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Effets secondaires durables de la Covid-19 : les malades abandonnés des médecins ?
©JOEL SAGET / AFP

Symptômes persistants ?

Mais comment expliquer qu’à l’instar d’autres maladies comme la maladie de Lyme ou la fibromyalgie, les malades aient du mal à se faire entendre de leurs médecins ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Plusieurs semaines après avoir été touchés par la CoVid-19, des patients continuent d’en ressentir les effets et ils sont toujours atteints d’une fatigue extrême ou de gêne respiratoire. Quelle est la situation de ces patients toujours touchés par la CoVid-19 mais dont la maladie n’est plus évolutive ? Y a-t-il d’autres maladies que nous connaissons qui touchent les patients comme cela ?

Stéphane Gayet : Nous entrons dans le champ infini de la séméiologie ou sémiologie médicale. C’est la science des symptômes et des signes par lesquels se manifestent les maladies ou pathologies.

Le terme symptôme désigne une manifestation pathologique que l’on ressent, que l’on éprouve, et qui ne peut pas être constatée par un observateur ; encore qu’il existe des signes objectifs de la douleur (exemples : une céphalée ou mal de tête ; des nausées ; des difficultés de concentration).

Le terme signe désigne une manifestation pathologique qu’un observateur peut constater lui-même. On distingue encore les signes physiques qui peuvent être constatés physiquement sur le corps au repos (exemples : un ictère ou coloration jaune des yeux et de la peau ; un hématome cutané ; une maigreur) ; et les signes fonctionnels qui peuvent être constatés lors du fonctionnement d’un organe (exemples : vomissements ; hématurie ou présence de sang dans l’urine ; boiterie ; toux ; baisse de l’acuité visuelle ou auditive).

De plus, on a l’habitude de classer certains symptômes et signes dans une rubrique spéciale appelée « symptômes et signes généraux » dans laquelle on range principalement la fièvre, l’altération du niveau de vigilance, l’asthénie ou sensation de fatigue, la perte de poids, l’inappétence (diminution de l’appétit, pouvant aller jusqu’à sa perte complète ou anorexie).

L’ensemble des symptômes et des signes que l’on peut recueillir uniquement à l’aide de ses cinq sens ou d’instruments médicaux très simples (stéthoscope, marteau à réflexes, abaisse-langue, otoscope…) constitue la sémiologie clinique. La notion de « tableau clinique » intègre le terrain du patient, l’historique ou anamnèse de sa maladie ainsi que ses symptômes et signes cliniques.

Il existe également une sémiologie radiologique, une sémiologie endoscopique, etc.

Pour répondre à la question posée, le diagramme ci-dessous est utile.

Une maladie infectieuse se développe à la suite d’une contamination, commence par une incubation (généralement sans symptômes ni signes : incubation dite asymptomatique ou encore silencieuse), se manifeste cliniquement par une phase d’invasion (les premiers jours de l’infection), suivie d’une phase d’état qui peut durer plus ou moins longtemps. Avec la CoVid-19, la phase d’état de la maladie dure au moins sept à dix jours. La notion de guérison est une notion médicale : un patient guéri (médicalement parlant) est une personne dont la maladie infectieuse a cessé d’évoluer (l’organisme a pris le dessus sur l’agent pathogène) ; cliniquement, il n’y a plus de fièvre et biologiquement, la C réactive protéine ou CRP (protéine que l’on dose dans le sang) est de nouveau à une concentration normale (moins de 5 mg par litre).

Mais une personne médicalement guérie n’est pas pour autant une personne qui a recouvré une pleine santé : c’est le début de la convalescence ou analepsie. Après une CoVid-19, cette convalescence ou analepsie est souvent assez longue, car c’est une maladie agressive dont l’agent infectieux, le virus SARS-CoV-2, est fortement pathogène.

En phase de convalescence ou analepsie, la plupart des signes physiques ont disparu. Mais il persiste bien souvent quelques signes fonctionnels et surtout des symptômes. Les examens biologiques et d’imagerie (examens dits complémentaires du tableau clinique) sont généralement dans les limites de la normalité ; il n’en reste pas moins vrai que le patient convalescent se sent encore malade, encore souffrant, dans de nombreux cas. C’est dans cette situation précise que risque de se constituer un divorce entre le médecin et le patient. Car pour le médecin, le patient est guéri et du reste, ses examens sanguins et d’imagerie (échographies, scanners, examens d’IRM…) ne montrent pas ou plus d’anomalies significatives ; dans son schéma de prise en charge médicale, il a joué son rôle, il a fait ce qu’il avait à faire : le patient est guéri et le contrat de soins a été honoré. Pourtant, le patient allègue plusieurs symptômes qu’il décrit comme invalidants.

Après une CoVid-19, les symptômes persistants les plus fréquents sont : une sensation de fatigue (asthénie) et de réduction de la force musculaire, un manque d’entrain, des troubles du sommeil, une inappétence associée à une diminution du goût, une gêne respiratoire et des douleurs musculaires et articulaires plus ou moins diffuses. Parfois persiste un signe fonctionnel : une toux sèche. Cet état symptomatique peut mettre des semaines et plutôt des mois à régresser.

Envisageons le côté « médecin » et le côté « patient » :

Du côté médecin, c’est une consultation qui dure longtemps, des manifestations essentiellement subjectives, des examens complémentaires qui n’apportent rien de significatif et de grandes difficultés thérapeutiques, voire une impuissance thérapeutique. On peut dire que ce patient est généralement perçu par le médecin comme « difficile et encombrant ».

Du côté patient, c’est en pratique une santé non recouvrée et une vie diminuée et pénible, des souffrances, de grandes difficultés à travailler et une incompréhension de la part de l’entourage. Ce n’est tout simplement plus une vie, c’est une vie rétrécie et douloureuse, en somme une vie de handicapé. Ce tableau symptomatique est aggravé par le fréquent rejet de la part des proches et même du corps médical qui a tendance à abdiquer, parce que la faculté de médecine ne l’a pas du tout préparé à cela et que du reste elle ne sait pas soigner cet état post-maladie.

Existe-t-il d’autres maladies qui donnent de semblables tableaux ?

Hélas, elles sont assez nombreuses. On peut citer le syndrome de fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, le syndrome infectieux polymicrobien chronique après morsure de tique (souvent appelé improprement « maladie de Lyme chronique », car la maladie de Lyme est une borréliose mono microbienne), le syndrome subjectif des traumatisés crâniens, etc. Il est préférable d’appeler ces états des syndromes, car ce ne sont jamais des maladies simples et leurs causes sont souvent plurielles.

Ces patients se sentent lâchés par le corps médical, pourquoi la médecine a-t-elle autant de difficultés à prendre en charge ce type de pathologie ?

Il faut bien faire la différence entre les sciences médicales (embryologie, histologie, anatomie, physiologie, pharmacologie, etc.) et la médecine en tant qu’activité professionnelle qui consiste à prendre en charge médicalement une personne (diagnostic, traitement et suivi). Il est évident que la médecine en tant qu’activité professionnelle n’a rien d’une science, c’est une activité empirique qui s’appuie au maximum sur des notions scientifiques.

Les patients qui sont atteints d’un syndrome subjectif mettent en difficulté les médecins qui ne sont pas armés pour faire face à ces situations. Le caractère symptomatique ou subjectif des doléances des patients met le médecin mal à l’aise, car il ne sait pas les appréhender correctement : il ne peut pas les objectiver, les mesurer. Certes, il existe des échelles d’évaluation de la douleur, mais la reproductibilité de leurs résultats est mauvaise.

La vérité est que le médecin, face à un patient atteint d’un syndrome subjectif, est désarçonné : il ne peut rien constater et les examens complémentaires sont improductifs. Il faut dire les choses comme elles sont : ce sont des malades que l’on ne sait bien souvent ni diagnostiquer correctement ni soigner efficacement.

La médecine française – cartésienne, rationnelle, objective – rejette ces patients, car la science n’apporte pas encore d’explication satisfaisante à leur état de santé.

La situation la plus caricaturale est la suivante : un patient vient consulter son médecin en raison d’une série de symptômes très invalidants ; le médecin prescrit des examens complémentaires dont les résultats s’avèrent « dans les limites de la normalité » ; il dit alors à son patient « Les examens complémentaires n’ont rien montré d’anormal, je ne vous trouve rien de pathologique, je ne sais pas comment vous soigner. »

Mais la situation peut subitement tourner au cauchemar pour le patient, si le médecin transforme sa conclusion ci-dessus en la suivante : « Vous n’avez rien, c’est dans votre tête, vous somatisez, c’est psychosomatique. » Cette phrase assassine est monstrueuse : loin de rendre service au patient, elle aggrave son état. De nombreux suicides résultent de cette phrase qui est à la fois incompétente, méprisante, anti déontologique et irresponsable. Le diagnostic de « somatisation » est un diagnostic de charlatan. La maladie psychosomatique, si tant est qu’elle existe, ne doit pas être un diagnostic refuge ou alors ce n’est pas un diagnostic sérieux, c’est un diagnostic de misère.

La vérité est que la médecine n’est pas armée pour diagnostiquer et soigner les syndromes subjectifs ; alors, elle les rejette purement et simplement ; du coup, ces patients se tournent vers d’autres thérapies.

Qu’est-ce que cette situation nous apprend sur le corps médical ?

La profession médicale est une profession monopolistique. Les médecins ont un pouvoir énorme : ils ont le pouvoir de vie et de mort sur les personnes physiques. Ce pouvoir est lourd à assumer, il peut même être déstabilisant.

La science cultive le doute, alors que la médecine a plutôt tendance à cultiver la certitude : on voit très bien que l’activité médicale n’a rien de fondamentalement scientifique, bien qu’elle s’appuie en principe sur des notions scientifiques. Dire que la médecine a plutôt tendance à cultiver la certitude revient à dire que le doute n’est pas bien reçu par le patient.

Dire à un patient : « Je ne sais pas ce dont vous souffrez, nous allons nous donner un peu de temps et revoir votre dossier dans quelques semaines » n’est pas une phrase opérationnelle pour un médecin. Elle risque fort de déconcerter et décevoir le patient.

Qu’on le veuille ou non, beaucoup de médecins considèrent qu’ils ont réponse à tout en matière de santé. C’est l’expression d’une forme de suffisance qui est fréquente, parce qu’elle correspond à l’état d’esprit prévalent, inculqué par les études.

Dire à un patient souffrant d’un syndrome subjectif handicapant : « Vous n’avez rien, c’est dans votre tête, c’est psychosomatique… » est véritablement une affirmation mensongère, infamante et destructrice. Il est temps que la médecine abandonne la prétention et l’arrogance, et devienne plus humble, plus respectueuse et plus humaine.

Poser un diagnostic de maladie psychosomatique n’a rien d’une médecine fondée sur des preuves (evidence-based medicine en anglais), c’est une imposture diagnostique qui terrasse les patients autant que le fait leur maladie, en réalité non encore diagnostiquée.

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