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convention citoyennne pour le climat
convention citoyennne pour le climat
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Convention citoyenne pour le climat

Les citoyens ont compilé leurs idées dans une note versée au rapport qu'ils ont remis au gouvernement dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat. Les mesures évoquées semblent bien éloignées des aspirations des Français. La question du financement se pose également avec de potentielles taxes sur les transactions financières, l'ISF ou un grand emprunt.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico.fr : Quel regard portez-vous sur les conclusions de la convention citoyenne pour le climat ?

Vincent tournier : Cette conférence de citoyens, dotée du titre pompeux de « convention », était supposée marquer un temps fort dans les débats sur la transition écologique, mais on a le sentiment que ses travaux n’ont guère passionnés les foules et les médias, si on en juge par l’accueil assez froid qui a accueilli ses conclusions, et surtout que ses propositions ont beau être nombreuses et variées, parfois intéressantes, elles sont dans l’ensemble plutôt convenues et souvent simplistes. On trouve ainsi de nombreuses mesures sympathiques mais peu originales, et en tout cas pas toujours à la hauteur des enjeux, telles qu’inciter les gens à faire du vélo, les appeler à moins consommer, créer des parking-relais ou former les chauffeurs à l’éco-conduite. En fait, ces 150 mesures comptent de nombreuses mesurettes et vœux pieux, avec son lot attendu de comités Théodule (faut-il vraiment créer un Défenseur de l’environnement ou bien renforcer le rôle du Conseil économique et social ?). En revanche, curieusement, on ne trouve aucune réflexion sur les grands enjeux globaux tels que la production d’énergie (quelle place notamment pour le nucléaire ?). Plus curieux encore, il n’y a aucun élément chiffré, aucune statistique, aucune projection, y compris sur ce qui était au départ l’objectif de cette convention, à savoir réfléchir sur la manière de baisser de 40% les gaz à effet de serre à l’horizon 2035. Il aurait pourtant été utile d’indiquer, pour chaque proposition, quel était son impact prévisible sur l’environnement, ce qui aurait permis de mieux hiérarchiser les mesures cosmétiques et les mesures potentiellement efficientes.

Le fait de ne pas vouloir soumettre ces propositions au référendum est le signe que les participants ne sont pas très à l’aise avec leurs propres conclusions. Paradoxalement, les seules mesures qu’ils souhaitent soumettre à référendum sont celles qui sont les moins reliés à des politiques concrètes puisqu’il s’agit d’une part de la révision de la Constitution (afin d’intégrer l’environnement dans le préambule et l’article 1er) et d’autre part de la modification du Code pénal pour créer le crime « d’écocide ». Le désir de réviser la Constitution relève d’un réflexe assez naïf qui consiste à croire qu’en ajoutant un mot à notre texte fondamental, on va changer le monde, surtout en sachant que depuis 2007 il existe déjà une Charte de l’environnement, et que l’impact de celle-ci n’a pas été probant. Quant au crime d’écocide, défini de manière particulièrement floue comme « toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires », on aimerait bien que les participants apportent des précisions. Peuvent-ils donner des exemples de ce à quoi est censé correspondre un tel crime ? A quels précédents historiques pensent-ils ? Et surtout, en quoi la reconnaissance d’une telle infraction permettra-t-elle de lutter contre le réchauffement ? Aurait-elle d’ailleurs pu empêcher le réchauffement climatique si ce crime avait été reconnu voici 20 ou 30 ans ?

Philippe Charlez : La Convention Citoyenne sur le Climat était mandatée pour formuler des propositions concrètes visant à réduire de 40% les émissions françaises de GES à l’horizon 2030 et ce dans un esprit de justice sociale. On attendait de cette expérience inédite de démocratie participative des orientations pragmatiques pour que la France atteigne la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il est  stupéfiant de constater que le volet énergétique pourtant à la base de la problématique climatique ait été totalement escamoté du débat. Jugé…« trop clivant » par les organisateurs le sujet n’a pas été abordé.

Au contraire la convention, largement influencée par son comité de gouvernance composé majoritairement de membres issus de la gauche de la gauche, tous très anti-libéraux avec un passé de syndicaliste ou de militant dans des organisations écologiques et altermondialistes, a systématiquement versé dans la logique de l’écologie punitive. Sur le panel de recommandations  beaucoup sont coercitives : contraindre, obliger, limiter, imposer, interdire le vocabulaire est sans ambiguïté. A la liberté et la responsabilité, la convention a clairement préféré l’addition des normes. La palme d’or revient incontestablement à l’invention du « crime d'écocide » qui, selon nos informations serait soumis au référendum. Les français ont certes toujours privilégié Robespierre à Tocqueville et préféré avoir tort avec Sartre que raison avec Aron. Je ne suis pas sûr qu’ils soient pour autant favorables à la restauration d’une sorte de Comité de salut Public. 

Pierre Bentata : A l'issue de cet convention, on ne malheureusement que déplorer les résultats. En lieu et place d'un projet de société global, la convention a accouché d'une myriade de propositions sans cohérence d'ensemble, dont les contours sont souvent flous et dont personne ne semble avoir mesuré les conséquences. Dans le volet "produire", les citoyens ont proposé l'obligation pour toutes les entreprises d'effectuer un bilan carbone sous peine d'une amende qui serait calculée à partir d'un pourcentage de son chiffre d'affaires. Mais quel pourcentage, on ne sait pas. Et comment les petites entreprises vont effectuer ce bilan? Rien non plus. Lorsqu'une proposition est ainsi formulée, elle devient mécaniquement une usine à gaz, qui profitera au petit groupe de personnes en charge de certifier, et cela au détriment des entreprises. Même chose dans le volet "consommer": les citoyens ont proposé d'interdire la publicité pour les produits émettant "le plus de gaz à effet de serre". Mais où est la limite? Comment calcule-t-on ces émissions, prend on en compte la production ou tout le cycle de vie? Qui sera visé? On ne sait pas.

Au fond, on ne sait rien, mis à part que toutes les propositions se fondent sur la vieille idée de la sanction, de la taxe et du contrôle. C'est peut-être cela le plus intéressant dans cette histoire. La formulation de ces idées prétendument novatrices s'effectue dans le vieux langage de la réglementation, sans aucune considération pour tous les travaux des spécialistes de l'économie de l'environnement qui démontre que la réglementation à l'ancienne - qu'on appelle "command & control"- ne fonctionne pas bien et doit être remplacée par des mécanismes beaucoup plus incitatifs, coopératifs et informatifs. La littérature sur le sujet est énorme, et l'on y apprend qu'un changement de comportement passe par des modifications de normes sociales dont l'adoption dépend de leur acceptation par la population et par les entreprises. Autrement dit, les conclusions de la convention apparaissent comme vieillottes, désuètes et totalement obsolètes au regard des recherches récentes en économie de l'environnement. Ce n'est pas le monde de demain qui nous est proposé, mais celui d'avant-hier! Et celui-ci, nous savons qu'il n'aura pas les effets escomptés. 

Avec ces mesures, ne s'expose-t-on pas à un suicide économique, social et environnemental ?

Vincent Tournier : En lisant les propositions, on est effectivement frappé par l’espèce d’insouciance tranquille qui semble habiter les membres de la Convention, lesquels ont multiplié les propositions contraignantes et les projets de taxes sans trop se préoccuper de la faisabilité, ni de savoir si l’intendance pouvait suivre, surtout dans un contexte de difficultés économiques. Les  participants ont eux-mêmes été conscients de leur légèreté puisqu’ils ont décidé de retirer la proposition la plus surprenante, celle consistant à abaisser le temps de travail à 28h, visiblement par crainte de se discréditer en utilisant un marqueur aussi flagrant de la gauche.

Ce travers a plusieurs sources. Le premier est que la Convention n’a rien de spontanée. C’est un dispositif très encadré, supervisé par deux co-présidents qui ne sont eux-mêmes pas neutres (Thierry Pech dirige la fondation Terra Nova et Laurence Tubiana, une proche de Laurent Fabius, est très active dans le domaine de l’environnement). Du reste, la méthode de travail n’est pas claire. D’où sont venues les 150 propositions ? Ont-elles été avancées par les organisateurs dès le début ou ont-elles émergé au fil des débats ? Viennent-elles des participants ou ont-elles été soufflées par les experts ?

Le deuxième problème se trouve du côté des citoyens-participants. L’argument du tirage au sort fait sourire car il est évident que, si 150 personnes ont accepté de participer, beaucoup ont refusé. Combien ? On n’en sait rien. Sur le site de la convention, il est indiqué qu’il a fallu passer 300.000 appels, ce qui laisse entendre que le taux d’acceptation a été de 1 pour 2000. De ce fait, il y a un biais énorme. Ne sont venus que les volontaires qui étaient en affinité avec le sujet. Sur le site, les organisateurs soutiennent que les 150 participants constituent un échantillon représentatif de la population française et proposent une répartition par sexe, âge ou profession. Thierry Pech, l’un des co-président, ne craint pas de dire que les participants sont « une France en miniature ». Toutefois, les chiffres qui sont fournis sur les caractéristiques des participants ne sont pas comparés à ceux de la population française ; surtout, il faut bien voir que, dans un sondage, on contrôle aussi l’orientation politique des répondants, ce qui n’a pas été fait ici, alors qu’on sait que le volontariat produit toujours un biais à gauche. On peut aussi signaler que, dans un jury de cours d’assises, le tirage au sort ne fait pas tout : il est suivi par un tri, chaque camps écartant les personnes qui lui paraissent les moins neutres. Accessoirement, on peut ajouter que le fait que les individus restent anonymes est un problème si l’on part du principe que, en démocratie, les individus doivent pouvoir s’expliquer sur leurs choix.

Le dernier problème concerne la nature même de la démarche. Le fait de rassembler des individus et de leur demander de réfléchir sur un objectif précis, cela ne peut que les inciter à se montrer plus royalistes que le roi. C’est inéluctable. Les gens se prennent au jeu. Ils veulent montrer qu’ils sont consciencieux, qu’ils remplissent bien leur mission. Cela génère une dynamique de groupe qui produit des effets en cascade : la tendance dominante prend le dessus et les avis minoritaires se font discrets, ce qui débouche sur une surenchère. C’est pourquoi, au bout du compte, on aboutit à des votes finaux qui dépassent souvent les 90% d’approbation, alors même que le site de la Convention prend soin d’indiquer qu’ « il ne s’agit pas de fabriquer du consensus sur toute proposition ». Le fait que le résultat final soit exactement l’inverse devrait interpeller sur la pertinence du dispositif.

Pour empêcher de tels défauts, il aurait fallu organiser autrement les débats. On aurait pu imaginer de donner la parole à des opposants crédibles, ou bien de demander à des économistes de faire des chiffrages pour chaque proposition, ou encore de forcer les participants à raisonner à budget constant, donc à indiquer quelles politiques publiques ils proposent d’abroger pour financer les mesures qu’ils proposent.

Le problème vient aussi du fait que la mission était limitée à une réflexion sur la transition écologique et la justice sociale. Le cahier des charges ne mentionnait donc pas l’emploi ou la croissance. En fait, idéalement, on aurait pu imaginer deux conférences : l’une sur la transition écologique, comme celle-ci, et l’autre sur la prospérité et la croissance. En confrontant les conclusions de ces deux conférences, on aurait alors mieux visualisé les options antinomiques et celles qui sont compatibles avec les différents objectifs. 

Philippe Charlez : A la lecture des propositions initiales on est abasourdis quant aux libertés prises par la convention pour sortir de son scope climatique, la pastèque verte dévoilant sans ambiguïté son « cœur rouge vif ». Ainsi, dans un parfait discours de lutte des classes, on n’échappe pas aux requiem des pesticides et des OGMs ou aux jérémiades altermondialistes réclamant de réviser l’accord CETA. La convention propose également de taxer les dividendes des entreprises distribuant plus de 10 millions d'euros annuels et surtout (même si cette dernière recommandation n’a finalement pas été retenue), le passage de 35 heures à 28 heures avec un taux horaire du Smic horaire…augmenté de 20%. On imagine les conséquences économiques d’une telle mesure dans une France quasi exsangue après deux mois de confinement. Il est d’ailleurs étonnant qu’une « ISF  écologique » n’ait pas fait partie des mesures proposées. 

Comme on pouvait s’y attendre, le comité de gouvernance composé pour l’essentiel d’écologistes marxistes décroissantistes est arrivé sans difficulté à éluder tous les problèmes importants mais à inoculer insidieusement, sous couvert climatique, son agenda idéologique. Appliquées, ces mesures accéléreraient encore un peu plus la récession économique provoquée par la pandémie du COVID 19. En résumé ce que nous propose à terme la convention c’est moins de libertés et plus de pauvreté. Les français apprécieront!

Pierre Bentata : Certaines mesures sont simplement ridicules, d'autres sont dangereuses. Parmi les plus ridicules, ou "hors sol" dirait-on aujourd'hui, on trouve la proposition d'une "Education à l'environnement et au développement durable" à l'école. Bien sûr, en soi, cette proposition peut se comprendre, car les enfants ont besoin d'être sensibilisés à toutes les grandes problématiques sociétales qu'ils auront à gérer par la suite. Mais il faut aussi être réaliste. A-t-on réellement besoin d'un tel cours, lorsque nous voyons le classement de la France dans les enquêtes PISA ou TIMS? Notre système éducatif est très mauvais dans l'enseignement des fondamentaux, lecture, écriture, mathématiques, compréhension. Or, une société se construit d'abord par la formation de l'esprit critique des citoyens et par l'enseignement à tous des compétences nécessaires à leur subsistance. Au lieu d'imposer de nouveaux cours, il serait plus utile, autant pour l'économie ou la politique que pour l'environnement, de renforcer les fondamentaux de nos jeunes élèves. A cet égard, rappelons que le seul moyen de concilier prospérité et protection de l'environnement tient à notre capacité à produire plus proprement, c'est-à-dire à innover. Et pour innover, il faut des personnes solidement formées. Si l'objectif était réellement de se doter des moyens d'une transition environnementale, il aurait fallu faire de l'acquisition des savoirs fondamentaux une véritable priorité. Or, rien n'est dit là-dessus. 

Mais il y a pire évidemment. La plupart des propositions sont punitives et auront simplement pour effet de décourager les entrepreneurs et de faire fuir encore davantage - si cela est possible - les investisseurs. D'abord, on propose de réduire la vitesse de circulation des voitures sur autoroutes, ce qui a un effet dérisoire sur le climat mais ralentit toute l'activité économique. Ensuite, on propose d'interdire certains véhicules, ce qui peut être une mesure de protectionnisme déguisé, mais n'aura encore une fois aucun effet autre qu'ouvrir la porte à une guerre économique avec les pays dont les entreprises se verront interdire l'accès au marché. Et il faut être sérieux, cela n'aura aucun impact sur l'environnement car la problématique des véhicules polluants est mondiale, ce n'est pas en en restreignant l'accès en France que l'on changera quoi que ce soit. 

Tout cela est peu de chose à côté de deux mesures dont peu de gens ont parlé et qui pourtant pourraient avoir des effets dramatiques. Il y a l'obligation pour les entreprises dont le chiffre d'affaires excède 10 millions d'euros, de financer un effort de transition écologique à hauteur de 4% des dividendes versés. Or, 10 millions d'euros de chiffre d'affaires, cela concerne une très grande partie des PME françaises, en gros, les entreprises de plus de 100 salariés vont voir leur niveau d'imposition augmenter encore! Alors que nous sommes dans une situation de surendettement privé comme public, en raison du confinement, et que la fiscalité sur les entreprises est parmi les plus punitives au monde; alors que dans le même temps, nous prévoyons une récession de l'ordre de 10%, et un chômage qui pourrait atteindre les 12% voire 15%, soit 5 à 6 millions de chômeurs, on propose de taxer davantage les entreprises, ce qui revient à obliger les entrepreneurs à licencier encore et à s'endetter davantage. Et pour quel résultat? Aucun, puisque ce n'est pas en collectant des impôts qu'on réduit les impacts environnementaux, c'est en produisant différemment, en innovant, en cherchant de nouvelles techniques et méthodes, de nouveaux produits, bref, en investissant dans la recherche et le développement, ce qui requiert beaucoup d'argent et nécessite que les entreprises aient les moyens. Au fond, on va ici punir les entreprises tout en réduisant leur possibilité d'effectuer une transition écologique: double peine donc.

Et cet esprit suicidaire se matérialise dans la proposition de réécrire le préambule de la Constitution pour y intégrer que les droits et libertés "ne saurait compromettre la préservation de l'environnement". Si vous craigniez la principe de précaution, voilà sa forme chimiquement pure! Avec un tel préambule, on consacre le statu quo puisque toute activité requiert un effort et que tout effort se traduit par la transformation d'une énergie utilisable en une énergie non utilisable. C'est la vieille idée, fausse au demeurant, des "décroissantistes" qui reprennent les travaux de Georgescu-Roegen sur le principe d'entropie en économie. Une telle réécriture aurait alors des effets potentiellement catastrophiques car prise au pied de la lettre, elle interdirait simplement toute activité, économique ou non.  Ainsi, ce qu'on appelle sans jamais le définir, la "nature", serait totalement protégée des hommes qui eux-mêmes n'auraient plus le droit d'agir. Etrange conception de la protection de l'environnement qui passe par un appauvrissement généralisé avec en ligne de mire la disparition des hommes; étrange projet aussi qui consacrerait cela dans une Constitution, rédigée jusqu'à preuve du contraire, par des humains.

Quelle voie faut-il défendre afin de permettre une transition écologique sensée ?

Vincent Tournier : C’est une question intéressante qui pose le problème de l’efficacité en politique. Quel est le meilleur système pour faire face à une crise majeure comme le réchauffement climatique puisqu’il est maintenant acquis, au vu du consensus scientifique, qu’on s’achemine bel et bien vers un choc très important à l’horizon des prochaines décennies.

Dans une société comme la nôtre, où la démocratie constitue une norme de référence, il est tentant de répondre que la meilleure méthode, sinon la seule, ne peut être que la démocratie, et même la démocratie directe puisque la convention citoyenne vise à remplacer la démocratie représentative (les parlementaires) par une consultation directe des citoyens.

Cette réponse un peu convenue n’est pourtant pas évidente. Si on regarde les grandes crises de notre histoire récente, comme les deux guerres mondiales, la démocratie n’a pas toujours été très efficace. En 1914, la France a été à deux doigts de se faire envahir et, en 1940, l’armée française s’est effondrée en quelques semaines. C’est justement pour tirer les leçons de ces événements que le général De Gaulle a mis en place des institutions qui permettent de restreindre le jeu démocratique, surtout en temps de crise. Et du reste, on peut constater que les crises récentes comme les attentats terroristes ou l’épidémie de coronavirus n’ont pas été traitées par des procédures démocratiques mais au contraire par des mesures autoritaires, voire très autoritaires comme le confinement de la population.

Avec le réchauffement climatique, la question est de savoir s’il est possible de transformer en profondeur l’économie d’un pays, ainsi que son mode de vie, à partir d’une méthode démocratique. Ce n’est pas évident. Si on se tourne vers le passé, on voit que les grandes transformations ont toujours été imposées de manière autoritaire. Donc, peut-on s’attendre à ce qu’un dispositif comme une conférence de citoyens soit la meilleure manière de répondre à un enjeu de ce type ?

C’est possible, mais on peut être sceptique. Il reste que la Convention, en faisant une longue liste de propositions, a laissé une grande latitude au président de la République pour faire la sélection qui lui convient. Il devrait donc lui être assez facile de montrer qu’il sait être à l’écoute des citoyens tout en gardant la maîtrise du processus.

Philippe Charlez : Si elle veut se redresser tout en réduisant ses émissions, la France a aujourd’hui besoin de pragmatisme et non d’idéologie. Tout le monde est d’accord sur un point : il y a urgence climatique. Mais, il ne faut pas pour autant faire n’importe quoi et déboulonner notre société de croissance qui a certes des vices mais aussi d’innombrables vertus. Il faut d’une part se rappeler que grâce à sa génération électrique nucléaire, la France est l’un des pays les plus décarbonés d’Europe. Ne détruisons pas pour des raisons purement idéologiques le seul avantage compétitif qui nous reste. Les énergies renouvelables ne pourront pas faire beaucoup plus que 30% du travail. Seul le nucléaire pourra assurer le reste. 

La route vers une société neutre en carbone passe certes par une  rénovation pertinente de l’habitat, une électrification des transports de ville et une hydrogénation des transports longue distance. Mais, l’industrie dont nous souhaitons relocaliser certains pans ne pourra, pour des raisons physiques, être complètement décarbonée. Qu’on le veuille ou non, la neutralité carbone ne pourra se faire sans le Carbon Capture Utilisation & Storage, un élément de plus qui semble avoir été omis par la convention citoyenne.

Finalement, la pandémie nous a montré toutes les limites l’Etat jacobiniste et les vertus des initiatives régionales ou locales. Il en est de même pour la transition écologique. Différente à Marseille et à Lille, elle ne s’applique pas de la même façon au centre de Paris, en banlieue ou dans une campagne reculée. En imposant toutes ses mesures coercitives de façon indifférenciée, la convention passe complètement à côté de l’objectif recherché. L’histoire l’a montré à maintes reprises, l’idéologie n’a jamais fait bon ménage avec l’efficacité. 

Pierre Bentata : La véritable question n'est pas d'assurer une transition écologique mais de découvrir ce que nous, nous étant compris comme l'ensemble des citoyens pris individuellement, désirons changer dans nos façons de produire, de consommer et plus largement dans notre rapport au changement climatique. 
Et il faut insister sur la notion de découverte. Car personne ne sait exactement ce qu'il est prêt à payer pour réduire son impact environnemental et ce qu'il désire consommer avant d'être soumis à un choix. 

Veulent-ils payer plus cher pour des produits plus propres? Sont-ils prêts à rouler moins vite? Acceptent-ils de moins voyager? Seraient-ils d'accord pour financer, de leur poche, la recherche et le développement de procédés plus écologiques? 

A ces questions, il y a deux types de réponses. La première, celle de la convention citoyenne, consiste à imposer des règles sans laisser le choix aux citoyens, ce qui revient à leur dénier le droit de se prononcer et à leur ôter le seul moyen de découvrir ce qu'ils sont prêts à faire. La transition écologique devient alors une transition totalitaire, rien de moins.

Mais il y a fort heureusement une seconde réponse, celle du marché, ou plutôt celle du plébiscite quotidien et décentralisé des citoyens: il s'agit de laisser les citoyens décider de ce qu'ils consomment, de leur donner la liberté de punir certaines entreprises ou certains secteurs, et de récompenser celles qu'ils considèrent à même de leur fournir ce qu'ils désirent, comme ils le désirent. Et la seule condition d'efficacité d'un tel système est l'information. Il suffit d'informer les citoyens sur l'impact environnemental de chaque entreprise puis de les laisser agir. S'ils ne prennent pas en considération l'impact environnemental, c'est donc que celui-ci ne les intéresse pas, et sur les plans politiques et moraux, il n'y pas de raison de les forcer à adopter des objectifs qu'ils n'apprécient pas. Si au contraire, ils agissent en fonction de l'impact environnemental des entreprises, celles-ci seront contraintes d'adopter des méthodes de production plus propres.

Bien sûr, on m'objectera que cela ne suffit pas! Et pourtant, l'enrichissement et l'information des citoyens a permis de grandement améliorer la situation environnementale. L'activisme actionnarial est aujourd'hui une véritable contrainte pour les entreprises cotées. De même, on observe que de plus en plus de consommateurs sont prêts à payer plus cher pour des produits locaux, issus de l'agriculture biologique ou simplement plus socialement responsables. Et c'est la mobilisation de citoyens éclairés, et suffisamment riches pour accepter de payer, qui a permis de dépolluer les fleuves dans lesquels, il y a un siècle, aucune espèce vivante ne pouvait survivre, comme la Seine ou la Tamise. 

La réalité, c'est que la transition écologique requiert beaucoup d'investissement et dépend de la volonté des citoyens, particulièrement lorsqu'ils sont dans la position de consommateurs. Autrement dit, pour protéger l'environnement, il faut d'abord et avant tout être riche, ce qui, jusqu'à preuve du contraire, nécessite de la croissance et un système de marché. Et c'est très bien ainsi, car pour le moment, le système a plutôt bien fonctionné. Chaque fois qu'une crise environnementale pointait, l'innovation et la volonté des consommateurs ont permis de la résoudre très rapidement. La meilleure illustration est sans doute celle fournie par l'historien anglais Stephen Davies: en 1894, Londres était sur le point de devenir un nid à épidémies, en raison de la quantité abyssale de crottin et d'urine de cheval qui pavait les rues de la capitale. En effet, plus de 40 000 chevaux traversaient la ville quotidiennement. Par ailleurs, leur utilisation était si intense que lorsqu'un cheval mourrait d'épuisement, on ne pouvait même pas le transporter vers une station d'équarrissage, et les cadavres en putréfaction emplissaient les rues. Si bien que tout le monde redoutait la grande crise sanitaire. Pourtant celle-ci n'arriva pas. Pourquoi? Parce que la voiture remplaça les chevaux! Voilà comment les voitures sauvèrent les capitales européennes. Et demain, une autre innovation nous sauvera des voitures!

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