain, c'est que si une telle dynamique parvenait à s'imposer, elle viendrait du terrain, des citoyens.

Virginie Martin : Une fois ces dissensions explicitées, le logiciel de l’écologie politique devrait / pourrait au contraire venir chapeauter une union à venir. 

C’est selon moi à cette seule condition que les rapprochements seront possibles. Cela ne veut pas dire de donner forcément le leadership aux écologistes, non, mais le donner à l’écologie politique. Celle-ci regroupe tous les thèmes chers à la gauche / aux gauches : remise en cause de l’ultra libéralisme, Union Européenne nécessairement repensée (au regard du libéralisme), progrès mesuré, diversalités (selon de mot d’Edouard Glissant), démocratie locale et horizontale. 

L’écologie politique est donc un chemin sérieux et crédible pour de possibles convergences partisanes ; restent bien sûr, les volontés, les ambitions personnelles, les batailles de leadership qui viennent souvent supplanter les socles politiques, même très bien construits. 

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