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Le top des pays ayant le mieux (ou le moins bien) protégé leurs seniors face au Coronavirus
©JOEL SAGET / AFP

Premières victimes

La part des décès par CoVid-19 attribuable aux personnes très âgées varie en fonction des pays. Schématiquement, plus cette part attribuable aux personnes âgées de plus de 70 ou 75 est élevée, et plus la gestion sanitaire de la crise peut être considérée comme satisfaisante.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le taux de létalité par CoVid-19 dans les EHPAD ou les structures équivalentes, est-il un indicateur fiable de la gestion de la crise sanitaire du CoVid-19 par les différents pays ?

Stéphane Gayet : C’est une comparaison fort délicate. Premièrement, la structure que nous appelons EHPAD en France (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) n’existe pas et loin de là dans tous les pays. Deuxièmement, l’état de dépendance moyen des résidents hébergés en EHPAD varie sensiblement d’un pays à l’autre. Troisièmement, les ressources médicales et infirmières attribuées aux EHPAD varient également d’un pays à l’autre ; elles sont rares en France, l’essentiel du personnel étant constitué d’aides-soignantes : un EHPAD est clairement positionné en établissement d’hébergement et en aucun cas en établissement de soins et l’on ne doit pas s’étonner du fait que la létalité de la CoVid-19 y soit très élevée (on cumule la grande fragilité des personnes très âgées et l’indigence des soins médicaux et infirmiers : les infirmières sont rares et les médecins coordinateurs ne sont pas là pour soigner les résidents).

En France, on classe les personnes dépendantes en groupes iso-ressources (GIR) : ce sont des groupes plus ou moins homogènes de personnes dépendantes qui ont besoin de la même quantité de ressources (surtout humaines) dans leur vie quotidienne. Chaque personne dépendante est classée dans un groupe GIR de 1 à 6, en fonction du niveau de son autonomie. Lorsqu’elle n’a plus du tout d’autonomie, elle est classée en GIR 1 : c’est soit une personne confinée au lit ou au fauteuil, dont les fonctions mentales sont gravement altérées et qui nécessite une présence indispensable et continue d'intervenants ; soit une personne en fin de vie. À l’opposé, le groupe iso-ressources GIR 6 correspond à une personne encore autonome pour les actes essentiels de la vie courante. Pour classer une personne dans son groupe GIR, on utilise une grille nationale d’évaluation appelée grille AGGIR (grille autonomie-gérontologie groupe iso-ressources).

Dans chaque EHPAD, on calcule le niveau de dépendance moyen pondéré ou GMP (GIR moyen pondéré pour l’établissement). Pour le calculer, on attribue un score à chaque résident en fonction de son GIR, selon un barème (GIR 1 donne 1000 points… GIR 6 en donne 70), et l’on fait la moyenne pour tout l’établissement. En France, au niveau national, le GMP moyen de tous les EHPAD est de 700, ce qui correspond à un GIR entre 2 et 3 : c’est très lourd. Il faut noter qu’il existe une disparité des GMP selon les départements.

Il est évident qu’il faille prendre en compte, dans toute comparaison avec d’autres pays, la lourdeur du GIR moyen dans les EHPAD (GMP) ainsi que les ressources médicales et infirmières moyennes de ces établissements.

En France, dans les EHPAD, on a pratiquement un enregistrement de tous les cas de CoVid-19, car c’est obligatoire. Le tableau ci-dessous provient de Santé publique France. Il porte sur une période de trois mois, du 1er mars au 1er juin. Le taux de létalité de la CoVid-19 dans les EHPAD (les EHPAD plus les établissements pour personnes âgées non EHPAD) que l’on peut calculer à partir de ce tableau est de 41 %, ce qui est énorme, sachant que le taux de létalité moyen de la CoVid-19 est de l’ordre de 3 %. On peut de plus noter que 74 % des résidents d’EHPAD qui meurent de la CoVid-19, restent dans l’établissement pour mourir, seuls 26 % décèdent après un transfert en milieu hospitalier.

Pour répondre à la question posée, le taux de létalité par CoVid-19 dans les EHPAD n’est pas un bon indicateur de la gestion de la crise sanitaire par les différents pays, parce qu’ils ne sont pas tellement comparables sur ce point. En France, nous avons un taux de létalité énorme, de l’ordre de 40 %, mais le GMP moyen des EHPAD est de 700, ce qui correspond à un GIR moyen entre 2 et 3 (cependant beaucoup plus proche de GIR 3 que de GIR 2), ce qui est très lourd.

La répartition des personnes décédées de la CoVid-19 selon les tranches d'âge, pondérée par la proportion de personnes âgées dans la population (fortement élevée en Italie, moins élevée dans les pays du Nord), varie d'un pays à l'autre. En ce qui concerne la France, la part de tous les décès par CoVid-19 attribuable aux plus de 75 ans atteint 71 % et cette part va jusqu'à 89 % si l'on considère toutes les personnes âgées de plus de 65 ans. En Suède, où la gestion de la crise de la CoVid-19 a été plus souple, 90% des décès surviennent chez des personnes âgées de plus de 70 ans, contre 84% en Italie pour la même tranche d'âge. En pondérant ces résultats par la répartition des personnes âgées dans la population (pyramide des âges) et le taux de mortalité global de la CoVid-19 dans la population générale des personnes âgées toutes causes confondues, quels pays ont le mieux géré la crise de la Covid-19 ? Est-ce une surprise ?

Cet indicateur a déjà plus de valeur que le précédent, parce qu’il n’isole pas la population de seniors en EHPAD de celle des autres seniors. Mais cet indicateur est très dépendant de la pyramide des âges et de la mortalité globale par CoVid-19.

D’une façon schématique, on peut dire que, plus la part des décès par CoVid-19 attribuable aux personnes très âgées est importante et plus cela signifie que les sujets jeunes et d’âge mûr sont préservés (à moins que la population ne soit surtout constituée de vieillards). Toujours schématiquement, plus cette part attribuable aux personnes âgées de plus de 70 ou 75 ans est élevée, et plus la gestion sanitaire de la crise peut être considérée comme satisfaisante.

Le diagramme ci-dessous provient de la société Statista : il représente la distribution des décès par CoVid-19 en fonction de l’âge, pendant un peu moins de deux mois et demi.

La comparaison de la France avec la Suède et l’Italie n’est pas possible, car en France on compte les décès après 75 ans, alors que c’est après 70 ans en Suède et en Italie. Mais répétons-le, plus le pourcentage est important et plus c’est favorable sur le plan de la gestion sanitaire de la crise CoVid-19, toutefois à la condition que l’on pondère ces pourcentages avec la pyramide des âges et la mortalité globale de la CoVid-19 dans la population ; or, ces données pondérées ne sont pas disponibles.

Face à la crainte d'une deuxième vague de l'épidémie, avons-nous en France appris de nos erreurs passées ?

Les coronavirus ne sont pas des virus au génome instable, comme l’est au contraire le virus grippal. Leur génome est énorme (le plus gros des génomes parmi les virus à ARN), mais il est équipé d’un système de détection et de réparation des erreurs de réplication par la cellule. En d’autres termes, une mutationdangereuse du SARS-CoV-2 est très peu probable, de telle sorte qu’une éventuelle deuxième vague ne pourrait en pratique venir que de nos comportements. Le SARS-CoV-2 est en France et n’en partira pour ainsi dire jamais. Quand la première vague sera tout à fait terminée, cela signifiera que le virus est devenu quiescent dans la population, que beaucoup de personnes seront, soit porteuses asymptomatiques du virus, soit immunisées après infection. Mais l’épidémie pourrait en principe reprendre sous la forme d’une deuxième vague : cela dépend surtout de nos comportements.

Le tableau ci-dessous relativise la gravité de la CoVid-19 : elle s’est avérée être assez contagieuse, mais sa létalité n’est pas supérieure à celle de l’infection Zika.

Pour répondre à la question posée, nous apprenons toujours trop peu de nos erreurs passées. C’est vrai d’une façon générale et c’est vrai dans la santé.

Contrairement à ce que l’on a tendance à penser, il est difficile d’apprendre de nos erreurs, car les facteurs favorisants d’une erreur sont multiples et variés : ils constituent les circonstances ou le contexte de l’erreur. Les contextes ne se ressemblent pas et chaque contexte est complexe. Quand on attend une épidémie, elle ne survient pas ; quand on ne l’attend pas, elle survient : cette phrase un peu provocatrice illustre les grandes difficultés d’anticipation d’une crise épidémique comme la CoVid-19.

Néanmoins, nous avons appris les éléments suivants : premièrement, il faut bien se garder de sous-estimer un danger épidémique ; deuxièmement, il faut réagir très rapidement ; troisièmement, il faut s’entourer de vrais experts compétents ; quatrièmement, il faut prendre des mesures énergiques et se donner les moyens de les faire appliquer ; cinquièmement, il faut soigner la communication avec le peuple qui ne doit pas être infantilisé mais responsabilisé.

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