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Coronavirus : deux leçons géopolitiques majeures
©Anthony WALLACE / AFP

Relations internationales

De l’épisode du coronavirus et du comportement très particulier de Pékin, nos pays démocratiques devraient désormais tirer deux conclusions fortes.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Première leçon : la sino-mondialisation déstabilise redoutablement les pays démocratiques et le reste du monde.

La sino-mondialisation ? C’est cette aggravation brutale de la mondialisation que la Chine nous a imposée à partir de 2001, une fois qu’elle eut obtenu son admission à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) : en pénétrant cette zone mondiale de libre-échange où toute protection douanière était prohibée, la Chine savait fort bien qu’elle « cartonnerait » très facilement le marché mondial des produits manufacturés.

Elle s’était par ailleurs munie d’un privilège commercial que ses partenaires n’auraient jamais dû accepter : avec un coût salarial ouvrier horaire en yuan qu’elle maintient extrêmement bas « grâce » à une surexploitation forcenée des ouvriers mingong, et avec un cours du yuan qu’elle contrôle pour qu’ilreste sousévalué de 50% contre les grandes devises, elle s’était organisée pour que le coût salarial ouvrier horaire en dollar devienne et reste en Chine un des plus bas au monde. Aujourd’hui, il est encore 20 à 25 fois inférieur à celui aux Etats Unis (1,36 $ contre 31,79 $ source Huff’s post, Décembre 2017) et aussi 4 ou 5 fois inférieur à celui de la plupart des pays émergents.

En s’employant ainsi à maintenir une configuration aussi privilégiée (et aussi déloyale), Pékin avait manifestement pour objectif de monopoliser l’industrie manufacturière mondiale et de condamner indirectement les pays développés à 2 la désindustrialisation et les pays émergents à la non-industrialisation. Immanquablement, l’objectif en 2001 s’est concrétisé : fin 2019, le nombre des ouvriers d’usine se limitait à seulement 9 millions aux Etats Unis tandis qu’il atteignait 288 millions en Chine.

Et les populations et les gouvernements du monde entier le vérifient en découvrant aujourd’hui, avec stupeur et effroi, que la production de médicaments et de vaccins, celle de masques et de combinaisonssanitaires, celle de respirateurs artificiels et de machines à test, et même celle des écouvillons nécessaires aux tests est désormais très fortement concentrée en Chine.

Après que la Chine se fut servie elle-même (lorsque la pandémie débutait sur son territoire), surgissait une pénurie mondiale en matériel médical pour le reste du monde. De grands pays démocratiques se virent même obligés d’aller supplier Pékin pour en obtenir un approvisionnement minimum. Il est ainsi désormais avéré que la sino-mondialisation instaurée par Pékin induit quatre conséquences, déstabilisatrices et mortifères, pour le reste du monde :

1) Une détestable dépendance industrielle des pays du reste du monde au bon vouloir de Pékin pour obtenir de lui l’approvisionnement nécessaire en toutes sortes de produits manufacturés, y compris des plus indispensables (matériel médical, médicaments, mais aussi produits chimiques, pneumatiques, panneaux solaires, batteries automobiles, composants électroniques…).

2) L’affaiblissement considérable de la croissance économique des pays du reste du monde depuis 2001 : quand, dans un pays, les ménages dépensent leurs revenus en achetant des biens de consommation « made in China » plutôt qu’en achetant des biens de consommation « home made », il en résulte inévitablement un ralentissement, à court et à long terme, de la croissance du PIB de ce pays.

3) Le déséquilibre, récurrent et croissant, des balances commerciales. Dans un jeu qui est à somme nulle, quand la Chine se fixe avec succès d’obtenir un solde en produits manufacturés toujours plus excédentaire, elle inflige, indirectement mais inévitablement, un solde toujours plus déficitaire en produits manufacturés à la plupart des autres pays. Solde des échanges de produits manufacturés qui est par ailleurs l’élément déterminant des balances commerciales.

4) Et ce déséquilibre des balances commerciales induit un autre déséquilibre qui lui est jumelé, le déséquilibre des positions extérieures nettes : la Chine devient de plus en plus créancière nette du reste du monde tandis que la plupart des autres pays (y compris les Etats Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, l’Italie) deviennent fortement endettés net vis-à-vis du marché mondial des capitaux où le principal acteur créancier n’est autre que la Chine, à la fois incontournable et redoutable. 

Deuxième leçon : Par son comportement dans la période actuelle, le Parti Communiste Chinois dévoile un peu plus sa visée hégémonique.

1) Un unilatéralisme inacceptable de la Chine. Bien que signataire de l’Accord de Paris sur le climat, la Chine n’a rien entrepris de sérieux pour limiter ses émissions de CO2 (part croissante des centrales thermiques à charbon dans sa production d’électricité) ; et son vaste plan des Routes de la Soie a pour conséquence très inopportune d’amplifiersans nécessité les trajets des matières premières et des produits manufacturés effectués sur la planète…

Son attitude à l’égard du Covid 19 est une nouvelle illustration de son unilatéralisme extrême. Non seulement le Parti Communiste a caché pendant trois semaines (jusqu’au 23 janvier 2020) à sa population et à la communauté internationale, l’existence sur son territoire d’une épidémie pourtant virulente mais il a ensuite démarché et obtenu de l’OMS qu’elle gâche six semaines supplémentaires (jusqu’au 15 mars 2020) avant de prononcer l’alerte pandémie.

Pékin aurait voulu maximiser la contamination hors de ses frontières pour maximiser le choc sanitaire à l’étranger, pour contraindre les autres gouvernements à pratiquer un confinement de grande ampleur et leur infliger indirectement d’énormes dégâts collatéraux (économiques, sociaux et financiers), il ne s’y serait pas mieux pris.

2) Une propension à vassaliser de très nombreux pays. La Chine utilise l’asymétrie évoquée ci-dessus entre les positions extérieures nettes pour transformer sa relation fortement créancière sur de nombreux pays étrangers en relation de vassalisation, appliquant, à l’échelle du monde entier, le schéma de l’impérialisme conquérant.

3) Une propension à se subordonner les institutions de l’ONU. La Chine sait faire jouer ses relations de vassalisation pour disposer désormais d’une majorité à l’assemblée générale de l’ONU de façon à pouvoir faire nommer à la tête des institutions de l’ONU soit des responsables communistes chinois (FAO), soit des personnalités étrangères qui sont à sa dévotion (OMS), de façon que ces institutions s’inscrivent dans la direction fixée par la Chine comme l’OMS l’a montré au cours de la pandémie.

4) Une tendance systématique à faire jouer le rapport de forces dans ses relations internationales. Pékin se soucie peu de séduction. On le voit opérer avec brutalité quand il le juge nécessaire comme on l’avait vu au Tibet ou au Sinkiang. A Hong Kong, après avoir constaté que la population désavouait et rejetait massivement son système totalitaire, tant dans la rue que dans les urnes, Pékin rompt en pleine pandémie l’accord sinobritannique (1997-2047) pour mieux renforcer la répression. A Taiwan enfin, après que la population eut, au scrutin présidentiel de janvier 2020, infligé un désaveu majeur au candidat pro-Pékin, le Parti Communiste agite les menaces militaires.

La même brutalité diplomatique se déploie à l’encontre de l’Australie : pour avoir revendiqué publiquement une commission d’enquête internationale en territoire chinois pour établir l’origine de l’épidémie, celle-ci s’est vu menacée par Pékin de représailles commerciales contre ses exportations de minerai de fer, de charbon et d’orge.

5) Au total, c’est une véritable stratégie de domination mondiale qui se révèle (même si elle s’est amorcée dès 1989) et que le Parti Communiste Chinois ne cherche désormais plus à masquer. Comme s’il avait déjà virtuellement gagné la partie mondiale, il se répand en projets pharaoniques à vocation mondiale sous son seul contrôle : après son réseau mondial d’infrastructures de transport sous l’étiquette 5 Routes de la Soie, il est allé jusqu’à proposer, en pleine pandémie, la constitution d’un Réseau Internet mondial à grande capacité qui fonctionnerait là aussi sous son seul contrôle.

Au vu de ces deux grandes leçons, il faut désormais être aveugle et sourd pour ne pas reconnaître les menaces que la stratégie du Parti Communiste Chinoisfait peser sur nos libertés, sur nos démocraties et sur nos souverainetés.

Le temps est venu pour les pays démocratiques de se ressaisir, d’identifier quel est leur adversaire principal, de resserrer leurs alliances et de définir collectivement une contre-stratégie qui soit efficace face à la stratégie offensive que mène Pékin contre nous depuis plus de trente ans.

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